lui brise son heaume ou flambent les gemmes, lui ouvre le crane, et la cervelle s'epand, lui fend toute la tete jusqu'a la barbe blanche, et sans nul recours l'abat mort. Il crie : « Montjoie ! » pour qu'on se rallie a lui. Au cri le duc Naimes est venu ; il prend Tencendur, le roi Magne y remonte. Les paiens s'enfuient, Dieu ne veut pas qu'ils resistent. Les Francais sont parvenus au terme tant desire.
CCLXIII
LES paiens s'enfuient, car Dieu le veut. Les Francs, et l'empereur avec eux, les pourchassent. Le roi dit : « Seigneurs, vengez vos deuils, passez votre colere et que vos c?urs s'eclairent, car j'ai vu ce matin vos yeux pleurer. » Les Francs repondent : « Sire, il nous faut ainsi faire ! » Chacun frappe a grands coups, tant qu'il peut. Des paiens qui sont la, bien peu echapperent.
CCLXIV
LA chaleur est forte, la poussiere s'eleve. Les paiens fuient et les Francais les harcelent. La chasse dure jusqu'a Saragosse. Au haut de sa tour Bramidoine est montee ; avec elle ses clercs et ses chanoines de la fausse loi, que jamais Dieu n'aima : ils ne sont ni ordonnes ni tonsures. Quand elle vit les Arabes en telle deroute, a haute voix elle s'ecrie : « Mahomet, a l'aide ! Ah ! gentil roi, les voila vaincus, nos hommes ! L'emir est tue, si honteusement ! » Quand Marsile l'entend, il se tourne vers la paroi, ses yeux versent des larmes, sa tete retombe. Il est mort de douleur, charge de son peche. Il donne son ame aux demons.
CCLXV
LES paiens sont morts… Et Charles a gagne la bataille. Il a abattu la porte de Saragosse : il sait qu'elle ne sera pas defendue. Il se saisit de la cite ; ses troupes y penetrent : par droit de conquete, elles y coucherent cette nuit-la. Le roi a la barbe chenue en est rempli de fierte. Et Bramidoine lui a rendu les tours, les dix grandes, les cinquante petites. Qui obtient l'aide de Dieu acheve bien ses taches.
CCLXVI
LE jour passe, la nuit est tombee. La lune est claire, les etoiles brillent. L'empereur a pris Saragosse : par mille Francais on fait fouiller a fond la ville, les synagogues et les mahommeries. A coups de mails de fer et de cognees ils brisent les images et toutes les idoles : il n'y demeurera malefice ni sortilege. Le roi croit en Dieu, il veut faire son service ; et ses eveques benissent les eaux. On mene les paiens jusqu'au baptistere ; s'il en est un qui resiste a Charles, le roi le fait pendre, ou bruler ou tuer par le fer. Bien plus de cent mille sont baptises vrais chretiens, mais non la reine. Elle sera menee en douce France, captive : le roi veut qu'elle se convertisse par amour.
CCLXVII
LA nuit passe, le jour se leve clair. Dans les tours de Saragosse Charles met une garnison. Il y laissa mille chevaliers bien eprouves : ils gardent la ville au nom de l'empereur. Le roi monte a cheval ; ainsi font tous ses hommes et Bramidoine, qu'il emmene captive ; mais il ne veut rien lui faire, que du bien. Ils s'en retournent, pleins de joie et de fierte. Ils occupent Nerbone de vive force et passent. Charles parvient a Bordeaux, la cite [… ] : sur l'autel du baron saint Seurin, il depose l'olifant, rempli d'or et de mangons ; les pelerins qui vont la l'y voient encore. Il passe la Gironde sur les grandes nefs qu'il y trouve. jusqu'a Blaye il a conduit son neveu, et Olivier, son noble compagnon, et l'archeveque, qui fut sage et preux. En de blancs cercueils il fait mettre les trois seigneurs : c'est a Saint-Romain qu'ils gisent, les vaillants. Les Francais les remettent a Dieu et a ses Noms. Par les vaux, par les monts, Charles chevauche : jusqu'a Aix, il ne veut pas sejourner aux etapes. Tant chevauche-t-il qu'il descend au perron. Quand il est arrive dans son palais souverain, il mande par messagers ses jugeurs, Bavarois et Saxons, Lorrains et Frisons ; il mande les Allemands, il mande les Bourguignons, et les Poitevins et les Normands et les Bretons, et ceux de France, qui entre tous sont sages. Alors commence le plaid de Ganelon.