Me suis rase. Reussi a marcher jusqu’a la douche.

Semfa m’a aide a me preparer pour recevoir l’administrateur. Je m’attendais a un gros individu bougon comme ceux que j’ai pu voir par la fenetre, travaillant au complexe de tri. Mais c’est un petit homme tranquille a la peau noire, affecte d’un leger zezaiement. Il s’est montre tres serviable. J’etais preoccupe par le paiement de mes soins, mais il m’a rassure en me disant que ce serait entierement gratuit. Mieux encore, il va mettre un guide a ma disposition pour gagner l’interieur ! Il dit que la saison est avancee, mais que si je suis en etat de partir dans dix jours nous devrions traverser la foret des flammes et arriver a la Faille avant que les teslas ne reprennent leur activite.

Apres son depart, j’ai bavarde un peu avec Semfa. Son mari est mort ici, il y a trois mois en temps local, des suites d’un accident d’exploitation. Elle-meme est originaire de Port-Romance. Son mariage avec Mikel l’avait arrachee a une existence sordide, et elle a prefere rester ici pour s’employer a de menus travaux plutot que de redescendre le fleuve. Je ne lui donne pas tort.

Apres un bon massage, j’irai me coucher. J’ai beaucoup reve de ma mere, ces temps derniers.

Dix jours. Il faut absolument que je sois pret dans dix jours.

Soixante-quinzieme jour :

Avant de partir avec Tuk, je suis descendu jusqu’aux paddies pour dire au revoir a Semfa. Elle a prononce peu de paroles, mais j’ai lu dans ses yeux sa tristesse de me voir partir. Sans l’avoir premedite, je l’ai benie, puis je l’ai embrassee sur le front. Tuk a souri en hochant la tete. Puis nous sommes partis en tirant derriere nous nos deux brics charges de materiel. Le contremaitre Orlandi nous a accompagnes jusqu’au bout de la route, et a longtemps agite la main quand nous nous sommes eloignes sur le sentier perce a travers la vegetation doree.

Domine, dirige nos.

Quatre-vingt-deuxieme jour :

Apres avoir marche durant une semaine sur la piste – si elle peut etre appelee ainsi – de la foret pluviale doree, apres avoir peniblement grimpe le versant conduisant au plateau des Pignons, nous avons emerge ce matin sur une eminence rocheuse qui domine une partie de la jungle d’ou nous venons, jusqu’au Bec et jusqu’a la mer du Mitan. Le plateau devant nous est a pres de trois mille metres d’altitude, et la vue d’ici est impressionnante malgre les gros nuages noirs qui forment, au-dessous de nous, un tapis moutonneux qui arrive au pied des collines des Pignons, cachant une partie des meandres du fleuve jusqu’a Port-Romance. On apercoit la mer, quelques coins de la foret doree qui nous a donne tant de mal, et une tache bleue, a l’est, qui serait, d’apres Tuk, la matrice inferieure des champs de fibroplastes avoisinant Perecebo.

Nous avons poursuivi notre route jusqu’a une heure avancee de l’apres-midi. Tuk a peur, visiblement, que nous ne soyons pris au piege dans la foret des flammes, lorsque les arbres de Tesla reprendront leur activite. J’ai du mal a soutenir son rythme, tirant derriere moi le bric lourdement charge qui rechigne a avancer, recitant des prieres muettes pour me detourner l’esprit de la douleur physique et des doutes qui m’assaillent.

Quatre-vingt-troisieme jour :

Avons charge les brics et nous sommes mis en route avant l’aube. Il y a dans l’air une odeur de fumee et de cendres.

Les changements dans la vegetation sont spectaculaires sur le plateau. Le vort et le chalme a feuilles jaunes, jusqu’ici omnipresents, se font rares. Apres avoir franchi un etage intermediaire de petits arbres toujours verts ou toujours bleus, nous avons traverse, sur un versant de plus en plus abrupt, des forets limitees mais denses de pinastres mutants et de tritrembles. Nous sommes enfin arrives a l’oree de la foret des flammes proprement dite, avec ses futaies de hauts promethees, ses bouquets de phenix partout presents et ses buissons circulaires de flamboyants ambres. Par endroits, nous sommes tombes sur des fourres impenetrables de ces abestes fourchus aux fibres blanchatres que Tuk decrit, dans son langage image et irreverencieux, comme les « pines put’efiees de geants ente’es pas assez p’ofond, sauf vot’ respect, mon pe’ ». Sur que mon guide a un certain sens de la poesie.

Notre premier tesla, nous ne l’avons apercu que peu avant la tombee de la nuit. Nous marchions sur des cendres depuis plus d’une heure, en nous efforcant de ne pas ecraser les pousses naissantes des phenix et des pyromeches qui percent cranement a travers le sol calcine, lorsque Tuk s’est arrete subitement en pointant l’index.

Le tesla, encore a cinq cents metres devant nous, devait faire au moins cent metres de haut, depassant d’un bon tiers le promethee le plus eleve des environs. Son faite en forme de bulbe, qui abrite sa poche accumulatrice, etait impressionnant. Les branches radiales de sa couronne etaient chargees de douzaines de lianes nimbiques dont l’eclat argente etincelait sur le fond du ciel vert et lapis. Tout cela evoquait pour moi quelque mosquee de la Nouvelle-Mecque aux formes elegantes et racees, irreverencieusement paree de guirlandes de metal.

— Il faut se ti’er d’la vite fait avec nos b’ics, a grogne Tuk en insistant pour que nous revetions sans plus attendre notre tenue specialement concue pour la foret des flammes.

Tout le reste de la journee, nous avons arpente la cendre avec nos masques a osmose et nos lourds brodequins a semelle isolante, transpirant sous plusieurs couches de tissu gamma epais comme du cuir. Les deux brics etaient de plus en plus nerveux, dressant leurs longues oreilles au moindre bruit. Meme a travers mon masque, cela sentait l’ozone, ce qui m’a rappele le train electrique avec lequel je jouais, enfant, le dimanche apres-midi, a Villefranche-sur-Saone.

Nous avons etabli notre camp pour la nuit aussi pres que possible d’un fourre d’abestes. Tuk m’a montre comment disposer le cercle de paravolts autour de nous. Mais il n’a pas cesse, en assemblant les tubes, de grommeler des avertissements sinistres et de lever la tete vers le ciel a l’affut du moindre nuage.

J’ai bien l’intention de passer une bonne nuit malgre tout.

Quatre-vingt-quatrieme jour :

Quatre heures du matin.

Sainte mere du Christ.

Cela fait trois heures que nous sommes plonges dans un cauchemar de fin du monde.

Les explosions ont debute peu apres minuit. Ce n’etaient que des craquements d’eclairs, au debut, et Tuk et moi avons eu le tort de passer la tete sous le rabat de la tente pour admirer le feu d’artifice. J’ai connu les orages de mousson du mois de Matthieu sur Pacem, aussi la premiere heure de fantasmagorie m’a-t-elle paru relativement familiere. Seule la vue des lointains teslas comme foyers invariables des formidables decharges electriques etait veritablement impressionnante. Mais bientot les geants de la foret se sont mis a flamboyer et a cracher leur energie accumulee. Puis, juste au moment ou je replongeais dans le sommeil malgre le tintamarre ininterrompu, l’apocalypse s’est dechainee.

Au moins une centaine d’arcs electriques durent se former pendant les dix premieres secondes de spasme energetique des teslas. Un promethee situe a moins d’une trentaine de metres de nous explosa, projetant des brandons du haut de ses cinquante metres sur le sol de la foret. Les tubes des paravolts rougeoyaient et sifflaient en deviant l’un apres l’autre les arcs de mort gresillants et bleutes qui harcelaient notre petit campement. Tuk me cria quelque chose, mais aucun son humain ne pouvait dominer le dechainement des flammes du ciel. Un bouquet de phenix s’embrasa soudain a quelques pas des brics entraves, et l’un de ces animaux terrifies, malgre le capuchon qui lui cachait les yeux, rompit son entrave et se precipita a travers le cercle de paravolts. Aussitot, une demi-douzaine d’eclairs issus du tesla le plus proche s’abattirent sur l’infortune animal. L’espace d’une folle seconde, j’aurais jure voir le squelette de l’animal briller d’une phosphorescence bleutee a travers ses chairs en ebullition. Puis il fit un bond spasmodique dans les airs et cessa tout simplement d’exister.

Il y a trois heures que nous contemplons ce spectacle de fin du monde. Deux des tubes du paravolt ont cede, mais les huit autres continuent de fonctionner. Tuk et moi sommes pelotonnes au c?ur brulant de notre

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