GANELON voit que commence son grand plaid. Trente de ses parents sont la, avec lui. Il en est un a qui s'en remettent les autres, c'est Pinabel, du chateau de Sorence. Il sait bien parler et dire ses raisons comme il convient. Il est vaillant, quand il s'agit de defendre ses armes. Ganelon lui dit : « Am… reprenez-moi a la mort ! retirez-moi de ce plaid ! » Pinabel dit : « Bientot vous serez sauve. S'il se trouve un Francais pour juger que vous devez etre pendu, que l'empereur nous mette aux prises tous deux, corps contre corps : mon epee d'acier lui donnera le dementi. » Ganelon le comte s'incline a ses pieds.

CCLXXV

BAVAROIS et Saxons sont entres en conseil, et les Poitevins, les Normands, les Francais, Allemands et Thiois sont la en nombre ; ceux d'Auvergne y sont les plus courtois. Ils baissent le ton a cause de Pinabel. L'un dit a l'autre : « Il convient d'en rester la. Laissons le plaid, et prions le roi qu'il proclame Ganelon quitte pour cette fois ; que Ganelon le serve desormais en toute foi, en tout amour. Roland est mort, vous ne le reverrez plus ; ni or ni argent ne le rendrait. Bien fou qui combattrait [… ] ! » Il n'en est pas un qui n'approuve, hormis Thierry, le frere de monseigneur Geoffroy.

CCLXXVI

VERS Charlemagne ses barons s'en reviennent. Ils disent au roi : « Sire, nous vous en prions, proclamez quitte le comte Ganelon ; puis, qu'il vous serve en tout amour et toute foi ! Laissez-le vivre, car il est tres haut seigneur [… ] Ni or ni argent ne vous rendrait Roland. » Le roi dit : « Vous etes des felons. »

CCLXXVII

QUAND Charles voit que tous lui ont failli, il baisse la tete douloureusement. « Malheureux que je suis ! » dit-il. Or voici venir devant lui un chevalier, Thierry, frere de Geoffroy, un duc angevin. Il a le corps maigre, grele, elance, les cheveux noirs, le visage assez brun. Il n'est pas tres grand, mais non plus trop petit. Il dit a l'empereur, courtoisement : « Beau sire roi, ne vous desolez pas ainsi. Je vous ai longtemps servi, vous le savez. Fidele a l'exemple de mes ancetres, je dois, dans un tel plaid, soutenir l'accusation. Si meme Roland eut des torts envers Ganelon, Roland etait a votre service : c'en devait etre assez pour le garantir. Ganelon est felon, en tant qu'il a trahi : c'est envers vous qu'il s'est parjure et qu'il a forfait. C'est pourquoi je juge qu'il soit pendu et qu'il meure, et que son corps… soit traite comme celui d'un felon qui fit une felonie. S'il a un parent qui veuille m'en donner le dementi, je veux, de cette epee que j'ai ceinte, soutenir sur l'heure mon jugement. » Les Francs repondent : « Vous avez bien dit. »

CCLXXVIII

DEVANT le roi, Pinabel s'est avance. Il est grand et fort, vaillant et agile ; celui qu'un de ses coups atteint a fini son temps. Il dit au roi : « Sire, c'est ici votre plaid : commandez donc qu'on n'y fasse pas tant de bruit ! Je vois ceans Thierry, qui a juge. Je fausse son jugement et je combattrai contre lui. » Il remet au roi, en son poing, un gant de peau de cerf, le gant de sa main droite. L'empereur dit : « Je demande de bons garants. » Trente parents s'offrent en loyaux otages. Le roi dit : « Et je vous le mettrai donc en liberte sous caution. » Il les place sous bonne garde, jusqu'a ce qu'il soit fait droit.

CCLXXIX

QUAND Thierry voit qu'il y aura bataille, il presente a Charles son gant droit. L'empereur le met en liberte sous caution, puis il fait porter quatre bancs sur la place. La ceux qui doivent combattre vont s'asseoir. Au jugement de tous, ils se sont provoques selon les regles. C'est Ogier de Danemark qui a porte le double defi. Puis ils demandent leurs chevaux et leurs armes.

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