Blanchefleur comme un cher present nuptial, lui dit :
« Roi Marc, celui-ci est Tristan de Loonnois, votre neveu, fils de votre s?ur Blanchefleur et du roi Rivalen. Le duc Morgan tient sa terre a grand tort ; il est temps qu'elle fasse retour au droit heritier. »
Et je dirai brievement comment Tristan, ayant recu de son oncle les armes de chevalier, franchit la mer sur les nefs de Cornouailles, se fit reconnaitre des anciens vassaux de son pere, defia le meurtrier de Rivalen, l'occit et recouvra sa terre.
Puis il songea que le roi Marc ne pouvait plus vivre heureusement sans lui, et comme la noblesse de son c?ur lui revelait toujours le parti le plus sage, il manda ses comtes et ses barons et leur parla ainsi :
« Seigneurs de Loonnois, j'ai reconquis ce pays et j'ai venge le roi Rivalen par l'aide de Dieu et par votre aide. Ainsi j'ai rendu a mon pere son droit. Mais deux hommes, Rohalt, et le roi Marc de Cornouailles, ont soutenu l'orphelin et l'enfant errant, et je dois aussi les appeler peres ; a ceux-la, pareillement, ne dois-je pas rendre leur droit ? Or, un haut homme a deux choses a lui : sa terre et son corps. Donc, a Rohalt, que voici, j'abandonnerai ma terre : pere, vous la tiendrez et votre fils la tiendra apres vous. Au roi Marc, j'abandonnerai mon corps ; je quitterai ce pays, bien qu'il me soit cher, et j'irai servir mon seigneur Marc en Cornouailles. Telle est ma pensee ; mais vous etes mes feaux, seigneurs de Loonnois, et me devez le conseil ; si donc l'un de vous veut m'enseigner une autre resolution, qu'il se leve et qu'il parle ! »
Mais tous les barons le louerent avec des larmes, et Tristan, emmenant avec lui le seul Gorvenal, appareilla pour la terre du roi Marc.
Chapitre 2 LE MORHALT D’IRLANDE
Quand Tristan y rentra, Marc et toute sa baronnie menaient grand deuil. Car le roi d'Irlande avait equipe une flotte pour ravager la Cornouailles, si Marc refusait encore, ainsi qu’il faisait depuis quinze annees, d’acquitter un tribut jadis paye par ses ancetres. Or, sachez que, selon d’anciens traites d’accord, les Irlandais pouvaient lever sur la Cornouailles, la premiere annee trois cents livres de cuivre, la deuxieme annee trois cents livres d'argent fin et la troisieme trois cents livres d'or. Mais quand revenait la quatrieme annee, ils emportaient trois cents jeunes garcons et trois cents jeunes filles, de l'age de quinze ans, tires au sort entre les familles de Cornouailles. Or, cette annee, le roi avait envoye vers Tintagel, pour porter son message, un chevalier geant, le Morholt, dont il avait epouse la s?ur, et que nul n'avait jamais pu vaincre en bataille. Mais le roi Marc, par lettres scellees, avait convoque a sa cour tous les barons de sa terre, pour prendre leur conseil.
Au terme marque, quand les barons furent assembles dans la salle voutee du palais et que Marc se fut assis sous le dais, le Morholt parla ainsi :
« Roi Marc, entends pour la derniere fois le mandement du roi d'Irlande, mon seigneur. Il te semond de payer enfin le tribut que tu lui dois. Pour ce que tu l'as trop longtemps refuse, il te requiert de me livrer en ce jour trois cents jeunes garcons et trois cents jeunes filles, de l'age de quinze ans, tires au sort entre les familles de Cornouailles. Ma nef, ancree au port de Tintagel, les emportera pour qu'ils deviennent nos serfs. Pourtant, – et je n'excepte que toi seul, roi Marc, ainsi qu'il convient, – si quelqu'un de tes barons veut prouver par bataille que le roi d'Irlande leve ce tribut contre le droit, j'accepterai son gage. Lequel d'entre vous, seigneurs cornouaillais, veut combattre pour la franchise de ce pays ? »
Les barons se regardaient entre eux a la derobee, puis baissaient la tete. Celui-ci se disait : « Vois, malheureux, la stature du Morholt d'Irlande : il est plus fort que quatre hommes robustes. Regarde son epee : ne sais-tu point que par sortilege elle a fait voler la tete des plus hardis champions, depuis tant d'annees que le roi d'Irlande envoie ce geant porter ses defis par les terres vassales ? Chetif, veux-tu chercher la mort ? A quoi bon tenter Dieu ? » Cet autre songeait : « Vous ai-je eleves, chers fils, pour les besognes des serfs, et vous, cheres filles, pour celles des filles de joie ? Mais ma mort ne vous sauverait pas. » Et tous se taisaient.
Le Morholt dit encore :
« Lequel d'entre vous, seigneurs cornouaillais, veut prendre mon gage ? Je lui offre une belle bataille car, a trois jours d'ici, nous gagnerons sur des barques l'ile Saint-Samson, au large de Tintagel. La, votre chevalier et moi, nous combattrons seul a seul, et la louange d'avoir tente la