d’hostilite sur plusieurs visages, hostilite qui se changea tout juste en indifference neutre au moment ou le nouvel arrivant fit son entree. Il etait evident que les Skontariens n’etaient pas tres populaires dans le Systeme Solien actuellement, et pour une part, ils devaient s’en prendre a eux. Mais force etait d’admettre que, dans l’ensemble, ce n’etait pas de leur faute.
Selon l’opinion la plus communement repandue, c’etait Skontar qui portait la responsabilite de la guerre avec Cundaloa. En realite, cette these n’avait aucun fondement. Un hasard malchanceux avait voulu que les deux soleils Skung et Avaiki, qui formaient un systeme separe d’une demi-annee-lumiere environ, aient un compagnon que les Humains appelaient Allan, du nom de capitaine qui avait effectue la premiere expedition dans ce systeme. Et les planetes d’Allan etaient inhabitees.
Lorsque la technologie terrienne avait penetre sur Skontar et Cundaloa, les premiers resultats en avaient ete de faire de ces deux planetes, et en fin de compte de ces deux systemes, des etats rivaux qui lancaient des regards envieux vers les nouvelles planetes vertes d’Allan. Toutes deux y avaient fonde des colonies, les sources de conflit s’etaient alors multipliees, et il y avait eu finalement cette guerre de cinq ans qui avait devaste les deux systemes et s’etait terminee par une paix negociee par l’entremise terrienne. Cet affrontement avait ete un nouvel exemple de conflit entre deux imperialismes rivaux, comme il en avait existe souvent dans l’histoire humaine avant la Grande Paix et l’avenement de la Confederation. Les termes du traite etaient aussi equitables que possibles et les deux systemes etaient sur les genoux. Il leur fallait respecter cette paix a present, surtout a un moment ou tous deux avaient un besoin imperieux de se menager l’aide solienne en vue de la reconstruction.
Il n’en restait pas moins que l’Humain moyen aimait bien les Cundaloiens et, comme corollaire, detestait les Skontariens, sur qui il faisait retomber la responsabilite du conflit. D’ailleurs, des avant la guerre meme, ils etaient loin de jouir de la sympathie generale: leur isolationnisme, leur facon de s’accrocher a des traditions depassees, leur accent apre, leur attitude arrogante et jusqu’a leur simple apparence physique, tout plaidait contre eux.
Dalton avait eu du mal a convaincre l’Assemblee d’admettre la participation de Skontar aux conferences sur l’aide economique. Pour y parvenir, il avait fait ressortir que cette participation etait essentielle non seulement en raison des ressources inappreciables que Skang pouvait leur fournir en echange, particulierement ses mineraux, mais aussi par le fait qu’ils avaient ainsi l’occasion de se gagner l’amitie d’un empire virtuellement puissant et jusqu’ici eloigne.
Le programme d’aide n’etait encore qu’a l’etat de proposition. L’Assemblee devrait voter une loi prevoyant en detail qui beneficierait de l’aide et a concurrence de combien, apres quoi cette loi devrait faire l’objet de traites avec les planetes concernees. La reunion officieuse qui allait se tenir ici n’etait que la premiere phase de cette procedure. Mais une phase cruciale, en fait.
Dalton s’inclina ceremonieusement pour saluer le Skontarien. L’envoye repondit en frappant son enorme lance contre le sol, inclinant l’arme archaique contre le mur et tendant son fulgureur dans son etui, cote manche. Dalton le prit avec precaution et le posa sur la table.
— Salut et bienvenue, commenca-t-il comme Skorrogan ne disait toujours rien. La Confederation…
— Merci…
La voix etait dans le registre de la basse rauque, un peu metallique et avec un tres fort accent.
— Le Valtam de l’Empire de Skontar adresse son salut au President de Sol par l’intermediaire de Skorrogan, fils de Valthak, Duc de Kraakahaym.
Il se dressait de toute sa taille au milieu de la salle, semblant l’emplir toute entiere de sa massive et rebarbative presence. Bien qu’habitant une planete ou la pesanteur etait plus elevee et la temperature plus basse, les Skontariens etaient une race d’individus de tres haute taille — plus de deux metres — et d’une carrure si impressionnante qu’ils en paraissaient presque trapus. On pouvait les classer dans la categorie des humanoides, dans la mesure ou l’on avait affaire a des mammiferes bipedes, mais la ressemblance s’arretait a peu pres la. Sous un front tres large et tres bas et une epaisseur de sourcils inquietante, les yeux de Skorrogan avaient la couleur doree et la ferocite des yeux d’un faucon. En guise de visage, un museau epate dont la machoire etait garnie d’une effrayante rangee de crocs; ses oreilles etaient arrondies et plantees tres haut sur le crane massif. Une fourrure brune tres courte recouvrait son corps musculeux jusqu’au bout d’une longue queue qu’il ne cessait d’agiter, et une criniere rutilante encadrait sa tete et son cou. En depit de ce qui devait etre pour lui une temperature tropicale, il portait les fourrures et peaux revetues traditionnellement chez lui lors des ceremonies officielles et une forte odeur acre se degageait de sa propre peau.
— Vous etes en retard, fit l’un des ministres sur le ton de la courtoisie forcee. J’espere que vous n’avez rencontre aucune difficulte pour venir.
— Non, moi sous-estime temps necessaire pour venir ici. Priere m’excuser.
En fait, il n’avait l’air nullement desole: il se contenta de prendre le fauteuil qui se trouvait le plus pres de lui pour y installer sa masse imposante et ouvrit sa serviette:
— Nous avons affaires a discuter, Messieurs?
— Euh… oui, en effet.
Dalton prit place au bout de la longue table de conference:
— Encore que nous n’ayons pas a entrer dans le detail des donnees et chiffres au cours de cette discussion preliminaire: nous souhaiterions simplement nous mettre d’accord sur des points, des objectifs politiques generaux.
— Je suppose naturellement que vous voudrez une liste complete des ressources disponibles sur Avaiki et Skang, comme sur les colonies allaniennes? dit Vahino de sa voix douce. L’agriculture de Cundaloa et les mines de Skontar constituent deja une base importante pour aboutir plus tard a la necessaire independance economique.
— Ici intervient aussi l’aspect education, dit Dalton. Nous enverrons beaucoup d’experts, de conseillers techniques, d’enseignants…
— Et bien entendu se posera un probleme d’effectifs militaires… commenca le chef d’Etat-major.
— Skontar a armee a elle, l’interrompit Skorrogan sur un ton sec. Pas necessite de discuter cela maintenant.
— Peut-etre que non, en effet, intervint le Ministre des Finances d’un air doucereux. Sur quoi il alluma une cigarette.
— S’il vous plait, Monsieur! — La voix de Skorrogan ressemblait carrement a un rugissement. — Pas fumer! Vous savez que Skontariens allergiques au tabac.
— Excusez-moi!
Le Ministre des Finances ecrasa sa cigarette. Sa main tremblait legerement tandis qu’il lancait un regard furieux a l’envoye skontarien. Il n’y avait en effet pas de quoi faire tant d’histoires, le systeme d’air conditionne chassant instantanement la fumee. Et, de toute facon, on ne parle pas sur ce ton a un ministre! Surtout quand on vient lui demander une aide…
— D’autres systemes vont etre concernes, s’empressa de reprendre Dalton pour essayer de dissiper l’atmosphere de gene et de tension qui venait subitement de s’instaurer. Il ne s’agit pas seulement des colonies de Sol: je suppose que vos deux races vont s’etendre au-dela des limites de votre propre triple systeme, ainsi les ressources revelees par cette nouvelle colonisation…
— Nous serons obliges, fit Skorrogan avec aigreur. Apres que traite nous a vole tout un quart planete… Aucune importance, priere m’excuser. C’est tres desagreable etre assis a meme table qu’ennemi quand on se souvient que, pas longtemps encore, il etait ennemi.
Cette fois le silence parut se prolonger une eternite. Eprouvant alors une sensation de malaise presque physique, Dalton realisa que Skorrogan venait de deteriorer irremediablement son image de marque. Au point que, meme s’il prenait subitement conscience de la gravite de son comportement et tachait de faire amende honorable — mais qui avait jamais vu un noble skontarien s’excuser de quoi que ce soit? — il serait de toute facon trop tard. Trop de millions de telespectateurs venaient d’etre temoins de son arrogance impardonnable. Trop d’hommes importants, tous les chefs de Sol, etaient assis a la meme table que lui et pouvaient voir l’expression de mepris dans ses yeux et sentir l’odeur acre, inhumaine, de sa peau.
Il n’y aurait pas d’aide pour Skontar.
Avec l’arrivee du crepuscule, des nuages s’etaient amonceles derriere la ligne sombre de falaises qui s’etendaient a l’est de Geyrhaym, et un petit vent glacial soufflait dans la vallee en faisant entendre comme des chuchotements d’hiver. Il amenait avec lui les premiers flocons de neige, qui tourbillonnaient dans le ciel violace que les dernieres lueurs sanglantes du jour faisaient doucement rosir. Il y aurait certainement une tempete de