L 'EMIR chevauche par les rangs de ses troupes. Son fils le suit, a la haute stature. Le roi Torleu et le roi Dapamort etablissent sur l'heure trente corps de bataille ; ils ont des chevaliers en nombre merveilleux : le moindre corps en compte cinquante mille. Le premier est forme de ceux de Butentrot, et le second de Misnes aux grosses tetes : sur leurs echines, au long du dos, ils ont des soies, tout comme les porcs. Et le troisieme est forme de Nubles et de Blos, et le quatrieme de Bruns et d'Esclavons, et le cinquieme de Sorbres et de Sors, et le sixieme d'Armeniens et de Maures, et le septieme de ceux de Jericho, et le huitieme de Nigres, et le neuvieme de Gros, et le dixieme de ceux de Balide la Forte ; c'est une engeance qui jamais ne voulut le bien. L'amiral jure par tous les serments qu'il peut, par les miracles de Mahomet et par son corps : « Bien fou Charles de France, qui chevauche vers nous ! Il y aura bataille, s'il ne se derobe pas. Jamais plus il ne portera la couronne d'or. »
CCXXXIII
APRES ils etablissent dix autres corps de bataille. Le premier est forme des laids Chananeens : ils sont venus de Val-Fuit en prenant par la traverse ; le second de Turcs, et le troisieme de Persans, et le quatrieme de Petchenegues et de [… ], et le cinquieme de Solteras et d'Avers, et le sixieme d'Ormaleus et d'Eugiez, et le septieme du peuple de Samuel, et le huitieme de ceux de Bruise, et le neuvieme de Clavers, et le dixieme de ceux d'Occian le Desert : c'est une engeance qui ne sert pas Dieu. Jamais vous n'entendrez parler de pires felons : ils ont le cuir aussi dur que fer ; c'est pourquoi ils n'ont cure de haubert ni de heaume : a la bataille ils sont rudes et obstines.
CCXXXIV
L'EMIR a ordonne dix autres corps de bataille. Le premier est forme des geants de Malprose, le second de Huns et le troisieme de Hongrois, et le quatrieme de ceux de Baldise la Longue, et le cinquieme de ceux de Val Peneuse, et le sixieme de ceux de Marose, et le septieme de Leus et d'Astrimoines, et le huitieme de ceux d'Argoilles, et le neuvieme de ceux de Clarbonne, et le dixieme de ceux de Fronde aux longues barbes ; c'est une engeance qui jamais n'aima Dieu. Les Annales tics Francs denombrent ainsi trente corps de bataille. Grandes sont leurs armees ou les buccines sonnent. Les paiens chevauchent en vaillants.
CCXXXV
L'EMIR est un tres puissant seigneur. Par devant lui il fait porter son dragon, et l'etendard de Tervagan et de Mahomet, et une image du felon Apollin. Dix Chananeens chevauchent a l'entour : ils vont sermonnant a voix tres haute : « Celui qui par nos dieux veut etre sauve, qu'il les prie et les serve en toute humilite ! » Les paiens baissent la tete, leurs heaumes brillants se penchent contre terre. Les Francais disent : « Bientot, truands, vous mourrez ! Puisse ce jour vous confondre ! Vous, notre Dieu, defendez Charles ! Que cette bataille soit livree ( ?) en son nom ! »
CCXXXVI
L'EMIR est un chef tres sage. Il appelle a lui son fils et les deux rois : « Seigneurs barons, vous chevaucherez devant. Mes corps de bataille, vous les guiderez tous ; mais j'en veux retenir trois, des meilleurs : le premier de Turcs, le second d'Ormaleis, et le troisieme des geants de Malprose. Avec moi seront ceux d'Occiant : ce sont eux qui combattront Charles et les Francais. Si l'empereur joute contre moi, sur ses epaules je prendrai sa tete. Il ne lui sera fait, qu'il le sache bien ! nul autre droit. »
CCXXXVII
GRANDES sont les armees, beaux les corps de bataille. Entre paiens et Francais, il n'y a ni mont, ni val, ni tertre, ni foret, ni bois qui puisse cacher une troupe : ils se voient a plein par la terre decouverte. Baligant dit : « Or donc, mes paiens, chevauchez, pour chercher la bataille ! » Amborre d'Oluferne porte l'enseigne. A la voir, les paiens crient son nom « Precieuse ! », leur cri d'armes. Les Francais disent : « Que ce jour soit votre perte ! » Ils crient a nouveau « Montjoie ! » puissamment. L'empereur fait sonner