cruel : il fera trancher les tetes de nos otages. Bien mieux vaut qu'ils perdent leurs tetes, et que nous ne perdions pas, nous, claire Espagne la belle, et que nous n'endurions pas les maux et la detresse ! » Les paiens disent : « Peut-etre il dit vrai ! »

V

LE roi Marsile a tenu son conseil. Il appela Clarin de Balaguer, Estamarin et son pair Eudropin, et Priamon et Guarlan le Barbu, et Machiner et son oncle Maheu, et Jouner et Malbien d'outre-mer, et Blancandrin, pour parler en son nom. Des plus felons, il en a pris dix a part : « Vers Charlemagne, seigneurs barons, vous irez. Il est devant la cite de Cordres, qu'il assiege. Vous porterez en vos mains des branches d'olivier, ce qui signifie paix et humilite. Si par votre adresse vous pouvez trouver pour moi un accord, je vous donnerai de l'or et de l'argent en masse, des terres et des fiefs, tant que vous en voudrez. » Les paiens disent : « C'est nous combler ! »

VI

LE roi Marsile a tenu son conseil. Il dit a ses hommes : « Seigneurs, vous irez. Vous porterez des branches d'olivier en vos mains, et vous direz au roi Charlemagne que pour son Dieu il me fasse merci ; qu'il ne verra point ce premier mois passer que je ne l'aie rejoint avec mille de mes fideles ; que je recevrai la loi chretienne et deviendrai son homme en tout amour et toute foi. Veut-il des otages, en verite, il en aura. » Blancandrin dit : « Par-la vous obtiendrez un bon accord. »

VII

MARSILE fit amener dix mules blanches, que lui avait envoyees le roi de Suatille. Leurs freins sont d'or ; les selles, serties d'argent. Les messagers montent ; en leurs mains ils portent des branches d'olivier. Ils s'en vinrent vers Charles, qui tient France en sa baillie. Charles ne peut s'en garder : ils le tromperont.

VIII

L'EMPEREUR s'est fait joyeux ; il est en belle humeur : Cordres, il l'a prise. Il en a broye les murailles, et de ses pierrieres abattu les tours. Grand est le butin qu'ont fait ses chevaliers, or, argent, precieuses armures. Dans la cite plus un paien n'est reste : tous furent occis ou faits chretiens. L'empereur est dans un grand verger : pres de lui, Roland et Olivier, le duc Samson et Anseis le fier, Geoffroi d'Anjou, gonfalonier du roi, et la furent encore et Gerin et Gerier, et avec eux tant d'autres de douce France, ils sont quinze milliers. Sur de blancs tapis de soie sont assis les chevaliers ; pour se divertir, les plus sages et les vieux jouent aux tables et aux echecs, et les legers bacheliers s'escriment de l'epee. Sous un pin, pres d'un eglantier, un trone est dresse, tout d'or pur : la est assis le roi qui tient douce France. Sa barbe est blanche et tout fleuri son Chef ; son corps est beau, son maintien fier : a qui le cherche, pas n'est besoin qu'on le designe. Et les messagers mirent pied a terre et le saluerent en tout amour et tout bien.

IX

BLANCANDRIN parle, lui le premier. Il dit au roi : « Salut au nom de Dieu, le Glorieux, que nous devons adorer ! Entendez ce que vous mande le roi Marsile, le preux. Il s'est bien enquis de la loi qui sauve ; aussi vous veut-il donner de ses richesses a foison, ours et lions, et vautres menes en laisse, sept cents chameaux et mille autours sortis de mue, quatre cents mulets, d'or et d'argent trousses, cinquante chars dont vous ferez un charroi, combles de tant de besants d'or fin que vous en pourrez largement payer vos soudoyers. En ce pays vous avez fait un assez long sejour. En France, a Aix, il vous sied de retourner. La vous suivra, il vous l'assure, mon seigneur. » L'empereur tend ses mains vers Dieu, baisse la tete et se prend a songer.

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