avec ca ! »
Chris voyait ce qu’elle voulait dire mais son opinion etait que d’ici quelques mois ils remarqueraient a peine l’existence de cette ultime blague de Gaia.
Cela avait resolu un probleme mais la nature meme de la solution leur interdisait de la divulguer a quiconque. En y repensant, l’un et l’autre avaient trouve bizarre que malgre toutes les analyses effectuees sur Gaia et les experiences multiples des pelerins venus se faire soigner, aucun livre n’avait jamais fait mention du Grand Plongeon. La raison en etait simple : Gaia voulait que personne n’en parle. Ni qu’on discute de quoi que ce soit concernant son epreuve ou celle des autres ; pratiquement, il etait impossible aux pelerins de Gaia de mentionner qu’on exigeait d’eux absolument n’importe quoi sous pretexte de traitement.
Chris etait persuade que c’etait le secret le mieux garde du siecle. A l’instar des milliers d’autres a le partager, il n’etait pas etonne que personne ne l’eut devoile. Robin et lui avaient eprouve l’irresistible envie de tester le dispositif de securite dont on leur avait mentionne l’existence, peu apres leur retour a Titanville.
Ni l’un ni l’autre n’avait envie de recommencer. Chris n’en etait pas fier mais il savait que c’etait vrai : Gaia l’avait gratifie d’un blocage psychologique. Avec toutefois une certaine flexibilite : il pouvait en parler librement avec Robin ou quiconque etait deja au courant. Mais qu’il s’avise de raconter a d’autres le Grand Plongeon, ses aventures en Gaia ou bien les exploits de n’importe quel pelerin en quete d’une guerison miracle, et il ressentirait une douleur si intense qu’elle le rendrait incapable de proferer le moindre mot. Cela commencait par l’estomac avant d’irradier bientot dans tous les muscles, comme si des serpents chauffes a blanc lui transpercaient la chair.
Il n’existait aucune echappatoire ; c’est du moins ce qu’on lui avait dit. La non plus, il sut qu’il ne ferait pas un nouvel essai : s’il tentait de retranscrire ses experiences par ecrit, le resultat etait identique. Aux questions qui empietaient sur le domaine interdit, il ne pouvait pas meme repondre par oui ou par non ; « rien a declarer » etait permis et « melez-vous de vos affaires » vivement conseille. Mais le plus sur encore etait de ne rien repondre du tout.
Ce systeme degageait une certaine beaute pour qui n’en etait pas la victime. A ce que Chris en savait, il etait infaillible. Tous les visiteurs pour Gaia devaient emprunter son reseau de capsules elevatrices pour gagner, ne serait-ce que l’interieur de la jante, a partir des appontements exterieurs et, dans le processus, on les endormait et on les examinait avant de les relacher. Nul ne pouvait quitter Gaia, detenteur de connaissances prohibees, sans recevoir un blocage.
Chris avait donc juge plus sur d’observer la plus absolue prudence avec quiconque, hormis Robin, Valiha et les autres Titanides. D’autres humains en Gaia savaient ce qu’il savait, mais il etait difficile de les distinguer avec certitude. S’il ne tombait pas juste, il sentait une decharge annonciatrice, analogue a une rage de dents, des lors qu’il ouvrait la bouche pour evoquer son periple. Il n’en fallait pas plus : une seule dose du conditionnement repulsif de Gaia avait suffi.
Robin avait rempli son sac et passait a present au suivant. Chris la vit prendre un petit thermometre, l’examiner, puis le fourrer dans le sac. Il imaginait sans peine son probleme. Une grande partie de son equipement avait acquis une valeur sentimentale. Qui plus est, depuis leur retour, ils avaient l’impression que chaque Titanide sans exception desirait passer leur faire don de quelque adorable babiole. Il n’y avait plus assez d’etageres chez Valiha pour y exposer tout son butin.
« Je ne saisis toujours pas », dit Robin tout en emballant soigneusement dans des mouchoirs en papier un service de table en bois delicatement ouvrage. « Ce n’est pas que je m’en plaigne – sauf que je ne sais pas comment emballer le tout – mais, en quoi avons-nous merite tout ce fourbi ? Nous n’avons rien fait pour elles !
— Valiha l’a explique ; en un sens, nous sommes plus ou moins des celebrites. Pas autant que Cirocco, mais nous etions des pelerins et nous sommes revenus gueris : c’est donc que Gaia nous a consideres comme des heros. Ce qui signifie que nous meritons des cadeaux. Et puis, les Titanides se defendent a longueur de temps d’etre superstitieuses mais pour qu’on ait survecu a de telles epreuves, elles supposent qu’on beneficie d’une sacree veine. Et, en nous faisant plaisir, elles esperent en recolter une partie, au moment du prochain Carnaval. » Il regarda ses mains. « Avec moi, il y a une autre raison. Appelle ca le comite d’accueil, ou la poignee de riz. Je vais faire partie de leur communaute et elles desirent que je me sente chez moi. »
Robin leva les yeux sur lui, ouvrit la bouche pour dire quelque chose puis la referma. Elle reprit son paquetage.
« Tu penses que je fais une erreur.
— Je n’ai pas dit ca. Je suppose que je ne le dirais pas, meme si je le pensais ; mais je ne crois pas. Je sais ce que represente pour toi Valiha. Du moins, je pense le savoir, bien que je n’aie personnellement jamais eprouve un tel sentiment.
— Je crois bien que
Robin leva les mains, se tourna et lui cria : « Mais ecoute-toi un peu ! Brusquement, c’est
— Puis-je m’excuser ?
— Encore une minute, je n’ai pas fini de crier », mais elle haussa les epaules, s’assit sur le lit a ses cotes et poursuivit d’une voix plus calme : « Je ne sais pas non plus si je ne fais pas une erreur. Trini…» Elle hocha furieusement la tete. « Mes yeux se sont ouverts sur un tas de choses qui n’ont pas toutes ete desagreables. J’ai peur qu’apres les changements que j’ai subis, la vie chez moi ne devienne difficile a supporter. Et a propos de chez moi, certains jours, c’est a peine si je parviens a m’en souvenir. J’ai l’impression d’etre ici depuis un million d’annees. J’ai appris qu’une partie de ce que croient mes s?urs n’est que pur conte de fees et je ne me sens pas capable de le leur annoncer.
— Quoi, par exemple ? »
Elle le regarda de biais et le coin de ses levres se retroussa. « Tu veux le rapport final de la femme venue de Mars, hein ? D’accord, ce que j’ai appris avec certitude, c’est que le penis de l’homme n’est pas aussi long que mon bras, quels que soient ses desirs. Ma mere s’est completement gouree la-dessus. Elle se plantait aussi en affirmant que tous les hommes passaient leur temps a vouloir violer toutes les femmes. Et que tous les hommes etaient mauvais.
« Mais j’ai beaucoup discute avec Trini, ces jours derniers. C’etait la premiere fois que j’avais l’occasion de passer du temps avec une femme au fait de la societe terrestre. J’ai pu constater qu’on avait quelque peu exagere : le systeme de repression et d’exploitation n’est pas aussi dur ni apparent qu’on me l’avait laisse croire mais il est la malgre tout, meme un siecle apres le depart de mes s?urs. Je me suis demande si je ne devrais pas suggerer quelques changements au Covent ; et ma reponse est non. Si j’avais decouvert une societe parfaitement egalitaire, peut-etre ma reponse aurait-elle ete differente et encore, je n’en suis pas certaine. A quoi bon ? Nous nous debrouillons bien. Nous n’avons rien d’anormal. Rares, bien rares parmi mes s?urs sont celles qui pourraient jamais se fier a un homme, sans parler de l’aimer. Alors, que pourrions-nous bien faire sur Terre ?
— Je ne vois vraiment pas, en effet. » Puis, craignant de paraitre trop desapprobateur, il ajouta : « Je n’ai rien contre le Covent. Je ne te demandais pas de defendre ton mode de vie. Il n’a pas besoin d’etre defendu. »
Robin haussa les epaules. « Peut-etre que si, en partie, sinon je n’aurais pas saute la-dessus aussi vite. Mais ca ne me derange pas trop. Au debut, j’aurai du mal a la boucler sur certains des sujets que j’ai appris mais ca me fera un excellent entrainement pour les autres points ou je devrai la boucler. »
Ils resterent assis ensemble quelque temps sans mot dire, chacun drape dans ses reflexions. Chris songeait a ce qui, il le sentait, avait failli se produire entre eux – ou plutot a cette porte qui s’etait presque ouverte pour laisser entrevoir cette eventualite… Les speculations etaient vaines. Il avait eprouve un profond respect et beaucoup d’affection pour la frele jeune femme qu’elle avait ete. A present, elle etait quelque peu assagie, mais loin d’etre soumise et son affection pour elle demeurait inchangee.
Il eut une idee et decida de la risquer :
« Je ne m’inquieterais pas trop au sujet de ton integration dans la communaute, lanca-t-il.