Jamais Eddy ne l’accusait d’inventer tout ca, meme si elle etait consciente d’avoir appris de lui le scenario general d’une histoire immuable dans ses grandes lignes. Des qu’elle arriva au moment ou le grand mec retroussait sa jupe (la noire, et elle portait ses bottes blanches) avant de baisser son pantalon, elle entendit cliqueter la ceinture d’Eddy : il retirait son jean. Tout en poursuivant son recit, elle se demanda (tandis qu’il se glissait dans le lit a cote d’elle) si la position qu’elle decrivait etait physiquement realisable – en tout cas, ca faisait de l’effet a Eddy. Elle n’oublia pas d’ajouter a quel point ca lui avait fait mal, quand le type avait voulu s’introduire en elle, et pourtant, elle etait vraiment mouillee. Elle ajouta qu’il lui avait tenu les poignets (meme si, arrivee a ce point du recit, elle ne savait plus tres bien ou elle en etait, si ce n’est qu’elle etait censee avoir le cul en l’air). Eddy avait commence a la toucher, lui caressant les seins et le ventre, si bien qu’elle passa de la brutalite desinvolte des actes de son client aux sensations qu’ils etaient censes avoir fait naitre en elle.

Ces pretendues sensations, elle ne les avait jamais eprouvees. Elle savait qu’on pouvait atteindre un stade ou c’etait un peu douloureux mais ou ca restait encore agreable, elle savait toutefois que ce n’etait pas cela. Ce que voulait entendre Eddy, c’etait qu’elle souffrait un max, que ca la rendait malade mais qu’elle aimait quand meme ca. Ce qui etait parfaitement absurde pour Mona mais enfin, elle avait appris a lui raconter les choses a sa convenance.

En tout cas, ca marchait ; Eddy roulait sur le ventre, entrainant avec lui la couverture emmelee en travers de son dos, pour venir se placer entre ses jambes. Elle se douta qu’il devait se repasser tout ca dans la tete, comme un dessin anime, tout ce qu’elle lui racontait, en meme temps qu’il s’imaginait etre devenu ce grand baleze anonyme qui la besognait. Il lui avait a present cloue les poignets au-dessus de la tete, comme il aimait faire.

Et alors qu’Eddy apres avoir termine s’etait endormi en chien de fusil, Mona resta eveillee dans les tenebres moites, tournant et retournant dans sa tete ce reve d’evasion, eclatant et merveilleux.

Et pourvu, pourvu que ce ne fut pas qu’un reve.

5. PORTOBELLO

Kumiko s’eveilla dans le lit gigantesque et resta bien immobile, l’oreille aux aguets. On entendait au loin le faible murmure continu de la circulation.

Il faisait froid dans la chambre ; elle ramassa autour d’elle le duvet rose et descendit du lit. Les petites fenetres etaient recouvertes de givre brillant. Elle se dirigea vers la baignoire et tripota l’une des ailes dorees du cygne. L’oiseau gargouilla, crachota, se mit a remplir la baignoire. Toujours blottie dans son edredon, elle ouvrit ses bagages, etalant sur le lit les vetements qu’elle avait choisi de mettre.

Quand le bain fut pret, elle laissa l’edredon glisser par terre et escalada le rebord en marbre de la baignoire pour s’immerger, stoique, dans l’eau douloureusement brulante. La vapeur avait fait fondre le givre et les lucarnes degoulinaient maintenant. Est-ce que toutes les salles de bains britanniques contenaient de telles baignoires ? se demanda-t-elle. Elle se frotta methodiquement avec une savonnette ovale de marque francaise, se leva, rinca la mousse de son mieux, se drapa dans une grande serviette noire et, apres quelques tatonnements, trouva un lavabo, des toilettes et un bidet. Ils etaient dissimules dans un reduit exigu, aux murs de placage sombre, qui avait du jadis etre un placard.

Le telephone rococo grelotta a deux reprises.

— Oui ?

— Petale a l’appareil. Paree pour le petit dejeuner ? Roger est ici. L’a hate de vous voir.

— Merci, repondit-elle. Je finis de m’habiller et j’arrive.

Elle enfila son plus beau pantalon de cuir, le plus ample, puis se glissa dans un pull bleu en angora, si large qu’il aurait pu sans mal aller a Petale. Quand elle ouvrit sa trousse a maquillage, elle decouvrit le boitier Maas- Neotek. Sa main se referma dessus machinalement. Elle n’avait pas eu l’intention de l’appeler mais le contact avait suffi : il etait la, se devissant le cou de maniere comique en contemplant, bouche bee, le plafond bas couvert de miroirs.

— J’imagine que nous ne sommes pas dans le Dorchester ?

— C’est moi qui pose les questions. C’est quoi, cet endroit ?

— Une chambre, repondit-il. Et d’un gout plutot douteux.

— Repondez a ma question, s’il vous plait.

— Eh bien… (Il examina le lit et la baignoire.) Vu le decor, cela m’a tout l’air d’etre un bordel. J’ai acces aux archives historiques concernant la majorite des batiments de Londres mais celui-ci n’a rien de remarquable. Edifie en 1848. Exemple type du style victorien classique en vigueur a l’epoque. Le quartier est luxueux sans etre a la mode, apprecie d’une certaine categorie d’avocats.

Il haussa les epaules ; elle apercevait le coin du lit a travers l’eclat fauve de ses bottes de cheval.

Elle laissa tomber le boitier dans son sac et sortit.

Elle se debrouilla sans trop de mal avec l’ascenseur ; une fois parvenue dans le hall peint en blanc, elle se laissa guider par les bruits de voix, emprunta une sorte de galerie, puis tourna a un coin.

— Bonjour, dit Petale tout en soulevant le couvercle d’argent d’un plateau. (De la vapeur s’eleva.)

« Voici l’insaisissable M. Swain – Roger, pour vous – et voici votre petit dejeuner.

— Bonjour, dit l’homme en s’avancant, la main tendue.

Des yeux gris-bleu dans un long visage a l’ossature robuste. Des cheveux raides, gris souris, qui lui barraient le front de biais. Kumiko etait incapable de deviner son age ; il avait un visage de jeune homme avec pourtant des rides profondes sous les yeux. L’homme etait grand, avec des bras et des epaules d’athlete.

— Bienvenue a Londres. (Il lui prit la main, la serra puis la relacha.)

— Merci.

Il portait une chemise sans col, bleu pale a tres fines rayures rouges, aux manchettes fermees par de simples boutons ovales en or mat ; ouverte a l’encolure, elle revelait un sombre triangle de peau tatouee.

— J’ai parle ce matin avec votre pere, pour l’avertir que vous etiez bien arrivee.

— Vous etes un homme de haut rang.

Les yeux pales s’etrecirent.

— Pardon ?

— Les dragons.

Petale rit.

— Laissez-la manger, dit une voix feminine.

Kumiko se retourna et decouvrit une silhouette mince a contre-jour devant les hautes fenetres a meneaux ; derriere celles-ci, un jardin ceint d’un mur et recouvert d’un manteau de neige. La femme avait les yeux dissimules derriere des lunettes argentees qui refletaient la piece et ses occupants.

— Une autre de nos hotes, dit Petale.

— Sally, dit la femme. Sally Shears. Mange, mon chou. Si jamais tu t’ennuies autant que moi, tu seras d’humeur a faire un tour.

Tandis que Kumiko la regardait, surprise, la femme eleva la main pour effleurer la monture de ses lunettes, comme si elle allait les retirer.

— Portobello Road est a deux pates de maisons. J’ai besoin de prendre l’air.

Les verres-miroirs semblaient n’avoir ni monture, ni branches.

— Roger, dit Petale tout en prenant a la fourchette des tranches roses de bacon dans un plat en argent, a votre avis, Kumiko sera-t-elle en securite avec notre Sally ?

— Plus que je ne le serais moi-meme, a voir son humeur, dit Swain. J’ai bien peur que nous n’ayons pas grand-chose a vous offrir comme distractions, dit-il a Kumiko en la guidant vers la table, mais nous allons essayer de rendre votre sejour aussi agreable que possible et tacher de vous montrer un peu notre cite. Malgre tout, ce n’est pas Tokyo…

— Pas encore, du moins, dit Petale, mais Swain parut ne pas relever.

— Merci, dit Kumiko comme Swain lui tenait sa chaise.

— Je vous en prie, dit Swain. Notre respect pour votre pere…

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