joues roses qui jetaient des bouquets sur les chars.

«Elle est belle, pensa Ivan. Si ce n'est pas malheureux!»

– Mais non! Tu as tort de le prendre comme Ca! reprit-il. Qu'est-ce que tu as a te decourager? Tu vas te retablir. Une belle robe, et des fiances tu en trouveras autant que tu en voudras!

Elle lui jeta un regard rapide, se leva et lui tendit la main.

– Eh bien, Vania, c'est l'heure du repas. Encore une fois, merci d'etre venu…

Il franchit les grilles de l'hopital, descendit une rue, puis brusquement rebroussa chemin. «Je vais lui laisser mon adresse, pensa-t-il. Qu'elle puisse m'ecrire. Ca sera moins dur pour elle.»

Il penetra dans l'hopital et commenca a monter l'escalier.

– Vous avez oublie quelque chose? lui lanca gentiment la gardienne.

– Oui, c'est ca, j'ai oublie quelque chose.

Tatiana n'etait pas dans la salle, a la cantine non plus. Il voulut redescendre pour demander a la gardienne. Mais a ce moment-la, dans un recoin, derriere un pilier, il reconnut sa robe de chambre.

Elle pleurait silencieusement, par crainte de l'echo entre les etages. Derriere le pilier, une fenetre etroite donnait sur le petit jardin et les grilles de l'hopital. Il s'approcha, la prit par les epaules et dit d'une voix alteree:

– Qu'est-ce qui se passe, Tania? Tiens, voila mon adresse. Tu vas m'ecrire…

A travers ses larmes, elle fit non de la tete et murmura dans un hoquet:

– Non, non, Vania. Ce n'est pas la peine. Ne t'encombre pas de moi… A quoi est-ce que je peux te servir?

Elle sanglota encore plus amerement, tout comme une enfant, se retourna vers lui et colla son front sur le metal froid des medailles. Cette fragilite, ces larmes enfantines remuerent soudain quelque chose en lui et firent surgir une cranerie joyeuse.

– Ecoute, Tania, demanda-t-il en la secouant legerement par les epaules, quand est-ce qu'on te signe ton bon de sortie?

– Demain, murmura-t-elle, ivre de larmes et de malheur.

– Eh bien, demain je t'emmene. On ira chez moi, et la on se mariera.

Elle continuait a faire non de la tete. «A quoi est-ce que je peux te servir?»

Mais lui, sans se demander si c'etait un coup de tete ou un coup de c?ur, heureux, ordonna en riant:

– Silence dans les rangs! Execution!

Puis, se penchant, il lui dit a l'oreille:

– Tu sais, Tania, je t'aimerai encore davantage avec ta blessure!

Son village natal, Goritsy, etait presque desert. On voyait se dresser les ruines noires des isbas et les perches inutiles des puits abandonnes. Le chef du kolkhoze, au visage emacie d'un saint d'icone, les accueillit comme des proches. Ils allerent ensemble a l'endroit ou les Demidov avaient vecu avant la guerre.

– Eh bien, voila, Ivan! Il va falloir rebatir. Les hommes, pour le moment, il n'y en a plus que quatre, toi compris. Il y a un cheval qui vaut ce qu'il vaut. Mais c'est toujours ca. Je crois qu'avant l'automne on pourra pendre la cremaillere.

– Ce qu'il faut d'abord, Stepanytch, c'est nous marier, dit Ivan en regardant les restes patines de l'isba paternelle.

Le mariage fut celebre au soviet du kolkhoze. Tous ceux qui vivaient a Goritsy – douze personnes – etaient la. Les jeunes maries etaient assis, un peu gauches et solennels, sous le portrait de Staline. On buvait du samogon, cette rude vodka faite au village. On criait «Gorko [7]!» Puis les femmes, avec des voix un peu desaccordees, comme si elles en avaient perdu l'habitude, se mirent a chanter:

Quelqu 'un descend de la colline, C'est surement mon bien-aime. Comme il est beau! Dans ma poitrine Mon c?ur s'affole, mon c?ur pame. Il a sa vareuse kaki, Etoile rouge, galons dores. Pourquoi au chemin de ma vie Ah! pourquoi l'ai-je rencontre?

La nuit dense de l'ete s'epaississait derriere les fenetres sans rideaux. Sur la table brillaient faiblement deux lampes a petrole. Et ceux qui etaient reunis dans cette isba perdue au c?ur de la foret chantaient, riaient; et ils pleuraient aussi, heureux pour les jeunes maries, amers de leur vie brisee. Ivan portait sa vareuse bien lavee, avec toutes ses decorations; Tatiana, un corsage blanc. C'etait le cadeau d'une grande femme au teint basane qui vivait dans les decombres d'une isba, au fond du village.

– Voila pour toi, la fiancee, avait-elle dit d'une voix reche, c'est pour tes noces. Quand tu es arrivee, on croyait que tu etais une fille de la ville. On disait: «En voila une qui a decroche Ivan, un beau parti, et un Heros en plus.» Puis il nous a raconte ton histoire. Va, porte-le pour etre belle. Je l'ai coupe moi-meme. Je savais que tu aurais de la peine, avec ta main. Ma mere avait garde le tissu pour son enterrement. C'etait tout brode de croix sur les bords. Elle le gardait dans un petit coffre, a la cave. Quand les Allemands ont brule le village, ma mere a brule aussi. Plus besoin du drap. J'ai fouille les cendres et dedans j'ai trouve ce coffre, intact! Va, porte-le, ca t'ira a merveille. C'est de bon c?ur…

Vers la fin du mois d'aout, a cote des decombres, on vit s'elever la charpente de la nouvelle isba, repandant la senteur de resine du bois frais. Ivan commenca a couvrir le toit. De la petite cabane ou ils vivaient, ils demenagerent dans le coin de l'isba qui etait deja couvert. Le soir, tombant de fatigue, ils s'allongeaient sur du foin odorant repandu sur les planches de bois clair.

Couches dans l'obscurite, ils regardaient a travers la charpente du toit jaillir et filer dans une glissade fulgurante des etoiles de fin d'ete. A travers le village, au-dessus du sol, flottait l'odeur bleue et legere d'un feu de bois dans un potager. Une souris faisait entendre dans un coin son grattement deja familier. Le silence etait a ce point intense que l'on croyait entendre les etoiles filantes effleurer le ciel. Et dans un coin, au-dessus d'une table, on entendait le tic-tac d'un vieux carillon a poids. Ivan l'avait trouve dans les decombres, couvert de suie et de rouille, les aiguilles figees a une heure terriblement lointaine.

Ils prirent lentement l'habitude l'un de l'autre. Elle ne tressaillait plus quand la main calleuse d'Ivan touchait sur sa poitrine la cicatrice profonde. Lui ne remarquait meme plus cette cicatrice ni son petit poing mutile. Une fois, elle retint sa main et la passa sur les bourrelets de la plaie.

– Tu vois, c'est la, dans ce petit creux, qu'il s'est loge. Le diable l'emporte!

– Oui, il a mordu profond.

Ivan l'attira a lui et chuchota a son oreille: «Ce n'est pas grave. Tu me feras un fils et tu lui donneras le sein droit. Le lait, c'est le meme…»

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