CCLXXX

PUISQU'ILS sont prets a s'affronter en bataille, ils se confessent ; ils sont absous et benis. Ils entendent leurs messes et recoivent la communion. Ils laissent aux eglises de tres grandes offrandes. Puis, tous deux reviennent devant Charles. Ils ont chausse leurs eperons, ils revetent des hauberts blancs, forts et legers, lacent sur leurs tetes leurs heaumes clairs, ceignent des epees dont la garde est d'or pur, suspendent a leurs cous leurs ecus a quartiers, saisissent de leurs poings droits leurs epieux tranchants, puis se mettent en selle sur leurs destriers rapides. Alors pleurerent cent mille chevaliers, qui, pour l'amour de Roland, ont pitie de Thierry. Quelle sera la fin, Dieu le sait bien.

CCLXXXI

SOUS Aix la prairie est tres large : la sont mis aux prises les deux barons. Ils sont preux et de grande vaillance, et leurs chevaux sont rapides et ardents. Ils les eperonnent bien, lachent a fond les renes. De toute leur vigueur, ils vont s'attaquer l'un l'autre. Les ecus se brisent, volent en pieces, les hauberts se dechirent, les sangles eclatent, les troussequins versent, les selles tombent a terre. Cent mille hommes pleurent, qui les regardent.

CCLXXXII

LES deux chevaliers sont tombes contre terre. Rapidement, ils se redressent debout. Pinabel est fort, agile et leger. Ils se requierent l'un l'autre ; ils n'ont plus leurs destriers. De leurs epees aux gardes d'or pur, ils frappent et refrappent sur leurs heaumes d'acier : les coups sont forts, jusqu'a fendre les heaumes. Grande est l'angoisse des chevaliers francais : « Ah ! Dieu », dit Charles, « faites resplendir le droit ! »

CCLXXXIII

PINABEL dit : « Thierry, reconnais-toi vaincu ! Je serai ton vassal en toute foi, en tout amour ; a ton plaisir je te donnerai de mes richesses ; mais trouve pour Ganelon un accord avec le roi ! » Thierry repond : « Je ne tiendrai pas long conseil. Honte sur moi si j'y consens en rien ! Qu'entre nous deux, en ce jour, Dieu montre le droit ! »

CCLXXXIV

THIERRY dit : « Pinabel, tu es tres preux, tu es grand et fort, tes membres sont bien moules, et tes pairs te connaissent pour ta vaillance : renonce donc a cette bataille ! Je te trouverai un accord avec Charlemagne. Quant a Ganelon, justice sera faite de lui, et telle qu'a jamais, chaque jour, il en sera parle. » Pinabel dit : « Ne plaise au Seigneur Dieu ! Je veux soutenir toute ma parente. Je ne me rendrai pour nul homme qui vive. J'aime mieux mourir qu'en subir le reproche. » Ils recommencent a frapper des epees sur leurs heaumes, qui sont incrustes d'or. Contre le ciel volent, claires, les etincelles. Les separer, nul ne pourrait. Ce combat ne peut finir sans qu'un homme meure.

CCLXXXV

PINABEL de Sorence est de tres grande prouesse. Sur le heaume de Provence, il frappe Thierry : le feu jaillit, l'herbe s'enflamme. Il lui presente la pointe de sa lame d'acier. Elle descend sur son front [… ] Il en a la joue droite toute sanglante. Il lui fend son haubert jusqu'au-dessus du ventre. Dieu le protege, Pinabel ne l'a pas renverse mort.

CCLXXXVI

THIERRY voit qu'il est blesse au visage. Son sang tombe clair sur l'herbe du pre. Il frappe Pinabel sur son heaume d'acier brun, le brise et le fend jusqu'au nasal, fait couler du crane la cervelle ; il secoue sa lame dans la plaie et l'abat mort. Par ce coup sa bataille est gagnee. Les Francs s'ecrient : « Dieu y a fait miracle ! Il est bien droit que Ganelon soit pendu, et ses parents qui ont repondu pour lui. »

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