— Roger me tient, Tic-Tac. Quelqu’un est en train de le manipuler. Je ne sais pas par quoi ils le tiennent, lui, et a vrai dire, je m’en fous. C’est lui qui m’interesse. Ce que je veux savoir c’est qui, ou, quand. Branche-toi sur ses communications. Il doit etre en rapport avec quelqu’un parce que la donne n’arrete pas de changer.

— Tu crois que je saurai le reconnaitre si je tombe dessus ?

— Jette simplement un ?il, Tic-Tac. Fais ca pour moi.

Nouveau clin d’?il convulsif.

— Bon, d’accord. On ira y faire un tour. (Il pianota nerveusement sur le bord de la table.) Tu nous paies la tournee ?

Colin se retourna pour regarder Kumiko en roulant des yeux.

— Je ne comprends pas, dit Kumiko en suivant Sally qui revenait par Portobello Road. Vous me mettez dans le secret de votre machination…

Sally remonta son col pour se proteger du vent.

« Mais je pourrais vous trahir. Vous complotez contre l’associe de mon pere. Vous n’avez aucune raison de me faire confiance.

— Et reciproquement, mon chou. Peut-etre que je fais partie de cette engeance qui tracasse tant ton pere.

Kumiko reflechit a la question.

— Est-ce le cas ?

— Non. Et si tu es l’espionne de Swain, c’est qu’il est devenu encore plus barjot ces derniers temps. Si tu travailles pour le vieux, alors je n’ai plus besoin de Tic-Tac. Mais si le Yakuza est derriere tout ca, pourquoi utiliser Roger comme couverture ?

— Je ne suis pas une espionne.

— Alors, tu ferais mieux de t’y mettre, pour ton propre compte. Si Tokyo est la poele a frire, il se pourrait bien que tu viennes d’atterrir sur le gaz.

— Mais pourquoi m’impliquer ?

— Tu l’es deja par ta presence ici. T’as la trouille ?

— Non, dit Kumiko, et elle se tut, en se demandant pourquoi ca devrait etre vrai.

Tard, ce meme apres-midi, a nouveau seule dans la mansarde aux miroirs, Kumiko s’assit au bord du grand lit pour retirer ses bottes mouillees. Elle sortit de son sac la platine Maas-Neotek.

— Qui sont ces gens ? demanda-t-elle au fantome qui s’etait perche sur le rebord de la baignoire de marbre noir.

— Vos amis du bistrot ?

— Oui.

— Des criminels. Personnellement, je vous conseillerais de frequenter des gens d’un meilleur milieu. La femme est etrangere, d’Amerique du Nord. L’homme est un Londonien. De l’East End. C’est un pirate informatique, manifestement. Je ne suis pas en mesure d’acceder aux archives de la police, hormis pour les crimes d’interet historique.

— Je ne sais pas quoi faire…

— Eteignez cet appareil.

— Hein ?

— Au dos du boitier. Vous allez voir une espece de sillon en demi-lune. Glissez-y l’ongle du pouce et tournez…

Une trappe minuscule s’ouvrit, revelant des micro-interrupteurs.

— Basculez l’inter A/B sur B. Avec quelque chose de fin et pointu. Mais pas un Bic.

— Un quoi ?

— Un stylo. A cause de l’encre et de la poussiere. Ca encrasse les contacts. L’ideal, c’est un cure-dents. C’est pour activer le declenchement vocal de l’enregistrement.

— Et ensuite ?

— Planquez-le en bas. On l’ecoutera demain…

6. LUMIERE MATINALE

La Ruse passa la nuit au rez-de-chaussee de la Fabrique, sur une plaque de mousse grise et rongee, etalee par terre sous un etabli. Enveloppe dans une feuille crissante d’emballage bulle qui puait les monomeres libres, il reva de Kid Afrika, de la voiture du Kid, et dans ses reves les deux se melaient et les dents du Kid devenaient de petits cranes chromes.

A son reveil, une bise aigre crachotait la premiere neige de l’hiver par les vitres cassees de la Fabrique.

Il resta etendu et reflechit au probleme de la scie circulaire du Juge, a ce poignet qui avait tendance a se coincer chaque fois qu’il devait trancher quelque chose d’un peu plus epais qu’une feuille de circuit imprime. A l’origine, son plan pour la main exigeait des doigts articules, termines chacun par une tronconneuse electrique miniature, mais il avait renonce au projet pour tout un tas de raisons. Recourir a l’electricite, ce n’etait pas satisfaisant, pas assez concret. De l’air, voila ce qu’il fallait, de grosses bonbonnes d’air comprime, ou alors un moteur a combustion interne a condition de trouver les pieces. On pouvait trouver des pieces pour a peu pres tout sur la Chienne de Solitude, pourvu qu’on creusat assez longtemps.

Si ca ne marchait pas, il y avait une demi-douzaine de patelins dans la ceinture de rouille du Jersey, avec des hectares d’engins au rebut a recuperer.

Il rampa sous l’etabli, trainant comme une cape sa couverture transparente d’oreillers de plastique miniatures. Il pensa a l’homme etendu sur la civiere, la-haut, dans sa chambre, et a Cherry, qui avait dormi dans son lit. Pas de raideurs dans la nuque, pour Mademoiselle. Il s’etira et gemit.

Gentry n’allait pas tarder. Il allait devoir lui expliquer tout ca, lui qu’aimait pas du tout avoir des gens dans les pattes…

Petit Oiseau avait fait du cafe dans la piece qui leur tenait lieu de cuisine. Le sol etait fait de dalles de plastique mal collees et une rangee de bacs en acier terni longeait l’un des murs. Les fenetres etaient couvertes de baches transparentes qui claquaient au vent en laissant passer une lumiere laiteuse qui semblait rendre la piece encore plus froide qu’elle n’etait.

— On en est ou, pour la flotte ? demanda la Ruse en entrant.

L’une des taches matinales de Petit Oiseau etait de verifier le niveau des cuves sur le toit, de repecher les feuilles deposees par le vent ou, eventuellement, un corbeau mort. Il devait ensuite controler l’etat des filtres et y faire passer quarante litres s’ils etaient en manque. Il fallait pres d’une journee pour filtrer cette quantite d’eau et la recueillir dans le reservoir. C’etait d’abord parce que Petit Oiseau s’acquittait consciencieusement de sa tache que Gentry tolerait sa presence, mais la timidite du garcon y etait sans doute egalement pour beaucoup. Petit Oiseau s’arrangeait pour rester quasiment invisible, du moins pour Gentry.

— Y a de la marge, dit Petit Oiseau.

— Y a moyen de prendre une douche ? demanda Cherry, qui etait assise sur une vieille caisse en plastique.

Elle avait des cernes sous les yeux, comme si elle n’avait pas dormi, mais elle avait dissimule sa plaie sous le maquillage.

— Non, dit la Ruse, pas de douche a cette epoque de l’annee.

— Je m’en doutais un peu, dit Cherry, maussade, engoncee dans sa collection de blousons de cuir.

La Ruse se servit le reste de cafe et vint se planter devant elle pour le boire.

— Z’avez un probleme ? demanda-t-elle.

— Ouais. Vous et le mec, la-haut. Comment ca se fait que vous soyez descendus ? Vous etes plus de service, ou quoi ?

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