— Quoi ? (Eclair des lunettes.)

— Etes-vous de la Securite du Reseau ?

— Merde ! Ceci est un enlevement.

— Non ?

— Un peu, tiens.

— Pourquoi ?

— Pour aucune des raisons habituelles. Quelqu’un y a ete contraint. M’y a contrainte aussi. J’etais censee organiser ca pour la semaine prochaine. Qu’ils aillent se faire foutre. De toute facon, fallait que je vous parle.

— Ah bon ? Me parler ?

— Connaissez une certaine 3Jane ?

— Non. Je veux dire si, mais…

— Te fatigue pas. Faut qu’on s’tire, fissa.

— Porphyre…

— Y va pas tarder a se reveiller. Vu sa tete, j’aime mieux pas etre dans les parages quand ca se produira…

31. 3JANE

Si cela faisait partie de la grande maison de campagne de Bobby, jugea la Ruse en ouvrant les yeux pour decouvrir la courbe serree de l’etroit corridor, alors la baraque etait encore plus bizarre qu’il ne l’avait cru lors de sa premiere visite. L’atmosphere etait epaisse, pesante, et la lumiere qui tombait de la rampe de dalles verdatres au plafond lui donnait l’impression d’evoluer sous l’eau. Le tunnel etait revetu d’une sorte de beton vitrifie. On se serait cru en prison.

— On a peut-etre debarque dans la cave, hasarda-t-il, en remarquant la legere reverberation de ses paroles sur le beton.

— Pas de raison qu’on soit tombes sur la reconstitution que t’as vue la derniere fois, remarqua Gentry.

— Alors, qu’est-ce que c’est ? (La Ruse toucha la paroi de beton : tiede.)

— Peu importe, dit Gentry.

Il s’ebranla dans la direction vers laquelle ils regardaient tous les deux. Au-dela du virage, le sol etait constitue d’une mosaique inegale de faience brisee, eclats moules dans une sorte de resine, qui glissaient sous leurs bottes.

— Regarde-moi ce truc…

Des milliers de motifs differents et barioles dans tous ces eclats de faience, mais sans plan d’ensemble, une simple juxtaposition au hasard.

— De l’art. (Gentry haussa les epaules.) Le dada d’un quelconque bonhomme. Ca devrait te plaire, Henry la Ruse.

Quels qu’aient pu en etre les auteurs, ils ne s’etaient pas fatigues pour recouvrir les murs. La Ruse s’agenouilla et fit courir ses doigts sur la paroi ; il sentait les aretes rugueuses des eclats de ceramique et entre, les joints vitrifies de plastique durci.

— Qu’est-ce que c’est cense vouloir dire « dada » ?

— C’est comme ces trucs que tu construis, la Ruse. Tes jouets en tole…

Gentry lui lanca son sourire crispe de dement.

— T’y connais rien, dit la Ruse. Tu passes toute ta putain d’existence a essayer de deviner quelle forme a le cyberspace, mec, et il a sans doute pas de forme du tout, et de toute facon, qu’est-ce qu’on en a a foutre ?

Il n’y avait rien d’aleatoire dans le Juge et les autres creations. Le processus en revanche l’etait, aleatoire, meme si les resultats devaient se conformer a quelque necessite interieure qu’il etait incapable de d’apprehender directement.

— Allez, viens, dit Gentry.

La Ruse resta plante ou il etait, fixant les yeux pales de Gentry, rendus gris par cet eclairage, fixant ce visage crispe. Et d’abord, pourquoi s’etait-il fourre avec ce type ?

Parce qu’on avait besoin de compagnie, sur la Solitude. Pas simplement pour l’electricite ; toute cette histoire de proprietaire n’etait en verite que du flan. Non, il supposa que c’etait avant tout par besoin de compagnie. L’Oiseau ne valait rien, question conversation, vu qu’il n’y avait pas grand-chose qui l’interessait et que tout ce qu’il pouvait raconter n’etait qu’un tissu de sornettes. Et meme si Gentry ne l’avait jamais admis, la Ruse avait comme l’impression qu’il etait quand meme au courant de certains trucs.

— Ouais, dit la Ruse en se relevant, allons-y.

Le tunnel se repliait sur lui-meme comme un boyau. La section au sol de mosaique etait loin derriere eux a present, perdue derriere Dieu sait combien de virages et de courtes volees de marches qui montaient ou descendaient. La Ruse essayait toujours d’imaginer un edifice qui eut des entrailles pareilles, mais il en etait incapable. Gentry marchait a grands pas, les sourcils fronces, en se mordillant les levres. La Ruse avait l’impression que l’air s’etait encore alourdi. Au sommet d’un nouvel escalier, ils deboucherent sur un passage rectiligne qui s’etrecissait jusqu’a un point au loin, dans l’une et l’autre direction. Le boyau etait plus large que dans les passages sinueux, et le sol en etait moelleux. Une accumulation de petits tapis, apparemment deroules par centaines en couches successives sur le beton, le tapissait. Chaque carpette possedait son motif et ses couleurs propres, avec quantite de bleus et de rouges mais toutes arboraient les memes motifs triangulaires ou en losange. Une forte odeur de poussiere semblait s’en degager, ils avaient l’air si vieux. Ceux du dessus, pres du centre du passage, etaient uses jusqu’a la corde, par plaques. Ils formaient une piste, comme si quelqu’un les avait arpentes des annees durant. Au plafond, certains tubes du bandeau lumineux etaient eteints, d’autres palpitaient faiblement.

— Par ou on prend ? demanda la Ruse.

Gentry regardait vers le bout du passage, en triturant sa grosse levre inferieure entre le pouce et l’index.

— Par ici.

— Pourquoi ca ?

— Parce que ca n’a aucune importance.

Marcher sur ces tapis fatiguait la Ruse. Il etait oblige de faire attention a ne pas glisser les orteils dans l’un des trous causes par l’usure. A un moment, il marcha sur une dalle de verre tombee du bandeau lumineux. A intervalles reguliers, maintenant, ils depassaient des sections de mur ou l’on avait apparemment scelle d’anciens portails en rajoutant du beton. A ces endroits, la paroi etait nue, elle avait toujours la meme forme en arche mais coulee dans un beton un peu plus pale et avec une structure legerement differente.

— Gentry, ca doit etre sous terre, pas vrai ? Comme une espece de sous-sol…

Gentry s’arreta si brusquement que la Ruse lui rentra dedans et tous deux resterent plantes la, a regarder la fille qui se trouvait au bout du couloir.

Elle leur dit quelque chose dans une langue que la Ruse prit pour du francais. La voix etait legere et musicale, le ton, direct. Elle souriait. Teint pale sous des cheveux bruns boucles, visage fin aux pommettes hautes, grand nez mince et bouche large.

La Ruse sentait le bras de Gentry trembler contre sa poitrine.

— Tout va bien, dit-il. On cherche simplement Bobby…

— Tout le monde cherche Bobby, observa-t-elle, en anglais, avec un accent inconnu de lui. Moi-meme, je le cherche ; son corps. Avez-vous vu son corps ?

Elle recula d’un pas, s’eloignant d’eux, comme si elle s’appretait a fuir.

— Nous ne vous ferons aucun mal, dit la Ruse, soudain conscient de l’odeur qu’il degageait, odeur de graisse incrustee dans son jean et son blouson marron ; quant a Gentry, il n’avait pas l’air beaucoup plus rassurant.

— Ca, je n’en doute pas, leur repondit-elle, et ses dents blanches etincelerent a nouveau dans la lumiere glauque. Mais enfin, je ne peux pas dire non plus que vous m’enchantiez.

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