catholique au rang de culte a demi oublie et tolere uniquement a cause de son caractere bizarre et de son isolement par rapport aux courants principaux de la vie de l’Hegemonie, la logique jesuite n’avait nullement perdu de son mordant, et le pere Dure gardait la conviction que la Sainte Eglise Catholique et Apostolique continuait de representer pour l’humanite le meilleur et le dernier espoir d’immortalite.

Durant l’enfance de Lenar Hoyt, le pere Dure etait une sorte de figure divine qu’il avait eu l’occasion d’apercevoir en de rares occasions, lors des visites espacees du pretre au petit seminaire ou il etudiait, ou bien encore, plus tard, lorsque le jeune seminariste s’etait rendu, a deux ou trois reprises, au Nouveau-Vatican. Durant les etudes de Hoyt au grand seminaire, Dure etait deja sur des fouilles archeologiques importantes, patronnees par l’Eglise, sur la planete voisine d’Armaghast. Au retour du jesuite, quelques semaines apres l’ordination de Hoyt, cela avait ete la confusion. Personne, en dehors des plus hautes spheres du Nouveau-Vatican, ne savait exactement ce qui s’etait passe. Il circulait des bruits d’excommunication, et meme de comparution devant le Saint-Office de l’Inquisition, une congregation en sommeil depuis quatre cents ans en raison de la periode de trouble qui avait suivi la mort de la Terre.

Au lieu de tout cela, le pere Dure avait demande qu’on l’envoie sur Hyperion, une planete dont la plupart des gens ne connaissaient que le bizarre culte du gritche, qui y trouvait son origine, et le pere Hoyt avait ete designe pour l’accompagner. C’etait une mission ingrate, qui le ferait voyager sous les pires aspects combines d’apprenti, d’escorte et d’espion, sans meme la satisfaction de connaitre un monde nouveau. Il avait en effet pour instructions de veiller a ce que le pere Dure debarque a l’astroport d’Hyperion, puis de remonter a bord du meme vaisseau pour le voyage de retour au Retz. Tout ce que l’eveche offrait a Lenar Hoyt, c’etait vingt mois de fugue cryotechnique, encadres de quelques semaines de voyage a l’interieur du systeme, avec un deficit de temps qui le ferait retourner sur Pacem avec un retard de huit ans par rapport a ses ex-compagnons seminaristes dans leur quete d’une carriere au Nouveau-Vatican ou d’une affectation de missionnaire.

Lie par ses v?ux d’obeissance et rompu a la discipline sacerdotale, le pere Lenar Hoyt avait accepte sans rien demander.

Leur vaisseau de transport, le Nadia Oleg, n’etait qu’un vieux sabot rouilleux incapable de produire la moindre gravite artificielle quand il n’etait pas sous la poussee de ses reacteurs. Il n’offrait ni hublots ni distractions de bord, a l’exception des stimsims injectees dans l’inforeseau pour maintenir les passagers dans leurs hamacs ou dans leurs couchettes de fugue. Une fois sortis de leur etat de fugue, les voyageurs – pour la plupart des travailleurs originaires des planetes exterieures ou des touristes ayant choisi la classe economique, avec, pour faire bonne mesure, une proportion non negligeable de mystiques du gritche et autres candidats au suicide – dormaient dans le meme hamac ou la meme couchette, mangeaient de la nourriture recyclee dans des refectoires infames, et se debrouillaient, de maniere generale, comme ils pouvaient pour lutter contre l’ennui et le mal de l’espace durant les douze jours en impesanteur que durait la descente sur Hyperion a partir du point de sortie du spin.

Le pere Hoyt n’apprit pas grand-chose du pere Dure pendant ces journees d’intimite forcee. Il n’eut pas, en particulier, le moindre eclaircissement sur les evenements d’Armaghast qui avaient envoye son aine en exil. Le jeune pretre avait programme son implant persoc pour qu’il lui fournisse le plus possible de donnees sur Hyperion, et il se considerait deja, a trois jours de l’arrivee a la surface, comme un expert sur tout ce qui touchait a cette planete.

— De nombreux catholiques se rendent sur Hyperion, mais il n’est fait mention de l’existence d’aucun diocese sur cette planete, avait murmure Hoyt un soir ou ils bavardaient dans leurs hamacs a gravite zero pendant que la plupart des autres passagers etaient plonges dans des stimsims erotiques. Je presume que vous etes charge d’y etablir une mission d’evangelisation ?

— Nullement, avait repondu le pere Dure. Les braves gens d’Hyperion n’ont jamais cherche a m’imposer leurs croyances religieuses, aussi je ne vois pas pourquoi je les agresserais de mon proselytisme. En verite, mon intention est de gagner le continent meridional, Aquila, et de m’enfoncer a l’interieur des terres a partir de la ville de Port-Romance. Mais je ne porterai pas l’habit d’un missionnaire. Je m’efforcerai de mettre en place une station de recherches ethnologiques le long de la Faille.

— Une station de recherches ? avait repete le pere Hoyt, surpris.

Il avait ferme a demi les paupieres pour consulter son implant. Puis il avait regarde de nouveau le pere Dure dans les yeux en disant :

— Ce secteur du plateau du Pignon est inhabite. Les forets des flammes en interdisent totalement l’acces durant la majeure partie de l’annee.

Le pere Dure sourit tout en hochant la tete. Il n’avait pas d’implant, et son antique persoc n’avait pas quitte ses bagages de toute la duree du voyage.

— Il existe un acces, dit-il. Et la region n’est pas tout a fait inhabitee. Les Bikuras l’occupent.

— Les Bikuras…, fit le pere Hoyt en fermant les yeux…, ne sont qu’une legende.

— Hum… Cherchez sous la rubrique « Mamet Spedling ».

Le pere Hoyt ferma de nouveau les yeux. L’index general lui apprit que Mamet Spedling etait un explorateur de second ordre, affilie a l’Institut Shackleton, sur Renaissance Minor, pres d’un siecle et demi standard plus tot. Il avait communique a l’Institut un bref rapport dans lequel il relatait son expedition a l’interieur des terres a partir de la toute nouvelle Port-Romance, a travers des marecages qui avaient ete depuis reconvertis en plantations pour l’exploitation des fibroplastes. Il disait avoir traverse les forets des flammes a la faveur d’une de leurs rares periodes d’inactivite, et grimpe assez haut sur le plateau du Pignon pour arriver jusqu’a la Faille et rencontrer une minuscule tribu d’humains qui correspondaient a la description des legendaires Bikuras.

Les courtes explications de Spedling faisaient etat d’une hypothese selon laquelle ces humains auraient ete les survivants d’une colonie appartenant a un vaisseau d’ensemencement porte disparu trois siecles auparavant. D’apres la description donnee par l’explorateur, il etait clair que le groupe presentait tous les symptomes d’une degenerescence culturelle classique due a l’isolement total, a la consanguinite et a une adaptation trop poussee. Assez brutalement, Spedling ecrivait : « Il suffit de passer quelques heures avec eux pour constater que ces Bikuras sont trop stupides, lethargiques et primitifs pour meriter d’etre etudies serieusement. » En fait, la foret des flammes menacait de reprendre son activite, et Spedling ne tenait pas a perdre davantage de temps en leur compagnie. Il avait donc repris le chemin de la cote a marches forcees, perdant quatre de ses porteurs indigenes, la totalite de son equipement et de ses papiers, et meme son bras gauche au cours des trois mois qui lui furent necessaires pour traverser la foret durant cette periode d’« inactivite ».

— Mon Dieu ! s’etait exclame le pere Hoyt en se laissant aller en arriere au creux de son hamac. Mais pourquoi tenez-vous a retrouver ces Bikuras ?

— Pourquoi pas ? avait simplement repondu le pere Dure. Nous avons si peu de renseignements sur eux.

— Nous ne savons presque rien d’Hyperion en general, avait replique nerveusement Hoyt. Pourquoi pas les Tombeaux du Temps, ou le legendaire gritche, au nord de la Chaine Bridee d’Equus ? Ils ont au moins le merite d’etre celebres.

— Justement, murmura le pere Dure. De combien d’etudes savantes ont-ils ete l’objet ? Des centaines, peut-etre. Des milliers, meme.

Le vieux pretre avait entrepris de bourrer sa pipe et de l’allumer, ce qui n’etait pas un mince exploit sous gravite zero.

— D’ailleurs, reprit-il, meme si cette creature qu’on appelle le gritche a une existence reelle, elle n’est pas d’essence humaine. Et j’ai un faible pour ce qui est humain.

— Je vois, avait dit Hoyt, cherchant desesperement quelque argument puissant a lui opposer. Mais les Bikuras ne constituent qu’un mystere mineur. Tout ce que vous pouvez vous attendre a trouver, au mieux, c’est quelques douzaines de sauvages vivant dans une region si brumeuse, si reculee et… si peu importante que meme les satellites cartographiques de la colonie ne les ont jamais reperes. Pourquoi les choisir comme sujet d’etude alors qu’il reste sur Hyperion de grands mysteres a elucider, comme les labyrinthes ? Saviez-vous, pere Dure, qu’Hyperion fait partie des neuf planetes labyrinthiennes ?

— Naturellement, repliqua Dure en exhalant un nuage de fumee approximativement hemispherique que les courants d’air, au bout d’un moment, effilocherent en une serie d’arborescences dentelees. Mais les labyrinthes ont deja leurs chercheurs et leurs admirateurs dans tout le Retz, Lenar, et leurs galeries existent sur les neuf mondes depuis… je ne sais pas, moi… un demi-million d’annees standard, peut-etre. Sept cent cinquante mille ans, plus probablement. Leur secret n’est pas pres d’etre perce. Mais combien de temps encore durera la culture

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