d'angoisse. Ils sortent des ports et de la region inculte. Ils ont penetre en Espagne et s'etablissent au milieu d'une plaine. Vers Baligant reviennent ses avant-gardes. Et voici qu'un Syrien lui dit son message : « Nous avons vu l'orgueilleux roi Charles. Ses hommes sont fiers ; ils ne sauraient lui faillir. Armez-vous, sur l'heure vous aurez la bataille. » Baligant dit : « Elle s'annonce belle. Sonnez vos clairons, pour que mes paiens le sachent ! »
CCXXVIII
PAR toute l'armee ils font retentir leurs tambours et les buccines et les cors haut et clair : les paiens mettent pied a terre pour revetir leurs armes. L'emir n'entend pas se montrer le plus lent. Il endosse une brogne dont les pans sont safres, il lace son heaume pare d'or et de pierreries. Puis, a son flanc gauche il ceint son epee ; en son orgueil il lui a trouve un nom : a cause de l'epee de Charles, dont il a entendu parler, [il nomme la sienne Precieuse], et « Precieuse ! » est son cri d'armes en bataille. Il le fait crier par ses chevaliers, puis il pend a son cou un sien grand ecu large : la boucle en est d'or, paree d'une bordure de cristal ; la courroie est d'un bon drap de soie ou des cercles sont brodes. Il saisit son epieu, qu'il appelle Maltet : la hampe en est grosse comme une massue ; son fer suffirait a la charge d'un mulet. Sur son destrier Baligant est monte ; Marcules d'outremer lui a tenu l'etrier. Le preux a l'enfourchure tres grande, les flancs etroits et les cotes larges, la poitrine vaste et bien moulee, les epaules fortes, le teint tres clair, le visage fier ; son chef boucle est aussi blanc que fleur de printemps, et, sa vaillance, il l'a souvent prouvee. Dieu ! quel baron, s'il etait chretien ! Il pique son cheval : le sang sous l'eperon jaillit tout clair. Il prend le galop, saute un fosse : on y peut bien mesurer cinquante pieds de large. Les paiens s'ecrient : « Celui-la est fait pour defendre les marches ! Il n'est pas un Francais, s'il vient jouter contre lui, qui n'y perde, bon gre mal gre, sa vie ! Charles est bien fou qui ne s'en est alle ! »
CCXXIX
L 'EMIR est semblable a un vrai baron. Sa barbe est blanche comme fleur. Il est tres sage clerc en sa loi ; dans la bataille il est fier et hardi. Son fils Malpramis est de grande chevalerie. Il est de haute taille, et fort ; il ressemble a ses ancetres. Il dit a son pere : « Or donc, sire, en avant ! Si nous voyons Charles, j'en serai fort surpris. » Baligant dit : « Nous le verrons, car il est tres preux. Maintes annales disent de lui de grandes louanges. Mais il n'a plus son neveu, Roland : il ne sera pas de force a tenir contre nous. »
CCXXX
« BEAU fils Malpramis », lui a dit Baligant, « l'autre hier fut tue Roland, le bon vassal, et Olivier, le vaillant et le preux, et les douze pairs, que Charles aimait tant ; vingt mille combattants furent tues, de ceux de France. Tous les autres, je ne les prise pas la valeur d'un gant. En verite, l'empereur revient : le Syrien, mon messager, me l'annonca. Dix grands corps de bataille approchent. Celui-la est tres preux, qui sonne l'olifant. D'un cor au son clair son compagnon lui repond, et tous deux chevauchent les premiers, en avant : avec eux, quinze mille Francais, de ces bacheliers que Charles appelle ses enfants ; apres, il en vient tout autant : ceux-la combattront tres orgueilleusement. » Malpramis dit : « Je vous demande un don : que je frappe le premier coup ! »
CCXXXI
« FILS Malpramis », lui a dit Baligant, « ce que vous m'avez demande, je vous l'octroie. Contre les Francais, sur l'heure, vous irez frapper. Vous y menerez Torleu, le roi persan, et Dapamort, le roi leutice. Si vous pouvez mater leur grand orgueil, je vous donnerai un pan de mon pays, depuis Cheriant jusqu'au Val Marchis. » Il repond : « Sire, soyez remercie ! » Il s'avance, recueille le don, la terre qui etait celle du roi Flurit. Il la recoit a la male heure : jamais il ne devait la voir ; jamais de ce fief il ne fut ni vetu ni saisi.
CCXXXII