carnage. La bataille est merveilleuse et lourde : ni avant ni depuis, jamais on n'en vit une aussi rude.
CCXLIV
GRANDES sont les armees, les troupes hardies. Les corps de bataille sont tous engages. Et les paiens frappent merveilleusement. Dieu ! tant de hampes rompues en deux, tant d'ecus brises, tant de brognes demaillees ! La terre en est toute jonchee : ah ! l'herbe du champ, si verte, si delicate !… L'emir invoque ses fideles : « Frappez, barons, sur l'engeance chretienne ! » La bataille est dure et obstinee. Ni avant ni depuis on n'en vit une aussi apre. Jusqu'a la nuit, elle durera sans treve.
CCXLV
L'EMIR requiert les siens : « Frappez, paiens ; vous n'etes venus que pour frapper ! Je vous donnerai des femmes nobles et belles, je vous donnerai des fiefs, des domaines, des terres. » Les paiens repondent : « Ainsi devons-nous faire ! » A force de frapper a toute volee, nombre de leurs epieux se brisent ; alors ils degainent plus de cent mille epees. Voici la melee douloureuse et horrible : qui est au milieu d'eux voit ce qu'est une bataille.
CCXLVI
L'EMPEREUR invoque ses Francais : « Seigneurs barons, je vous aime, j'ai foi en vous. Pour moi vous avez livre tant de batailles, conquis des royaumes, detrone des rois ; je le reconnais bien, je vous en dois le salaire : mon corps, des terres, des richesses. Vengez vos fils, vos freres et vos heritiers, qui a Roncevaux furent tues l'autre soir. Vous le savez, contre les paiens, j'ai le droit devers moi. » Les Francs repondent : « Sire, vous dites vrai. » Et vingt mille sont autour de lui, qui d'une voix lui jurent leur foi de ne lui faillir pour mort ni pour angoisse : ils y emploieront bien chacun sa lance. Aussitot ils frappent des epees. La bataille est merveilleusement acharnee.
CCXLVII
ET Malpramis par le champ chevauche. De ceux de France il fait grand carnage. Naimes le duc le regarde d'un regard fier, et va le frapper en vaillant. Il brise la bordure de son ecu ; il lui rompt ( ?) les deux pans de son haubert ; il lui enfonce toute dans le corps son enseigne jaune et l'abat mort, entre les autres, qui gisent sans nombre.
CCXLVIII
LE roi Canabeu, le frere de l'emir, pique fortement des eperons son cheval. Il a tire son epee : le pommeau en est de cristal. Il frappe Naimes sur son heaume [… ], le brise en deux moities, en tranche cinq des lacs de son epee d'acier, – le capelier ne lui sert de rien, – en fend la coiffe jusqu'a la chair, en jette par terre une piece. Le coup fut rude, le duc est comme foudroye. Il va tomber, mais Dieu l'aide. Il saisit de ses deux bras le col de son destrier. Si le paien redouble, le noble vassal est mort. Charles de France vient, qui le secourra.
CCXLIX
LE duc Naimes est en grande detresse. Et le paien presse Charles de frapper vite. Le roi lui dit. « Truand, c'est pour ton malheur que tu t'en es pris a celui-la ! » En sa hardiesse il va le frapper. Il brise l'ecu du paien, le lui ecrase contre le c?ur. Il rompt la ventaille de son haubert et l'abat mort : la selle reste vide.
CCL
CHARLEMAGNE le roi est rempli de douleur, quand devant lui il voit Naimes blesse et son sang qui tombe clair