ils lui annoncent la bataille : « Roi orgueilleux, il n'est pas question de repartir. Vois Baligant qui chevauche apres toi ! Grandes sont les armees qu'il amene d'Arabie. Avant ce soir nous verrons si tu as de la vaillance. » Charles le roi a porte la main a sa barbe ; il se rememore son deuil et ce qu'il a perdu. Il jette sur toute sa gent un regard fier, puis s'ecrie de sa voix forte et haute : « Barons francais, a cheval et aux armes ! »
CCXV
L 'EMPEREUR, lui le premier, s'arme. Rapidement il a revetu sa brogne. Il lace son heaume, il a ceint Joyeuse, dont le soleil meme n'eteint pas la clarte. Il pend a son cou un ecu de Biterne. Il saisit son epieu et le brandit. Puis, sur Tencendur, son bon cheval, il monte : il l'a conquis aux gues qui sont sous Marsonne, quand il jeta hors des arcons Malpalin de Nerbone et le renversa mort. Il lache au destrier la rene, l'eperonne a coups presses, prend son galop sous le regard de cent mille hommes. Il invoque Dieu et l'apotre de Rome.
CCXVI
PAR tout le champ ceux de France mettent pied a terre : plus de cent mille s'adoubent a la fois. Ils ont des equipements a leur gre, des chevaux vifs, et leurs armes sont belles. Puis, ils se mettent en selle [… ] Si l'heure en vient, ils comptent soutenir la bataille. Leurs gonfanons pendent jusqu'a toucher les heaumes. Quand Charles voit leur contenance si belle, il appelle Jozeran de Provence, Naimes le duc, Antelme de Mayence : « Sur de tels vaillants on doit se reposer. Bien fou qui, au milieu d'eux, se tourmente ! Si les Arabes ne renoncent pas a venir, je leur vendrai cher, je crois, la mort de Roland. » Le duc Naimes repond : « Que Dieu nous l'accorde ! »
CCXVII
CHARLES appelle Rabel et Guinemant. Le roi leur dit : « Seigneurs, je vous le commande, soyez aux postes de Roland et d'Olivier : que l'un porte l'epee, l'autre l'olifant, et chevauchez en avant, les premiers : avec vous, quinze milliers de Francais, tous bacheliers et vaillants entre nos vaillants. Apres ceux-la il y en aura autant : Giboin et Lorant les guideront. » Naimes le duc et Jozeran le comte rangent en bel arroi ces deux corps de bataille. Si l'heure en vient, la lutte sera grande.
CCXVIII
LES deux premiers corps de bataille sont faits de Francais. Apres, on etablit le troisieme. En celui-la sont les vassaux de Baviere : on estime leur nombre a vingt mille chevaliers. Jamais de leur cote une ligne de combat ne flechira. Il n'est pas sous le ciel de gent que Charles aime mieux, hormis ceux de France, qui conquierent les royaumes. Le comte Ogier le Danois, le bon guerrier, les menera, car c'est une fiere troupe.
CCXIX
L'EMPEREUR Charles a deja trois corps de bataille. Naimes le duc forme alors le quatrieme, de barons qui sont pleins de vaillance : ils sont d'Allemagne, et tous les estiment a vingt milliers. Ils sont pourvus de bons chevaux, de bonnes armes. Jamais, par peur de mourir, ceux-la ne lacheront pied. Herman, le duc de Trace, les menera : il mourrait plutot que de faire une couardise.
CCXX
NAIMES le duc et Jozeran le comte ont forme de Normands le cinquieme corps de bataille. Tous les Francais estiment qu'ils sont vingt mille. Ils ont de belles armes et de bons chevaux rapides ; ils mourront plutot que de se rendre. Sous le ciel il n'y a pas de peuple qui puisse plus faire au combat. Richard le Vieux les menera. Celui-la frappera bien de son epieu tranchant.