CCLXVIII

L'EMPEREUR est revenu d'Espagne. Il vient a Aix, le meilleur siege de France. Il monte au palais, il est entre dans la salle. Voici que vient a lui Aude, une belle damoiselle. Elle dit au roi : « Ou est-il, Roland le capitaine, qui me jura de me prendre pour sa femme ? » Charles en a douleur et peine. Il pleure, tire sa barbe blanche : « S?ur, chere amie, de qui t'enquiers- tu ? D'un mort. Je te ferai le meilleur echange : ce sera Louis, je ne sais pas mieux te dire. Il est mon fils, c'est lui qui tiendra mes marches. » Aude repond : « Cette parole m'est etrange. A Dieu ne plaise, a ses saints, a ses anges, apres Roland, que je reste vivante ! » Elle perd sa couleur, choit aux pieds de Charlemagne. Elle est morte aussitot : que Dieu ait pitie de son ame ! Les barons francais en pleurent et la plaignent.

CCLXIX

AUDE la Belle est allee a sa fin. Le roi croit qu'elle est evanouie, il a pitie d'elle, il pleure. Il la prend par les mains, la releve ; sur les epaules, la tete retombe. Quand Charles voit qu'elle est morte, il mande aussitot quatre comtesses. A un moutier de nonnes on la porte ; toute la nuit, jusqu'a l'aube, on la veille ; au long d'un autel bellement on l'enterre. Le roi l'a hautement honoree.

CCLXX

L 'EMPEREUR est rentre a Aix. Ganelon le felon, en des chaines de fer, est dans la cite, devant le palais. Des serfs l'ont attache a un poteau ; ils entravent ses mains par des courroies de cuir de cerf, ils le battent fortement a coups de triques et de batons. Il n'a point merite d'autres bienfaits. A grande douleur il attend la son jugement.

CCLXXI

IL est ecrit dans la Geste ancienne que de maints pays Charles manda ses vassaux. Ils sont assembles a Aix, a la chapelle. C'est le haut jour d'une fete solennelle, celle, disent plusieurs, du baron saint Sylvestre. Alors commence le plaid, et voici ce qu'il advint de Ganelon, qui a trahi. L'empereur devant lui l'a fait trainer.

CCLXXII

« SEIGNEURS barons », dit Charlemagne, le roi, « Jugez-moi Ganelon selon le droit. Il vint dans l'armee jusqu'en Espagne avec moi : il m'a ravi vingt mille de mes Francais, et mon neveu, que vous ne reverrez plus, et Olivier, le preux et le courtois : les douze pairs, il les a trahis pour de l'argent. » Ganelon dit : « Honte sur moi, si j'en fais mystere ! Roland m'avait fait tort dans mon or, dans mes biens, et c'est pourquoi j'ai cherche sa mort et sa ruine. Mais qu'il y ait la la moindre trahison, je ne l'accorde pas. » Les Francs repondent : « Nous en tiendrons conseil. »

CCLXXIII

DEVANT le roi, Ganelon se tient debout. Il a le corps gaillard, le visage bien colore : s'il etait loyal, on croirait voir un preux. Il regarde ceux de France, et tous les jugeurs, et trente de ses parents qui tiennent pour lui, puis il s'ecrie a voix haute et forte : « Pour l'amour de Dieu, barons, entendez-moi ! Seigneurs, je fus a l'armee avec l'empereur. Je le servais en toute foi, en tout amour. Roland, son neveu, me prit en haine et me condamna a la mort et a la douleur. Je fus envoye comme messager au roi Marsile : par mon adresse, je parvins a me sauver. Je defiai le preux Roland et Olivier, et tous leurs compagnons : Charles et ses nobles barons entendirent mon defi. Je me suis venge, mais ce ne fut pas trahison. » Les Francs repondent : « Nous irons en tenir conseil. »

CCLXXIV

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