respire… maintenant !

Avant qu’il ait eu le temps d’ouvrir la bouche, il se retrouva le dos projete contre le mur, plaque sur les pierres comme par un monstrueux poing d’acier. Il expulsa en un souffle convulsif tout l’air vicie que contenaient ses poumons. Sa chair se refroidit brusquement, et toutes les parties de son corps en contact avec la paroi s’emplirent d’une douleur pulsatile. La mort, semblait-il, n’etait que pression, souffrance, froidure et luminosite excessive…

Il releva peniblement la tete et gemit sous l’impact de la lumiere. Il s’efforca d’entendre, s’efforca de voir. Que se passait-il ? Comment se faisait-il qu’il puisse respirer ? Pourquoi etait-il a nouveau si lourd ? Le poids de son propre corps lui deboitait les bras des epaules ; ses poignets etaient entailles presque jusqu’a l’os. Qui pouvait bien lui avoir fait cela ?

A l’emplacement du mur qui jusqu’alors lui faisait face, s’ouvrait a present un enorme trou aux bords denteles, qui se prolongeait sous le plancher de cellule. Toutes les dejections, toutes les ordures s’y etaient engouffrees d’un coup. Seules demeuraient quelques traces d’humidite qui s’evaporaient en sifflant sur les flancs de la breche ; la vapeur produite s’enroulant autour d’une silhouette qui, dressee dans l’ouverture, masquait en grande partie la clarte radieuse du dehors, ou regnait l’air libre de Sorpen. Elle mesurait trois metres de haut et evoquait vaguement un petit cuirasse spatial pose sur un trepied a montants epais. Le casque seul semblait assez volumineux pour contenir trois tetes humaines juxtaposees. Horza apercut, tenu presque nonchalamment par une main gigantesque, un canon a plasma qu’il aurait eu peine a soulever a deux bras ; l’autre poing de la creature etait referme sur une arme de taille legerement superieure. Derriere l’apparition approchait une plate-forme a canons idirane, brillamment eclairee par les explosions dont Horza sentait a present les vibrations dans l’acier et la pierre qui le retenaient prisonnier. Il leva la tete vers le visage du geant debout dans la breche et s’efforca de sourire.

— Eh bien dites donc, coassa-t-il avant de se mettre a crachoter puis expectorer franchement, vous y avez mis le temps !

2. La Main de Dieu 137

A l’exterieur du palais, dans l’air glacial de cet apres-midi hivernal, le ciel limpide semblait empli de neige etincelante.

Horza marqua un temps d’arret sur la passerelle de la navette de guerre et regarda vers le ciel, puis tout autour de lui. Les hautes murailles verticales et les tours elancees du palais-prison repercutaient les deflagrations assorties d’eclairs des incessants tirs incendiaires, tandis que les plates-formes a canons idiranes allaient et venaient en faisant sporadiquement feu. De part et d’autre des engins s’arrondissaient, portes par la brise fraichissante, de vastes nuages de debris arraches aux toits du palais par les mortiers antilaser. Une rafale de vent poussa quelques fines feuilles de metal voletantes, oscillantes, vers la navette stationnaire, et le corps detrempe et gluant de Horza fut tout a coup recouvert, sur tout un cote, d’une seconde peau reflechissante.

— S’il vous plait. La bataille n’est pas encore terminee, tonna dans son dos le soldat idiran, qui avait sans doute eu l’intention de lui parler tout bas.

Horza se retourna vers l’imposant geant en armure et contempla fixement sa visiere, ou se refletait son propre visage de vieillard. Il inspira profondement, puis hocha la tete et se remit en marche, d’un pas mal assure, vers l’entree de la navette. Un eclair lumineux projeta son ombre en diagonale devant lui, et l’appareil fut ebranle par une onde de choc au moment ou retentissait une violente explosion quelque part dans le palais ; simultanement, la passerelle se replia.

Leurs noms nous en apprennent un peu sur elles, songeait Horza en se douchant. Les Unites de Contact Generales appartenant a la Culture qui, les quatre premieres annees, avaient fait les frais de la guerre dans l’espace, s’etaient de tout temps choisi des appellations humoristiques, voire facetieuses. Meme les nouveaux cuirasses sortis de l’unite-usine, qui achevait peu a peu l’armement de sa production militaire, penchaient en faveur de noms divertissants, deprimants ou carrement rebutants, comme si la Culture n’arrivait pas a prendre tout a fait au serieux le vaste conflit dont elle s’etait melee.

Les Idirans, eux, voyaient les choses differemment. Pour eux, un nom de vaisseau devait refleter le caractere serieux de sa raison d’etre, de ses devoirs et de sa fonction bien determinee. La formidable flotte idirane comptait des centaines d’appareils portant le meme nom de heros, de planete, de bataille, le meme terme designant un dogme religieux, ou le meme qualificatif pompeux. Le croiseur leger venu a la rescousse de Horza etait le cent trente-septieme du nom, et coexistait donc a l’interieur de la flotte avec plus d’une centaine d’homonymes ; d’ou son nom : la Main de Dieu 137.

Il se secha non sans mal sous le pulseur d’air. Comme tout a bord, il etait proportionne aux Idirans, c’est- a-dire proprement monumental, et l’ouragan qu’il souffla manqua de projeter Horza hors de la cabine de douche.

Le Querl Xoralundra, pere-espion et pretre guerrier de la secte tributaire de Farn-Idir, rattachee aux Quatre-Ames, joignit les mains sur la table. Horza crut voir deux grands plats se collant l’un contre l’autre.

— Ainsi, Bora Horza, tonna le vieil Idiran, vous voila sain et sauf.

— A peu pres, acquiesca Horza en se frottant les poignets.

Il se trouvait dans la cabine de Xoralundra, a bord de la Main de Dieu 137, vetu d’une combinaison spatiale encombrante mais confortable, manifestement concue pour lui. Xoralundra, lui aussi en combinaison, avait insiste pour qu’il l’enfile : le navire, qui decrivait une orbite rapide a puissance minimale autour de la planete Sorpen, etait toujours engage dans les hostilites. Les services de renseignement de la flotte avaient confirme la presence, quelque part dans le systeme, d’une UCG de la Culture, appartenant a la classe Montagne ; la Main s’y trouvait sans allie, et ses occupants n’arrivaient pas a decouvrir la moindre trace du batiment de la Culture. Il fallait donc se montrer prudent.

Xoralundra se pencha vers Horza. Son ombre envahit toute la table. Sa tete enorme qui, vue de face, avait la forme d’une selle et comportait deux yeux frontaux clairs, sans paupieres et tres ecartes, se profila au-dessus du Metamorphe.

— Vous avez eu de la chance, Horza. Ce n’est pas par compassion que nous sommes venus a votre secours. L’echec est sa propre recompense.

— Je vous remercie, Xora. C’est ce qu’on m’a dit de plus gentil aujourd’hui.

Horza se laissa aller en arriere dans son siege et passa dans sa maigre chevelure jaunatre une main de vieillard. Il faudrait quelques jours pour que s’efface l’apparence agee qu’il avait contrefaite, bien qu’il la sente deja s’evanouir peu a peu. Il existait dans l’esprit des Metamorphes une image du soi continuellement maintenue et revisee au niveau semi-subconscient, et qui conservait automatiquement a leur corps l’aspect desire. Puisque Horza n’eprouvait plus le besoin de ressembler a un Gerontocrate, l’image mentale du ministre qu’il avait imite pour le compte des Idirans etait en train de se fragmenter, de se dissoudre, et son corps reprenait la neutralite de sa forme premiere.

La tete de Xoralundra se mit a osciller de droite a gauche entre les montants du col de sa combinaison. C’etait la une gestuelle que Horza n’etait jamais tout a fait parvenu a interpreter, bien que sa collaboration avec les Idirans et ses rapports avec Xoralundra remontent bien plus loin que la declaration de guerre.

— Quoi qu’il en soit, vous etes vivant, reprit ce dernier.

Horza opina et se mit a pianoter sur la table pour montrer qu’il etait d’accord. Si seulement le siege idiran sur lequel il etait perche ne lui donnait pas autant l’impression d’etre un enfant ! Ses pieds ne touchaient meme pas le sol.

— C’est juste. Quoi qu’il en soit, je vous remercie. Je suis navre de vous avoir fait faire tout ce chemin rien que pour recuperer l’auteur de cet echec.

— Les ordres sont les ordres. Personnellement, je me rejouis de notre reussite. Et maintenant, je dois vous dire pourquoi nous les avons recus, ces ordres.

Horza sourit et detourna son regard du vieil Idiran, qui venait de lui faire un petit compliment ; la chose etait rare. Puis il reporta son attention sur la creature, dont la bouche colossale – assez grande, songea-t-il, pour vous arracher les deux mains d’un seul coup de dent – articulait a present d’une voix tonitruante les termes courts et precis de la langue idirane.

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