tete. Il est apparu comme un voleur dans mon corps et juste quand je l'acceptais, l'appreciais, le revendiquais, il a file comme il etait venu.

Je suis gueri, quelle catastrophe! Je ne pourrais pas echanger ma guerison avec quelqu'un d'autre qui en profiterait mieux? He ho! mon ange, si tu m'entends, je ne veux plus guerir. Je veux retomber malade. C'est ma priere.

Je m'agenouille sur le carrelage et j'attends. Je sentais quand mon ange m'ecoutait. Je sens qu'il ne m'ecoute plus. Saint Igor aussi se desinteresse de moi a present que je suis retabli. Tout s'effondre.

J'ai tout supporte mais cette «guerison», c'en est trop. C'est la goutte d'eau qui fait deborder le vase.

Dans le couloir j'entends Tatiana qui entretient tout le personnel hospitalier de la bonne nouvelle.

— Igor est gueri, Igor est gueri! chante-t-elle a tue-tete, l'inconsciente.

— S'il te plait mon ange, envoie-moi une metastase en signe d'alliance. Tu m'as assiste pour de petites choses, si tu m'oublies dans les grandes, tu n'es qu'un ange irresponsable.

La fenetre est ouverte. Je me penche. L'hopital est haut. Une chute de cinquante-trois etages, ca devrait aller.

Agir sans reflechir. Surtout sans reflechir, sinon je ne trouverai pas le courage. Je saute. Je descends comme une pierre.

J'apercois au-dessous, par les fenetres, des gens qui vaquent a leurs occupations. Certains me voient et font des «o» avec leur bouche.

«Sois rapide ou sois mort»? La je suis tres rapide et je vais bientot etre tres mort.

Le sol approche a toute allure. J'ai peut-etre fait une boulette. J'aurais peut-etre du reflechir quand meme un peu.

Le sol est maintenant a dix metres de moi. Je ferme les yeux. J'ai a peine le temps de ressentir la petite seconde desagreable ou tous mes os se fracassent contre le bitume. De solide, je deviens liquide. La, ils ne me recupereront plus. J'ai tres mal une seconde qui semble durer une heure et puis tout s'arrete. Je sens la vie qui me quitte.

165. VENUS. 25 ANS

J'ai divorce d'avec Richard. Et je sors avec mon avocat, Murray Benett, le celebre tenor du barreau. En une semaine, il s'installe dans ma vie, dans mon c?ur, dans mon corps, dans mes meubles et dans mes contrats.

Avec lui, la vie de couple se transforme en une sorte de contrat permanent. Il dit que la vie a deux, que ce soit dans le concubinage ou le mariage, devrait etre regie par un systeme de bail trois-six-neuf, comme pour les locations d'appartements. A echeance, c'est-a-dire tous les trois ans, si les partenaires ne sont pas satisfaits, on reexamine les clauses ou on denonce le contrat, et s'ils sont contents on repart pour trois nouvelles annees par «tacite reconduction».

Sur ce sujet, Murray est intarissable. Le mariage «classique» est stupide, pretend-il. C'est un contrat a vie que les protagonistes signent alors qu'ils sont incapables d'en dechiffrer les clauses tant ils sont aveugles par leurs sentiments et la peur de la solitude. Si les epoux le ratifient a vingt ans, il restera valable soixante-dix ans environ, sans etre susceptible de la moindre modification. Or la societe, les m?urs, les gens evoluent et il arrive forcement un moment ou le contrat devient caduc.

Je me moque de tout ce baratin juridique, tout ce que je sais c'est que Murray adore faire l'amour dans des positions insensees. Avec lui, j'en decouvre que meme le Kama-sutra ignore. Il me prend dans des endroits completement incongrus ou nous risquons d'etre surpris par le premier passant venu. Le danger est un aphrodisiaque.

Lorsque nous dinons avec sa «bande», essentiellement constituee de ses ex-petites amies, je sens qu'elles m'en veulent d'occuper la place convoitee de derniere amante en date. Quand Murray parle, il amuse la galerie.

— Comme tous les avocats, je deteste avoir des clients innocents. Si on gagne pour un innocent, il considere cela comme normal. Et si on perd, il vous en veut personnellement. Alors qu'avec un coupable, si on perd, il considere que c'est ineluctable et si on gagne, il vous baise les pieds!

Tout le monde s'esclaffe. Sauf moi.

Au depart, Murray et moi avons chacun defini notre territoire dans notre appartement. La, c'est ma chambre. La, c'est mon bureau. La, je range ma brosse a dents et la tu mets la tienne. Dans nos placards tout ce qui est a portee d'yeux est occupe par ses vestes, ses pulls et ses chemises. Mes affaires a moi sont releguees soit tout en haut, soit tout en bas. J'aurais du me mefier d'emblee de ce genre de details.

De tous les hommes que j'ai connus, Murray est le premier a etre attache si fort a cette notion de territoire.

Toutes les man?uvres lui sont bonnes pour elargir son territoire:

Qui garde en main la telecommande et choisit le programme a la tele?

Qui squatte le premier le matin les toilettes et la salle de bains?

Qui y lit le journal sans se soucier que l'autre attende?

Qui decroche quand le telephone sonne?

Qui sort les poubelles?

Quels parents recoit-on le dimanche?

Comme je suis a meme de fuir et de me refugier en permanence dans mon metier d'actrice, je m'investis peu dans cette guerilla quotidienne.

J'aurais pourtant du rester sur le qui-vive. J'aurais du reagir immediatement quand il a commence a m'ar- racher toute la couette en dormant, tandis que moi je restais a grelotter.

L'amour n'excuse pas tout. Aucun de mes anciens admirateurs n'aurait pu m'imaginer si souple et si docile. Le salon, la cuisine et le vestibule avaient ete declares territoires neutres. Au nom du bon gout, Mur-ray a rapidement enleve de l'entree tous les bibelots qui me plaisent pour les remplacer par des photos de vacances de lui avec ses ex. Plus aucune nourriture normale ne traine dans le refrigerateur envahi par ses aliments favoris, plats etranges achetes tout prepares en pharmacie pour leurs vertus amincissantes.

Quant au salon, il y trone un enorme fauteuil avec interdiction a quiconque d'y poser ses fesses.

Comme, par paresse, je refuse de passer mon temps a me battre, mon territoire particulier se retrouve reduit a la portion congrue. De guerre lasse, j'abandonne a Murray presque toute ma moitie d'appartement pour me calfeutrer dans mon petit bureau dont il a exige d'ailleurs que j'ote la serrure afin que je ne puisse m'y enfermer.

Je suis battue. Cependant, comme Murray renegocie habilement avec mes producteurs mes droits sur mes films, je ne me considere pas comme entierement perdante. Il a fallu qu'il se mele de ranger et de redecorer mon ultime refuge, mon bureau, pour que je lui annonce mon intention de ne pas reconduire le bail.

Murray l'a pris de haut.

— Sans moi, tu es fichue. Notre societe est devenue tellement juridique que les producteurs te devoreront toute crue.

Je prends le risque. N'ayant nullement l'intention d'adherer a son «club des ex», je le prie, en outre, de ne pas chercher a me revoir. La, il s'emporte. Il declare que je lui suis entierement redevable de ma reussite. «Sans moi tu ne serais jamais devenue une actrice inspiree.» En consequence, il exige la moitie de tout ce que j'ai gagne pendant notre vie commune. J'y consens sans rechigner. C'est vrai qu'il m'a rendu la vie si difficile et que je me suis sentie tellement a l'etroit sur mon territoire en peau de chagrin que, cette annee, j’ai accepte le plus de roles possible et donc beaucoup accru mes revenus. Mes migraines ont repris de plus belle. Je supplie Billy Watts, mon agent, de trouver une solution.

— Il n'y en a que deux, dit-il. La premiere, la plus classique, c'est de te rendre a Paris chez le professeur Jean-Benoit Dupuis, le specialiste francais de la migraine et de la spasmophilie. La seconde consiste a consulter mon nouveau medium.

— Tu n'es plus avec Ludivine?

— Apres le succes de ses consultations individuelles, elle a cree un groupe de reflexion et, comme il a eu beaucoup de succes, elle a malheureusement enchaine par la fondation d'une secte. La GVF. «Les Gardiens de la

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