— Que veux-tu dire ?
— Ton nouveau doigt : il doit falloir un labra terrible pour arriver a en faire repousser un ! »
Elle contempla sa main quelques instants puis eut un sourire malicieux : « Tu sais, je crois que t’as raison. »
Il s’approcha de l’unique fenetre de la chambre et regarda Valiha qui l’attendait patiemment au pied de l’escalier.
« A quelle heure part ton vaisseau ? »
Elle consulta son bracelet-montre et Chris sourit. Il en portait un, lui aussi. Ils partageaient ce meme desir de savoir l’heure en permanence.
« Il me reste encore un deca… dix heures.
— Valiha a prepare un pique-nique. Elle avait en tete un coin frais et sympa pres du fleuve. On comptait de toute facon t’inviter mais a present, ca pourra tenir lieu de repas d’adieux. Tu veux venir ? »
Elle lui sourit : « Avec plaisir. Le temps d’emballer tout ce fourbi. »
Il l’aida et bientot, trois sacs boursoufles s’alignaient sur le plancher. Robin en souleva deux puis se battit pour prendre le troisieme.
« Je peux t’aider ?
— Non ! Je suis bien capable de… mais, qu’est-ce que je raconte ? Je vais prendre ces deux-la et toi, tu portes celui-ci. On peut les laisser a la reception : ils se chargeront de les expedier au vaisseau. »
Il la suivit hors de la chambre et dans l’escalier puis il l’aida a enregistrer ses bagages. Ils rejoignirent Valiha et Serpent et tous les quatre quitterent d’un pas tranquille le couvert de l’arbre de Titanville pour se retrouver sous l’arche titanesque de la fenetre d’Hyperion. La journee etait torride et d’Ocean soufflait une brise legere, annonciatrice d’un temps plus frais. Une brume flottait dans l’air en provenance d’un point lointain sur les hauts plateaux, la ou l’aviation de Cirocco avait decouvert une creature productrice de carburant, apparentee aux bombourdons et leurs allies. Elle brulait depuis un demi-kilorev.
L’air etait doux malgre tout, empli de l’odeur des bles titanides murissants et purifie de toute menace. Ils marchaient sur un sentier poudreux, sinuant entre les vagues des collines. Et la courbe puissante de Gaia se refermait de part et d’autre, comme les bras enveloppants d’une mere.
Ils etalerent la nappe sur les berges de l’Ophion. Tandis qu’ils mangeaient, Chris observait le fleuve en se demandant combien de fois ses eaux avaient coule devant cet endroit et combien de fois encore le fleuve accomplirait son periple avant que ne s’acheve la longue vie de Gaia. Lorsque les Titanides se mirent a chanter, il se joignit a leur ch?ur sans reserve. Au bout d’un moment, Robin chanta elle aussi. Ils rirent, ils burent, pleurerent un peu et chanterent jusqu’a ce que vienne l’heure du depart.
EPILOGUE
Semper Fidelis
La roue tournait toujours et Gaia etait toujours seule.
Le vaisseau de mort terrien n’avait toujours pas bouge de place, rencogne dans le puits de gravitation de Saturne. Son equipage etait releve tous les ans, pour eviter l’ennui qu’engendrait une telle affectation. Toutes les decennies, sa cargaison d’armes nucleaires etait inspectee et l’on procedait au remplacement des charges defectueuses.
Ce n’etait pas une vaine menace mais Gaia l’ignorait malgre tout. Elle ne leur offrirait jamais un pretexte pour attaquer. Aussi longtemps que la Terre aurait besoin d’elle, elle serait parfaitement tranquille et elle veillerait a ce que la Terre ait effectivement besoin d’elle. Il aurait ete politiquement inconcevable de la contester, dans n’importe quelle dictature ou democratie du globe. Meme si elle etait tombee dans l’oreille de Terriens, l’histoire des epreuves n’aurait cause qu’un malaise momentane, sans plus. Gaia avait un millier de dons en reserve. Son systeme de securite n’etait la que pour son propre plaisir : ca l’amusait de voir les pelerins arriver dans l’ignorance complete.
C’etait par mesure de confiance qu’elle evaluait le risque terrien legerement en dessous de celui, nouveau, presente par la Sorciere renegate et ce risque lui-meme etait si minime qu’il en etait presque negligeable. Mais Gaia etait un etre prudent. Tout la-haut dans le moyeu, ses pensees tourbillonnaient plus vite que la lumiere au sein de la matiere cristalline d’un espace dont l’existence meme etait un defi aux lois de la physique humaine. De grands trous beaient dans cette matrice, tels les alveoles de dents cariees et pourtant, meme declinant, son esprit avait encore de quoi defier la capacite de tous les ordinateurs humains reunis.
La reponse etait celle qu’elle prevoyait : Cirocco n’etait en rien une menace.
Les hauts plateaux etaient uniques en Gaia. Bien que chaque kilometre de leur etendue fut associe a l’un ou l’autre des cerveaux regionaux, le controle qui pouvait s’exercer a une telle distance des centres de decision demeurait negligeable. En un sens, c’etait un territoire neutre.
Dans la zone crepusculaire separant Rhea d’Hyperion, loin au-dessus des terres, aux confins les plus inaccessibles des hauts plateaux, une Titanide solitaire montait la garde a l’entree d’une caverne. Elle entendit un bruit a l’interieur, se retourna et entra.
Cirocco Jones, naguere encore Sorciere de Gaia mais qu’on appelait a present le Demon, s’etait reveillee et se tordait sur sa couche, prise d’une sueur froide. Elle etait nue, et si maigre qu’on lui voyait les cotes. Ses yeux etaient profondement enfonces.
Cornemuse vint a elle et la retint jusqu’a ce que cessent ses tremblements.
Elle avait retrouve une reserve de liqueur peu apres son atterrissage a Hyperion, bien que l’Atelier de Musique eut ete ecrase par le phenomene le plus singulier qu’on ait jamais vu en Gaia : une pluie de cathedrales. Cornemuse l’avait trouvee et ramenee a la caverne. Non loin fleurissaient un milliard de plans de coca.
Il lui releva la tete pour l’aider a boire une tasse d’eau. Quand elle toussa, il la rallongea.
Mais bientot ses yeux s’ouvrirent. Elle parvint a s’asseoir toute seule, pour la premiere fois depuis de longs jours. Cornemuse regarda dans ces yeux, il y decouvrit ce feu qu’il avait vu si longtemps avant, et il jubila.
Gaia entendrait parler du Demon.
Notes
1
2