Jean Nicolas Arthur Rimbaud

UNE SAISON EN ENFER

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      'Jadis, si je me souviens bien, ma vie etait un festin ou s'ouvraient tous les coeurs, ou tous les vins coulaient.

     Un soir, j'ai assis la Beaute sur mes genoux. - Et je l'ai trouvee amere. - Et je l'ai injuriee.

     Je me suis arme contre la justice.

     Je me suis enfui. O sorcieres, o misere, o haine, c'est a vous que mon tresor a ete confie!

     Je parvins a faire s'evanouir dans mon esprit toute l'esperance humaine. Sur toute joie pour l'etrangler j'ai fait le bond sourd de la bete feroce.

     J'ai appele les bourreaux pour, en perissant, mordre la crosse de leurs fusils. J'ai appele les fleaux, pour m'etouffer avec le sable, avec le sang. Le malheur a ete mon dieu. Je me suis allonge dans la boue. Je me suis seche a l'air du crime. Et j'ai joue de bons tours a la folie.

     Et le printemps m'a apporte l'affreux rire de l'idiot.

     Or, tout dernierement, m'etant trouve sur le point de faire le dernier couac! j'ai songe a rechercher le clef du festin ancien, ou je reprendrais peut-etre appetit.

     La charite est cette clef. - Cette inspiration prouve que j'ai reve!

     'Tu resteras hyene, etc.... ,' se recrie le demon qui me couronna de si aimables pavots. 'Gagne la mort avec tous tes appetits, et ton egoisme et tous les peches capitaux.'

     Ah! j'en ai trop pris: - Mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle moins irritee! et en attendant les quelques petites lachetes en retard, vous qui aimez dans l'ecrivain l'absence des facultes descriptives ou instructives, je vous detache des quelques hideux feuillets de mon carnet de damne.

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MAUVAIS SANG

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    J'ai de mes ancetres gaulois l'oeil bleu blanc, la cervelle etroite, et la maladresse dans la lutte. Je trouve mon habillement aussi barbare que le leur. Mais je ne beurre pas ma chevelure.

     Les Gaulois etaient les ecorcheurs de betes, les bruleurs d'herbes les plus ineptes de leur temps.

     D'eux, j'ai: l'idolatrie et l'amour du sacrilege; - oh! tous les vices, colere, luxure, - magnifique, la luxure; - surtout mensonge et paresse.

     J'ai horreur de tous les metiers. Maitres et ouvriers, tous paysans, ignobles. La main a plume vaut la main a charrue. - Quel siecle a mains! - Je n'aurai jamais ma main. Apres, la domesticite mene trop loin. L'honnetete de la mendicite me navre. Les criminels me degoutent comme des chatres: moi, je suis intact, et ca m'est egal.

     Mais! qui a fait ma langue perfide tellement, qu'elle ait guide et sauvegarde jusqu'ici ma paresse? Sans me servir pour vivre meme de mon corps, et plus oisif que le crapaud, j'ai vecu partout. Pas une famille d'Europe que je ne connaisse. -J'entends des familles comme la mienne, qui tiennent tout de la declaration des Droits de l'Homme. - J'ai connu chaque fils de famille!

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     Si j'avais des antecedents a un point quelconque de l'histoire de France!

     Mais non, rien.

     Il m'est bien evident que j'ai toujours ete race inferieure. Je ne puis comprendre la revolte. Ma race ne se souleva jamais que pour piller: tels les loups a la bete qu'ils n'ont pas tuee.

     Je me rappelle l'histoire de la France fille ainee de l'Eglise. J'aurais fait, manant, le voyage de terre sainte; j'ai dans la tete des routes dans les plaines souabes, des vues de Byzance, des remparts de Solyme; le culte de Marie, l'attendrissement sur le crucifie s'eveillent en moi parmi mille feeries profanes. - Je suis assis, lepreux, sur les pots casses et les orties, au pied d'un mur ronge par le soleil. - Plus tard, reitre, j'aurais bivaque sous les nuits d'Allemagne.

     Ah! encore: je danse le sabbat dans une rouge clairiere, avec des vieilles et des enfants.

     Je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme. Je n'en finirais pas de me revoir dans ce passe. Mais toujours seul; sans famille; meme, quelle langue parlais-je. Je ne me vois jamais dans les conseils du Christ; ni dans les conseils des Seigneurs, - representants du Christ.

     Qu'etais-je au siecle dernier: je ne me retrouve qu'aujourd'hui. Plus de vagabonds, plus de guerres vagues. La race inferieure a tout couvert - le peuple, comme on dit, la raison; la nation et la science.

     Oh! la science! On a tout repris. Pour le corps et pour l'ame, - le viatique, - on a la medecine et la philosophie, - les remedes de bonnes femmes et les chansons populaires arranges. Et les divertissements des princes et les jeux qu'ils interdisaient! Geographie, cosmographie, mecanique, chimie!...

     La science, la nouvelle noblesse! Le progres. Le monde marche! Pourquoi ne tournerait-il pas?

     C'est la vision des nombres. Nous allons a l'Esprit. C'est tres-certain, c'est oracle, ce que je dis. Je comprends, et ne sachant m'expliquer sans paroles paiennes, je voudrais me taire.

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     Le sang paien revient! L'Esprit est proche, pourquoi Christ ne m'aide-t-il pas, en donnant a mon ame noblesse et liberte. Helas! l'Evangile a passe! l'Evangile! L'Evangile.

     J'attends Dieu avec gourmandise. Je suis de race inferieure de toute eternite.

     Me voici sur la plage armoricaine. Que les villes s'allument dans le soir. Ma journee est faite; je quitte l'Europe. L'air marin brulera mes poumons; les climats perdus me tanneront. Nager, broyer l'herbe, chasser, fumer surtout; boire des liqueurs fortes comme du metal bouillant, - comme faisaient ces chers ancetres autour des feux.

     Je reviendrai, avec des membres de fer, la peau sombre, l'oeil furieux: sur mon masque, on me jugera d'une race forte. J'aurai de l'or: je serai oisif et brutal. Les femmes soignent ces feroces infirmes retour des pays chauds. Je serai mele aux affaires politiques. Sauve.

     Maintenant, je suis maudit, j'ai horreur de la patrie. Le meilleur, c'est un sommeil bien ivre, sur la greve.

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     On ne part pas. - Reprenons les chemins d'ici, charge de mon vice, le vice qui a pousse ses racines de souffrance a mon cote, des l'age de raison - qui monte au ciel, me bat, me renverse, me traine.

     La derniere innocence et la derniere timidite. C'est dit. Ne pas porter au monde mes degouts et mes trahisons.

     Allons! La marche, le fardeau, le desert, l'ennui et la colere.

     A qui me louer? Quelle bete faut-il adorer? Quelle sainte image attaque-t-on? Quels coeurs briserai-je? Quel mensonge dois-je tenir? - Dans quel sang marcher?

     Plutot, se garder de la justice. - La vie dure, l'abrutissement simple, - soulever, le poing desseche, le couvercle du cercueil, s'asseoir, s'etouffer. Ainsi point de vieillesse, ni de dangers: la terreur n'est pas francaise.

     - Ah! je suis tellement delaisse que j'offre a n'importe quelle divine image des elans vers la perfection.

     O mon abnegation, o ma charite merveilleuse! ici-bas, pourtant!

     De profundis Domine, suis-je bete!

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     Encore tout enfant, j'admirais le forcat intraitable sur qui se referme toujours le bagne; je visitais les

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