rien d’extraordinaire ! Rien en tous cas qui puisse se comparer a ce que vous allez composer, monsieur.

BALDINI.

— Non, naturellement.

CHENIER.

— Cela vous a une odeur extremement banale, cet « Amor et Psyche ».

BALDINI.

— Une odeur vulgaire ?

CHENIER.

— Tout a fait vulgaire, comme tout ce que fait Pelissier. Je crois qu’il y a dedans de l’huile de limette.

BALDINI.

— Pas possible ! Et quoi encore ?

CHENIER.

— Peut-etre de l’essence de fleur d’oranger. Et peut-etre de la teinture de romarin. Mais je ne saurais le dire avec certitude.

BALDINI.

— D’ailleurs, ca m’est completement egal.

CHENIER.

— Evidemment.

BALDINI.

— Je me fiche completement de ce que cet incapable de Pelissier a bien pu gacher dans son parfum. Je ne m’en inspirerai meme pas !

CHENIER.

— Et vous aurez bien raison, monsieur.

BALDINI.

— Comme vous le savez, je ne m’inspire jamais de personne. Comme vous le savez, mes parfums sont le fruit de mon travail.

CHENIER.

— Je le sais, monsieur.

BALDINI.

— Ce sont des enfants que je porte et que je mets au monde tout seul !

CHENIER.

— Je sais.

BALDINI.

— Et je songe a creer pour le comte de Verhamont quelque chose qui fera veritablement fureur.

CHENIER.

— J’en suis convaincu, monsieur.

BALDINI.

— Vous vous chargez de la boutique. J’ai besoin d’etre tranquille. Faites en sorte que j’aie la paix, Chenier...

Il dit et, sans plus rien d’imposant desormais, courbe comme il seyait a son age et meme avec une allure de chien battu, il s’eloigna en trainant les pieds et gravit lentement l’escalier qui menait au premier etage, ou se trouvait son laboratoire.

Chenier prit derriere le comptoir la place et exactement la meme pose que son maitre, le regard rive sur la porte. Il savait ce qui allait se passer au cours des prochaines heures : dans la boutique, rien, et dans le laboratoire, la-haut, la catastrophe habituelle. Baldini allait oter son habit bleu impregne de frangipane, s’asseoir a son bureau et attendre l’inspiration. L’inspiration ne viendrait pas. Sur quoi Baldini se precipiterait sur l’armoire contenant des centaines de flacons d’echantillons et fabriquerait un melange au petit bonheur. Ce melange serait rate. Baldini profererait des jurons, ouvrirait lentement la fenetre et

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