Rene Charbonnier me demande de reduire mon roman de volume. De mille cinq cents pages, je passe donc a trois cent cinquante, de huit batailles, je passe a une, de vingt personnages principaux, je passe a trois et de cent quatre-vingts decors, je passe a douze.

D'ailleurs, l'exercice qui consiste a ne conserver que l'essentiel me parait salutaire. Je reecris, je peaufine et peaufine encore chaque ligne. Puis je coupe carrement tout le debut et toute la fin de mon texte. Ainsi on entre plus vite dans l'histoire et on en sort plus vite aussi. C'est comme une montgolfiere que j'allege afin qu'elle puisse mieux s'elever.

Plus mon manuscrit s'ameliore, plus Gwendoline devient nerveuse. Elle marmonne: «Oui, pour toi tout marche. Ce n'est pas a moi que ca arriverait.» Je reponds: «C'est mieux pour nous deux qu'il y en ait un au moins qui reussisse. Ainsi, il peut aider l'autre.»

La phrase est mal choisie. Gwendoline aurait prefere que les roles soient inverses. Que ce soit elle et non moi qui soit publie afin de demontrer qu'elle aussi est capable d'aider les autres. Ma reussite ne lui fait que prendre davantage conscience de sa non-reussite.

Plus la date de publication approche, plus elle devient agressive et je me retrouve presque oblige de m'excuser d'etre edite. Elle finit par declarer carrement: «Si tu m'aimes vraiment, tu dois trouver en toi la force de renoncer a publier ce livre.»

Je ne m'attendais pas a ce que son envie s'exprime aussi crument. Je lui promets de l'emmener en vacances si Les Rats rapportent de l'argent. Elle me repond qu'elle deteste les vacances et que, de toute facon, mon roman est trop mauvais pour interesser qui que ce soit.

Il se passe peu de temps avant que Gwendoline me quitte pour aller refaire sa vie avec Jean-Benoit Dupuis, psychiatre specialise dans la spasmophilie.

— Je te quitte pour Jean-Benoit car lui au moins a eu le courage de prononcer les seuls mots que tu as ete incapable de me dire pendant toute notre relation: «Je t'aime.»

Je me sens abandonne, Mona Lisa aussi. Nous commencions a nous habituer a cette presence furtive.

Je passe a nouveau du temps enferme a lire dans les W-C.

Gwendoline ne tarde pas a me telephoner pour me tenir informe de son bonheur: «J'ai trouve l'homme qu'il me faut. Jean-Benoit est parfait.» Et puis, ca se gate. «Il est devenu fou furieux quand il a appris que je t'appelais.»

Pourtant, elle appelle toujours. Quelques ecailles lui sont tombees des yeux. Elle pense que son psychiatre souffre d'un complexe d'inferiorite en raison de sa petite taille. Il en veut a tous les gens plus grands que lui. Comme il est specialiste en spasmophilie, il a affaire generalement a des clientes deprimees et faciles a manipuler. Il s'amuse a interferer dans leur vie pour voir jusqu'ou va son pouvoir de manipulation. Apres plusieurs tentatives de suicide de patientes, les familles ont demande qu'il soit raye de l'Ordre. Mais comme il est ami du ministre de la Sante, personne n'a pu l'inquieter.

Un jour, par hasard, je rencontre Gwendoline dans la rue, elle se rendait au pressing pour deposer des vestes de Jean-Benoit. Elle a un bras en echarpe. Son visage est emacie. Elle dissimule un ?il au beurre noir sous des lunettes de soleil.

Elle me voit. D'abord, elle veut me fuir, puis elle se ressaisit. Elle me touche doucement la main. Enfin, elle sourit et dit:

— Tu ne peux pas comprendre, c'est l'amour. Dupuis m'aime tellement.

Puis elle deguerpit.

Apres ca, je n'ai plus eu de nouvelles de Gwendoline.

Cette histoire me perturbe.

Je me lance dans ma fuite habituelle, l'ecriture: la suite des Rats puisque le premier tome est sur le point de paraitre. C'est le moment que mon ordinateur choisit pour me laisser tomber. Une panne inexplicable et je perds tous les textes accumules dans le disque dur!

Cela me fait un drole d'effet, perdre ma fiancee et perdre tous mes chantiers, c'est mourir un peu. Je decide de renaitre et, derechef, je recommence a ecrire. Il me vient l'idee d'un personnage supplementaire, une representation de Dupuis.

Apres tout, c'est la premiere fois que mon chemin croise celui d'un vrai «mechant». Alfred Hitchcock le soulignait, ce qui fait la valeur d'une histoire, c'est la qualite du mechant. Avec Dupuis, je tiens un anti-heros d'autant plus credible qu'il existe vraiment. Je l'introduis dans mon Ode aux Rats et tous mes autres personnages prennent davantage de relief.

J'ecris assidument, mais je ne sais pas pourquoi cette histoire n'en finit pas de me tourmenter. Avec Gwen-doline, j’ai pris conscience qu'il est impossible d'aider les autres malgre eux, et cette revelation me navre. J'ecris mais je commence a traverser une nouvelle crise de defaitisme. Comme d'habitude ca me fait du mal a retardement. Ca me fait meme oublier mon plaisir d'etre bientot publie.

Je m'enferme dans les W-C et, au lieu de lire, je rumine: «A quoi bon?» Je crois que je n'ai pas realise le souhait de Mlle Van Lysebeth, je n'ai pas trouve ma place. Peut-etre que je suis completement a cote de ma mission… et pas du tout ecrivain. A quoi bon insister?…

147. ENCYCLOPEDIE

CHACUN SA PLACE: Selon le sociologue Philippe Peissel, les caracteres feminins presentent quatre tendances:

1 — les meres,

2 — les amantes,

3 — les guerrieres,

4 — les initiatrices.

Les meres accordent par predilection l'importance au fait de fonder une famille, avoir des enfants et les elever.

Les amantes aiment seduire et vivre de grandes histoires passionnelles.

Les guerrieres veulent conquerir des territoires de pouvoir, s'engager pour des causes ou des enjeux politiques.

Les initiatrices sont les femmes tournees vers l'art, la spiritualite ou la guerison. Elles seront d'excellentes muses, educatrices, doctoresses. C'etaient jadis les vestales.

Pour chaque personne, ces tendances sont plus ou moins developpees.

Le probleme vient lorsqu'une femme ne se retrouve pas dans le role principal que la societe lui impose. Si on force les amantes a etre des meres, ou les initiatrices a etre des guerrieres la contrainte genere parfois des clashs violents.

Chez les hommes, il y a aussi quatre positionnements preferentiels:

1 — les agriculteurs,

2 — les nomades,

3 — les batisseurs,

4 — les guerriers.

Dans la Bible, il y avait Abel le nomade qui s'occupait des troupeaux et Cain l'agriculteur qui s'occupait des moissons.

Cain tue Abel et comme punition Dieu dit: «Tu erreras sur la Terre.» Donc on oblige Cain a etre nomade alors qu'il est fondamentalement agriculteur. Il doit faire ce pour quoi il n'est pas fait. Et c'est la sa grande douleur.

La seule combinaison qui peut mener au mariage durable est «mere-agriculteur». Les deux etant dans un souhait d'immobilisme et de duree. Toutes les autres combinaisons peuvent donner lieu a de grandes passions, mais entrainent, a la longue, des conflits.

Le but d'une femme accomplie est d'etre mere et amante et guerriere et initiatrice. Des lors, on peut dire que la princesse est devenue reine.

Le but d'un homme accompli est d'etre agriculteur et nomade et batisseur et guerrier.

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