une configuration exceptionnellement complexe et improbable des capsules concentriques d’energie eruptive qui s’ouvraient comme les petales d’une immense fleur entre les systemes stellaires. Mais comment un Mental de cuirasse modeste, et de surcroit archaique, aurait-il pu preparer, engendrer et appliquer pareil processus ?

Lorsqu’on s’apercut que ledit Mental avait bel et bien suivi la voie soupconnee au travers de son propre bouclier d’annihilation, il etait trop tard pour l’empecher de s’eloigner dans l’hyperespace, vers la petite planete froide orbitant en quatrieme position autour de l’unique soleil jaune du systeme voisin.

Il etait egalement trop tard pour intervenir sur la lumiere emise par les ogives, laquelle decrivait, par le biais d’un code rudimentaire, le sort du vaisseau ainsi que l’etat et la position du Mental en fuite ; le signal serait compris par tout individu captant l’explosion de lumiere irreelle qui se propageait dans la galaxie. Pis que tout (et, s’ils avaient ete programmes en consequence, ces cerveaux electroniques en auraient concu du desarroi), on ne pouvait simplement attaquer, detruire voire aborder la planete vers laquelle le Mental faisait route a travers son ecran d’explosions : c’etait le Monde de Schar. Proche de la zone d’espace sterile qui s’etend entre deux bras galactiques et porte le nom de Golfe Morne, Schar etait un monde interdit au meme titre que les autres Planetes des Morts.

1. Sorpen

Le niveau de l’eau atteignait a present sa levre superieure. Meme en pressant au maximum l’arriere de son crane contre la paroi de pierre, il n’arrivait qu’a maintenir son nez juste au-dessus de la surface. Il ne pourrait jamais liberer ses mains a temps ; il allait mourir noye.

Dans la penombre de la cellule et sa tiedeur nauseabonde, tandis que la sueur ruisselait sur son front et sur ses paupieres hermetiquement closes, tandis que sa transe se maintenait sans faiblir, quelque part au fond de lui-meme il essayait de se faire a l’idee de sa propre mort. Mais il y avait autre chose, comme un insecte invisible qui bourdonne dans une chambre calme ; une chose qui refusait de s’en aller, qui ne lui etait d’aucune utilite et ne faisait que l’irriter. C’etait une phrase, inutile et incongrue, si ancienne qu’il ne savait plus ou il l’avait lue ou entendue ; elle tournait sans relache dans sa tete comme une bille de marbre a l’interieur d’un vase.

Les Jinmoti de Bozlen Deux tuent les assassins rituels hereditaires de la famille immediate du nouveau Roi de l’Annee en les noyant dans les larmes de l’Empathaure Continental en sa Saison de Tristesse.

Peu apres le commencement de son martyre, comme il n’etait encore qu’a mi-chemin de la transe, il s’etait demande ce qui arriverait s’il vomissait. C’etait au moment ou les cuisines du palais – situees quinze ou seize etages plus haut, selon ses estimations – avaient vide leurs dechets dans le sinueux reseau de canalisations qui debouchait dans la cellule-egout. Ce magma gargouillant avait deloge des reliefs de nourriture putrefiee demeures la depuis la noyade – dans la fange et l’ordure – de son miserable predecesseur, et il avait senti son c?ur se soulever. Il avait fini par se dire que cela n’aurait aucune incidence sur le moment de sa mort, et y avait puise une forme de consolation.

Puis, en proie a la futilite nerveuse dont sont parfois victimes ceux qui n’ont d’autre solution qu’attendre alors que leur vie meme est menacee, il s’etait demande si, en se mettant a pleurer, il accelererait la venue de l’instant fatidique. En theorie, cela se tenait ; mais en pratique, c’etait parfaitement saugrenu. Ce fut pourtant ce qui provoqua la ronde incessante de cette fameuse phrase dans sa tete.

Les Jinmoti de Bozlen Deux tuent les assassins rituels hereditaires…

Le liquide, qu’il n’entendait que trop bien clapoter (sans parler de l’odeur et du contact contre son corps), et qu’il aurait sans doute pu voir grace a ses yeux tres superieurs a la moyenne, vint brievement froler ses narines. Il sentit celles-ci s’obstruer et s’emplir d’une puanteur qui lui redonna la nausee. Mais il secoua la tete, appuya encore plus fortement l’arriere de son crane contre les pierres, et l’odieuse mixture recula. Il souffla sur la surface et put a nouveau respirer.

Ce ne serait plus long maintenant. Il jeta un nouveau regard a ses poignets, mais rien a esperer de ce cote-la. Il lui aurait fallu au moins une heure ; or, il ne lui restait que quelques minutes – s’il avait de la chance.

De toute maniere, la transe se dissipait. Il reprenait presque entierement conscience, comme si son cerveau tenait a prendre toute la mesure de sa propre mort, sa propre extinction. Il s’efforca de penser a quelque chose de profond, de voir sa vie defiler devant lui a toute allure, ou encore de se rememorer un amour ancien, quelque prophetie ou premonition depuis longtemps oubliee, mais il n’y avait rien, rien que cette phrase creuse et la sensation de se noyer dans la crasse et les dejections d’autrui.

Bande de vieux fumiers, se dit-il. Un de leurs rares traits d’humour – ou bien etait-ce une preuve d’originalite ? – avait ete de lui concocter une mise a mort elegante, tout empreinte d’ironie. Comme il devait leur paraitre juste de trainer leurs carcasses decrepites jusqu’aux cabinets d’aisance des salles de banquet, pour litteralement couvrir d’ordure leurs adversaires, et ce faisant les tuer !

La pression de l’air s’accrut, et un lointain grondement plaintif de liquide en mouvement signala une nouvelle evacuation en provenance des etages. Bande de vieux fumiers. Ma foi, j’espere au moins que tu tiendras ta promesse, Balveda.

Les Jinmoti de Bozlen Deux tuent les assassins rituels hereditaires…, songea une fraction de son esprit tandis que les tuyaux du plafond crachotaient et que les dejections tombaient en soulevant une gerbe d’eclaboussures dans la masse de liquide tiede qui, a present, emplissait presque entierement la cellule. La vague lui submergea le visage, puis se retira une seconde le temps que son nez se degage et lui permette d’inspirer une goulee d’air. Alors le liquide remonta doucement, jusqu’a lui effleurer les narines, et se stabilisa a ce niveau.

Il retint son souffle.

Tout d’abord il avait souffert, quand ils l’avaient suspendu. Ses mains, etroitement emprisonnees dans des poches de cuir juste au-dessus de sa tete, etaient passees dans d’epaisses boucles d’acier serties dans la paroi et qui supportaient tout son poids. Ses pieds lies ensemble pendaient a l’interieur d’un tube d’acier egalement attache au mur de la cellule ; cela l’empechait de prendre appui sur ses pieds et ses genoux, mais aussi de deplacer ses jambes de plus de quelques centimetres dans un sens ou dans l’autre. Le tube s’achevait juste au- dessus de ses genoux ; plus haut, seul un pagne mince et crasseux dissimulait la nudite de son vieux corps douteux.

Il avait mentalement ecarte la souffrance que lui causaient ses poignets et ses epaules alors meme que quatre gardes robustes (dont deux perches sur des echelles) le fixaient en position. En meme temps, il eprouvait au fond de son crane une sensation insistante signifiant qu’il aurait du souffrir. Mais elle s’etait progressivement attenuee a mesure que le niveau de la fange s’elevait dans la petite cellule et, par la meme occasion, soulevait tout son corps.

Il avait entrepris de se mettre en transe des le depart des gardes, tout en sachant tres bien qu’il n’y avait sans doute plus d’espoir. Cela n’avait pas dure bien longtemps : quelques minutes plus tard, la porte s’ouvrait a nouveau, un garde abaissait une passerelle metallique sur le sol au dallage humide et une lumiere emanant du couloir percait l’obscurite de sa cellule. Il avait donc interrompu la transe de la metamorphose, et tendu le cou pour voir qui venait.

Tenant a la main un court baton qui irradiait une lueur bleutee, apparut alors la silhouette grisonnante et voutee d’Amahain-Frolk, ministre de la Securite de la Gerontocratie de Sorpen. Le vieil homme lui sourit, eut un hochement de tete approbateur et, d’une main fine et decoloree, invita une seconde personne, restee dehors, a s’engager sur la passerelle et entrer a son tour. Il avait prevu que ce serait l’agent de la Culture, Balveda, et ne se trompait pas. Elle franchit la passerelle d’un pas leger, regarda lentement autour d’elle, puis riva ses yeux a son corps a lui. Il sourit et s’efforca de la saluer d’un signe de tete. Ses oreilles frotterent contre ses bras nus.

— Balveda ! Je pensais bien te revoir un jour. Alors, on est venue voir l’hote de la soiree ?

Il se forca a sourire. Officiellement, c’etait en effet son banquet a lui. Il en etait l’hote d’honneur. Encore une des petites plaisanteries de la Gerontocratie. Il espera que sa voix ne trahissait nulle nuance de peur.

Perosteck Balveda, agent de la Culture, depassait d’une bonne tete le vieillard qui la flanquait, et restait etonnamment belle sous la clarte blafarde de la torche bleutee ; elle secoua lentement sa tete mince et delicate. Sa courte chevelure noire reposait comme une ombre sur son crane.

Вы читаете Une forme de guerre
Добавить отзыв
ВСЕ ОТЗЫВЫ О КНИГЕ В ИЗБРАННОЕ

0

Вы можете отметить интересные вам фрагменты текста, которые будут доступны по уникальной ссылке в адресной строке браузера.

Отметить Добавить цитату