— Croyez-vous, reprit-elle, que, dans aucune cour, un souverain possede une fourrure semblable ?

— Elle est digne de celle qui la porte.

— Et que vous trouvez bien belle ?

— Les mots humains ne lui sont pas applicables, il faut lui parler de c?ur a c?ur.

— Wilfrid, vous etes bon d’endormir mes douleurs par de douces paroles… que vous avez dites a d’autres.

— Adieu.

— Restez. Je vous aime bien vous et Minna, croyez-le ! Mais je vous confonds en un seul etre. Reunis ainsi, vous etes un frere ou, si vous voulez, une s?ur pour moi.

Mariez-vous, que je vous voie heureux avant de quitter pour toujours cette sphere d’epreuves et de douleurs. Mon Dieu, de simples femmes ont tout obtenu de leurs amants ! Elles leur ont dit :

— Taisez-tous ! Ils ont ete muets. Elles leur ont dit :

— Mourez ! Ils sont morts. Elles leur ont dit :

— Aimez-moi de loin ! Ils sont restes a distance comme les courtisans devant un roi. Elles leur ont dit :

— Mariez-vous ! Ils se sont maries. Moi, je veux que vous soyez heureux, et vous me refusez. Je suis donc sans pouvoir ? Eh ! bien, Wilfrid, ecoutez, venez plus pres de moi, oui, je serais fachee de vous voir epouser Minna ; mais quand vous ne me verrez plus, alors…. promettez-moi de vous unir, le ciel vous a destines l’un a l’autre.

— Je vous ai delicieusement ecoutee, Seraphita. Quelque incomprehensibles que soient vos paroles, elles ont des charmes. Mais que voulez-vous dire ?

— Vous avez raison, j’oublie d’etre folle, d’etre cette pauvre creature dont la faiblesse vous plait. Je vous tourmente, et vous etes venu dans cette sauvage contree pour y trouver le repos, vous, brise par les impetueux assauts d’un genie meconnu, vous, extenue par les patients travaux de la science, vous qui avez presque trempe vos mains dans le crime et porte les chaines de la justice humaine.

Wilfrid etait tombe demi-mort sur le tapis, mais Seraphita souffla sur le front de cet homme qui s’endormit aussitot paisiblement a ses pieds.

— Dors, repose-toi, dit-elle en se levant.

Apres avoir impose ses mains au-dessus du front de Wilfrid, les phrases suivantes s’echapperent une a une de ses levres, toutes differentes d’accent, mais toutes melodieuses et empreintes d’une bonte qui semblait emaner de sa tete par ondees nuageuses, comme les lueurs que la deesse profane verse chastement sur le berger bien- aime durant son sommeil.

« Je puis me montrer a toi, cher Wilfrid, tel que je suis, a toi qui es fort.

«  L’heure est venue, l’heure ou les brillantes lumieres de l’avenir jettent leurs reflets sur les ames, l’heure ou l’ame s’agite dans sa liberte.

«  Maintenant il m’est permis de te dire combien je t’aime. Ne vois-tu pas quel est mon amour, un amour sans aucun propre interet, un sentiment plein de toi seul, un amour qui te suit dans l’avenir, pour t’eclairer l’avenir ? car cet amour est la vraie lumiere.

Concois-tu maintenant avec quelle ardeur je voudrais te savoir quitte de cette vie qui te pese, et te voir plus pres que tu ne l’es encore du monde ou l’on aime toujours. N’est-ce pas souffrir que d’aimer pour une vie seulement ? N’as-tu pas senti le gout des eternelles amours ? Comprends-tu maintenant a quels ravissements une creature s’eleve, alors qu’elle est double a aimer celui qui ne trahit jamais l’amour, celui devant lequel on s’agenouille en adorant.

«  Je voudrais avoir des ailes, Wilfrid, pour t’en couvrir, avoir de la force a te donner pour te faire entrer par avance dans le monde ou les plus pures joies du plus pur attachement qu’on eprouve sur cette terre feraient une ombre dans le jour qui vient incessamment eclairer et rejouir les c?urs.

«  Pardonne a une ame amie, de t’avoir presente en un mot le tableau de tes fautes, dans la charitable intention d’endormir les douleurs aigues de tes remords. Entends les concerts du pardon ! Rafraichis ton ame en respirant l’aurore qui se levera pour toi par dela les tenebres de la mort. Oui, ta vie a toi, est par dela !

«  Que mes paroles revetent les brillantes formes des reves, qu’elles se parent d’images, flamboient et descendent sur toi. Monte, monte au point ou tous les hommes se voient distinctement, quoique presses et petits comme des grains de sable au bord des mers. L’humanite s’est deroulee comme un simple ruban ; regarde les diverses nuances de cette fleur des jardins celestes ? vois-tu ceux auxquels manque l’intelligence, ceux qui commencent a s’en colorer, ceux qui sont eprouves, ceux qui sont dans l’amour, ceux qui sont dans la sagesse et qui aspirent au monde de lumiere ?

«  Comprends-tu par cette pensee visible la destinee de l’humanite ? d’ou elle vient, ou elle va ? Persiste en ta voie ! En atteignant au but de ton voyage, tu entendras sonner les clairons de la toute-puissance, retentir les cris de la victoire, et des accords dont un seul ferait trembler la terre, mais qui se perdent dans un monde sans orient et sans occident.

«  Comprends-tu, pauvre cher eprouve, que, sans les engourdissements, sans les voiles du sommeil, de tels spectacles emporteraient et dechireraient ton intelligence, comme le vent des tempetes emporte et dechire une faible toile, et raviraient pour toujours a un homme sa raison ? comprends-tu que l’ame seule, elevee a sa toute- puissance, resiste a peine, dans le reve, aux devorantes communications de l’Esprit ?

«  Vole encore a travers les spheres brillantes et lumineuses, admire, cours. En volant ainsi, tu te reposes, tu marches sans fatigue. Comme tous les hommes, tu voudrais etre toujours ainsi plonge dans ces spheres de parfums, de lumiere ou tu vas, leger de tout ton corps evanoui, ou tu parles par la pensee ! Cours, vole, jouis un moment des ailes que tu conquerras, quand l’amour sera si complet en toi que tu n’auras plus de sens, que tu seras tout intelligence et tout amour ! Plus haut tu montes et moins tu concois les abimes ! il n’existe point de precipices dans les cieux. Vois celui qui te parle, celui qui te soutient au-dessus de ce monde ou sont les abimes. Vois, contemple-moi encore un moment, car tu ne me verras plus qu’imparfaitement, comme tu me vois a la clarte du pale soleil de la terre. »

Seraphita se dressa sur ses pieds, resta, la tete mollement inclinee, les cheveux epars, dans la pose aerienne que les sublimes peintres ont tous donnee aux Messagers d’en haut : les plis de son vetement eurent cette grace indefinissable qui arrete l’artiste, l’homme qui traduit tout par le sentiment, devant les delicieuses lignes du voile de la Polymnie antique. Puis elle etendit la main, et Wilfrid se leva. Quand il regarda Seraphita, la blanche jeune fille etait couchee sur la peau d’ours, la tete appuyee sur sa main, le visage calme, les yeux brillants. Wilfrid la contempla silencieusement, mais une crainte respectueuse animait sa figure, et se trahissait par une contenance timide.

— Oui, chere, dit-il enfin comme s’il repondait a une question, nous sommes separes par des mondes entiers. Je me resigne, et ne puis que vous adorer. Mais que vais-je devenir, moi pauvre seul ?

— Wilfrid, n’avez-vous pas votre Minna ?

Il baissa la tete.

— Oh ! ne soyez pas si dedaigneux : la femme comprend tout par l’amour ; quand elle n’entend pas, elle sent ; quand elle ne sent pas, elle voit ; quand elle ne voit, ni ne sent, ni n’entend, eh ! bien, cet ange de la terre vous devine pour vous proteger, et cache ses protections sous la grace de l’amour.

— Seraphita, suis-je digne d’appartenir a une femme ?

— Vous etes devenu soudain bien modeste, ne serait-ce pas un piege ? Une femme est toujours si touchee de voir sa faiblesse glorifiee ! Eh, bien, apres demain soir, venez prendre le the chez moi ; le bon monsieur Becker y sera ; vous y verrez Minna, la plus candide creature que je sache en ce monde. Laissez-moi maintenant, mon ami, j’ai ce soir de longues prieres a faire pour expier mes fautes.

— Comment pouvez-vous pecher ?

— Pauvre cher, abuser de sa puissance, n’est-ce pas de l’orgueil ? je crois avoir ete trop orgueilleuse aujourd’hui. Allons, partez. A demain.

— A demain, dit faiblement Wilfrid en jetant un long regard sur cette creature de laquelle il voulait emporter une image ineffacable.

Quoiqu’il voulut s’eloigner, il demeura pendant quelques moments debout, occupe a regarder la lumiere qui brillait par les fenetres du chateau suedois.

— Qu’ai-je donc vu ? se demandait-il. Non, ce n’est point une simple creature, mais toute une creation. De ce monde, entrevu a travers des voiles et des nuages, il me reste des retentissements semblables aux souvenirs d’une douleur dissipee, ou pareils aux eblouissements causes par ces reves dans lesquels nous entendons le

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