sur l'herbe verte. Il lui dit, penche sur lui : « Beau sire Naimes, chevauchez a mon cote. Il est mort, le truand qui vous pressait ; je lui ai mis au corps mon epieu pour cette fois. » Le duc repond : « Sire, je me repose en vous ; si je survis, vous n'y perdrez pas. » Puis, en tout amour, en toute foi, ils vont cote a cote ; avec eux, vingt mille Francais : il n'en est pas un qui ne tranche et ne taille.

CCLI

L 'EMIR chevauche par le champ. Il s'en va frapper le comte Guinemant. Il lui ecrase son ecu blanc contre le c?ur, dechire les pans de son haubert, lui ouvre en deux la poitrine et l'abat mort de son cheval rapide. Puis il a tue Geboin et Lorant, et Richard le Vieux, le seigneur des Normands. Les paiens s'ecrient : « Precieuse vaut son prix. Frappez, paiens, nous avons un garant ! »

CCLII

IL fait beau voir les chevaliers d'Arabie, ceux d'Occiant, d'Argoille et de Bascle, comme ils frappent de leurs epieux ! Et, de leur part, les Francais ne songent pas a rompre. Des Francais, des paiens, beaucoup meurent. Jusqu'au soir, la bataille fait rage. Combien sont morts, des barons de France ! Que de deuils encore avant qu'elle s'acheve !

CCLIII

FRANCAIS et Arabes frappent a l'envi. Tant de hampes se brisent, tant d'epieux fourbis ! Qui aurait vu ces ecus fracasses, qui aurait oui ces blancs hauberts retentir, ces ecus grincer contre les heaumes, qui aurait vu ces chevaliers choir et tant d'hommes hurler et mourir contre terre, il lui souviendrait d'une grande douleur. Cette bataille est lourde a soutenir. L'emir invoque Apollin et Tervagan et aussi Mahomet : « Mes seigneurs dieux, je vous ai longuement servis. Toutes tes images, je les ferai d'or pur !…  » Devant lui vient un sien fidele, Gemalfin ; il lui apporte de males nouvelles. Il dit : « Baligant, sire, un grand malheur est venu sur vous. Malpramis, votre fils, vous l'avez perdu. Et Canabeu, votre frere, est tue. Deux Francais ont eu l'heur de les vaincre. L'empereur est l'un des deux, je crois : c'est un baron de haute taille, dont l'allure est bien celle d'un chef ; il a la barbe blanche comme fleur en avril. » L'emir baisse sa tete, que le heaume charge ; son visage s'assombrit, sa douleur est si forte qu'il en pense mourir. Il appela Jangleu d'Outremer.

CCLIV

L'EMIR dit : « Jangleu, avancez. Vous etes preux et de grande sagesse : toujours j'ai pris ( ?) votre conseil. Que vous en semble, des Arabes et des Francs ? Aurons-nous la victoire dans cette bataille ? » Et il repond : « Vous etes mort, Baligant ; vos dieux ne vous defendront pas. Charles est fier, ses hommes sont vaillants. Jamais je ne vis engeance si hardie au combat. Mais appelez a votre aide les barons d'Occiant, Turcs, Enfruns, Arabes et Geants. Advienne que pourra, ne tardez pas ! »

CCLV

L'EMIR a etale sur sa brogne sa barbe, aussi blanche que fleur d'epine. Quoi qu'il doive arriver, il ne veut pas se cacher. Il embouche une buccine au timbre clair, en sonne si haut que ses paiens l'entendirent : par tout le champ ses troupes se reforment au ralliement. Ceux d'Occiant braient et hennissent, ceux d'Argoille glapissent comme des chiens. Ils requierent les Francais, avec quelle temerite ! se jettent au plus epais, les rompent et les separent. Du coup ils en jettent morts sept milliers.

CCLVI

LE comte Ogier ne connut jamais la couardise ; jamais meilleur baron ne vetit la brogne. Quand il vit se rompre les corps de bataille des Francais, il appela Thierry, le duc d'Argonne, Geoffroi d'Anjou et le comte Joseran.

Вы читаете La Chanson de Roland
Добавить отзыв
ВСЕ ОТЗЫВЫ О КНИГЕ В ИЗБРАННОЕ

0

Вы можете отметить интересные вам фрагменты текста, которые будут доступны по уникальной ссылке в адресной строке браузера.

Отметить Добавить цитату