En entendant ces mots, un homme se presenta soudain, et vint s’asseoir aupres d’elle.

— Ma chere Seraphita, souffrez-vous ? Je vous trouve plus pale que de coutume.

Elle se tourna lentement vers lui, apres avoir chasse ses cheveux en arriere comme une jolie femme qui, accablee par la migraine, n’a plus la force de se plaindre.

— J’ai fait, dit-elle, la folie de traverser le Fiord avec Minna ; nous avons monte sur le Falberg.

— Vous vouliez donc vous tuer ? dit-il avec l’effroi d’un amant.

— N’ayez pas peur, bon Wilfrid, j’ai eu bien soin de votre Minna.

Wilfrid frappa violemment de sa main la table, se leva, fit quelques pas vers la porte en laissant echapper une exclamation pleine de douleur, puis il revint et voulut exprimer une plainte.

— Pourquoi ce tapage, si vous croyez que je souffre ? dit Seraphita.

— Pardon, grace ! repondit-il en s’agenouillant. Parlez-moi durement, exigez de moi tout ce que vos cruelles fantaisies de femme vous feront imaginer de plus cruel a supporter ; mais, ma bien-aimee, ne mettez pas en doute mon amour. Vous prenez Minna comme une hache, et m’en frappez a coups redoubles. Grace !

— Pourquoi me dire de telles paroles, mon ami, quand vous les savez inutiles ? repondit-elle en lui jetant des regards qui finissaient par devenir si doux que Wilfrid ne voyait plus les yeux de Seraphita, mais une fluide lumiere dont les tremblements ressemblaient aux dernieres vibrations d’un chant plein de mollesse italienne.

— Ah ! l’on ne meurt pas d’angoisse, dit-il.

— Vous souffrez ? reprit-elle d’une voix dont les emanations produisaient au c?ur de cet homme un effet semblable a celui des regards. Que puis-je pour vous ?

— Aimez-moi comme je vous aime.

— Pauvre Minna ! repondit-elle.

— Je n’apporte jamais d’armes, cria Wilfrid.

— Vous etes d’une humeur massacrante, fit en souriant Seraphita. N’ai-je pas bien dit ces mots comme ces Parisiennes de qui vous me racontez les amours ?

Wilfrid s’assit, se croisa les bras, et contempla Seraphita d’un air sombre.

— Je vous pardonne, dit-il, car vous ne savez ce que vous faites.

— Oh ! reprit-elle, une femme, depuis Eve, a toujours fait sciemment le bien et le mal.

— Je le crois, dit-il.

— J’en suis sure, Wilfrid. Notre instinct est precisement ce qui nous rend si parfaites. Ce que vous apprenez, vous autres, nous le sentons, nous.

— Pourquoi ne sentez-vous pas alors combien je vous aime.

— Parce que vous ne m’aimez pas.

— Grand Dieu !

— Pourquoi donc vous plaignez-vous de vos angoisses ? demanda-t-elle.

— Vous etes terrible ce soir, Seraphita. Vous etes un vrai demon.

— Non, je suis douee de la faculte de comprendre, et c’est affreux. La douleur, Wilfrid, est une lumiere qui nous eclaire la vie.

— Pourquoi donc alliez-vous sur le Falberg ?

— Minna vous le dira, moi je suis trop lasse pour parler. A vous la parole, a vous qui savez tout, qui avez tout appris et n’avez rien oublie, vous qui avez passe par tant d’epreuves sociales. Amusez-moi, j’ecoute.

— Que vous dirai-je, que vous ne sachiez ? D’ailleurs votre demande est une raillerie. Vous n’admettez rien du monde, vous en brisez les nomenclatures, vous en foudroyez les lois, les m?urs, les sentiments, les sciences, en les reduisant aux proportions que ces choses contractent quand on se pose en dehors du globe.

— Vous voyez bien, mon ami, que je ne suis pas une femme. Vous avez tort de m’aimer. Quoi ! je quitte les regions etherees de ma pretendue force, je me fais humblement petite, je me courbe a la maniere des pauvres femelles de toutes les especes, et vous me rehaussez aussitot ! Enfin je suis en pieces, je suis brisee, je vous demande du secours, j’ai besoin de votre bras, et vous me repoussez. Nous ne nous entendons pas.

— Vous etes ce soir plus mechante que je ne vous ai jamais vue.

— Mechante ! dit-elle en lui lancant un regard qui fondait tous les sentiments en une sensation celeste. Non, je suis souffrante, voila tout. Alors quittez-moi, mon ami. Ne sera-ce pas user de vos droits d’homme ? Nous devons toujours vous plaire, vous delasser, etre toujours gaies, et n’avoir que les caprices qui vous amusent. Que dois-je faire, mon ami ? Voulez-vous que je chante, que je danse, quand la fatigue m’ote l’usage de la voix et des jambes ? Messieurs, fussions-nous a l’agonie, nous devons encore vous sourire ! Vous appelez cela, je crois, regner. Les pauvres femmes ! je les plains. Dites-moi, vous les abandonnez quand elles vieillissent, elles n’ont donc ni c?ur ni ame ? Eh ! bien, j’ai plus de cent ans, Wilfrid, allez-vous-en ! allez aux pieds de Minna.

— Oh ! mon eternel amour !

— Savez-vous ce que c’est que l’eternite ? Taisez-vous, Wilfrid. Vous me desirez et vous ne m’aimez pas. Dites-moi, ne vous rappele-je pas bien quelque femme coquette ?

— Oh ! certes, je ne reconnais plus en vous la pure et celeste jeune fille que j’ai vue pour la premiere fois dans l’eglise de Jarvis.

A ces mots, Seraphita se passa les mains sur le front, et quand elle se degagea la figure, Wilfrid fut etonne de la religieuse et sainte expression qui s’y etait repandue.

— Vous avez raison, mon ami. J’ai toujours tort de mettre les pieds sur votre terre.

— Oui, chere Seraphita, soyez mon etoile, et ne quittez pas la place d’ou vous repandez sur moi de si vives lumieres.

En achevant ces mots, il avanca la main pour prendre celle de la jeune fille, qui la lui retira sans dedain ni colere. Wilfrid se leva brusquement, et s’alla placer pres de la fenetre, vers laquelle il se tourna pour ne pas laisser voir a Seraphita quelques larmes qui lui roulerent dans les yeux.

— Pourquoi pleurez-vous ? lui dit-elle. Vous n’etes plus un enfant, Wilfrid.

Allons, revenez pres de moi, je le veux. Vous me boudez quand je devrais me facher.

Vous voyez que je suis souffrante, et vous me forcez, je ne sais par quels doutes, de penser, de parler, ou de partager des caprices et des idees qui me lassent. Si vous aviez l’intelligence de ma nature, vous m’auriez fait de la musique, vous auriez endormi mes ennuis ; mais vous m’aimez pour vous et non pour moi.

L’orage qui bouleversait le c?ur de Wilfrid fut soudain calme par ces paroles ; il se rapprocha lentement pour mieux contempler la seduisante creature qui gisait etendue a ses yeux, mollement couchee, la tete appuyee sur sa main et accoudee dans une pose decevante.

— Vous croyez que je ne vous aime point, reprit-elle. Vous vous trompez.

Ecoutez-moi, Wilfrid. Vous commencez a savoir beaucoup, vous avez beaucoup souffert. Laissez-moi vous expliquer votre pensee. Vous vouliez ma main ? Elle se leva sur son seant, et ses jolis mouvements semblerent jeter des lueurs. — Une jeune fille qui se laisse prendre la main ne fait-elle pas une promesse, et ne doit-elle pas l’accomplir ?

Vous savez bien que je ne puis etre a vous. Deux sentiments dominent les amours qui seduisent les femmes de la terre. Ou elles se devouent a des etres souffrants, degrades, criminels, qu’elles veulent consoler, relever, racheter ; ou elles se donnent a des etres superieurs, sublimes, forts, qu’elles veulent adorer, comprendre, et par lesquels souvent elles sont ecrasees. Vous avez ete degrade, mais vous vous etes epure dans les feux du repentir, et vous etes grand aujourd’hui ; moi je me sens trop faible pour etre votre egale, et suis trop religieuse pour m’humilier sous une puissance autre que celle d’En-Haut.

Votre vie, mon ami, peut se traduire ainsi, nous sommes dans le nord, parmi les nuees ou les abstractions ont cours.

— Vous me tuez, Seraphita, lorsque vous parlez ainsi, repondit-il. Je souffre toujours en vous voyant user de la science monstrueuse avec laquelle vous depouillez toutes les choses humaines des proprietes que leur donnent le temps, l’espace, la forme, pour les considerer mathematiquement sous je ne sais quelle expression pure, ainsi que le fait la geometrie pour les corps desquels elle abstrait la solidite.

— Bien, Wilfrid, je vous obeirai. Laissons cela. Comment trouvez-vous ce tapis de peau d’ours que mon pauvre David a tendu la ?

— Mais tres-bien.

— Vous ne me connaissiez pas cette Doucha greka  !

C’etait une espece de pelisse en cachemire doublee en peau de renard noir, et dont le nom signifie chaude a l’ame.

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