Elle avait les pieds tout froids mais ses semelles crantees lui procuraient une excellente prise – sauf sur la glace, toutefois, se rappela-t-elle en se relevant apres sa seconde chute, les paumes pleines de gadoue. Colin l’avait guidee vers cet etroit passage de briques noircies…

Elle etreignit le boitier.

— Par ou, maintenant ?

— Par ici.

— A la Couronne et la Rose, lui rappela-t-elle.

— Prudence, d’abord. Dickie a deja du appeler les hommes de Swain, sans parler du genre de traque que l’ami de Swain au Service special pourrait monter si jamais on le lui demandait. Et je ne vois pas ce qui empecherait Swain de le faire…

Elle entra a la Couronne et la Rose par une porte laterale, Colin sur ses talons, heureuse de plonger dans la penombre douillette et la tiedeur rayonnante qui regnaient dans ces especes de tanieres a boire. Elle fut frappee par l’epaisseur du capitonnage sur les murs et les sieges, celle des tentures egalement. Avec un choix de couleurs et de tissus moins miteux, l’effet aurait peut-etre, en fin de compte, ete moins chaleureux. Les pubs, imagina-t- elle, etaient la manifestation extreme de l’attitude britannique a l’egard du gomi.

Poussee par Colin, elle se fraya un passage entre les buveurs agglutines au comptoir, dans l’espoir d’y trouver Tic-Tac.

— Et pour toi, qu’est-ce que ce sera, ma choute ?

Elle leva les yeux vers le large visage blond derriere le bar, rouge a levres eclatant et joues fardees.

— Excusez-moi, demanda Kumiko, je voudrais parler a M. Bevan…

— Pour moi, ce sera une pinte, Alice, dit quelqu’un, en faisant claquer sur le zinc trois pieces de dix livres. Blonde.

Alice manipula un gros levier de faience blanche et remplit de biere pale une chope qu’elle deposa sur le revetement griffe, tout en faisant glisser la monnaie dans sa caisse derriere le comptoir.

— Quelqu’un veut te causer, Bevan, dit Alice comme l’homme levait sa chope.

Kumiko se retourna et decouvrit un visage rubicond et couture. La levre superieure, courte, lui evoqua un lapin, bien que Bevan fut d’une carrure imposante, presque aussi imposante que celle de Petale. Du lapin, il avait egalement les yeux : ronds, bruns, avec presque pas de blanc.

— Me causer a moi ?

Son accent lui rappela celui de Tic-Tac.

— Dites oui, conseilla Colin. Il n’imagine pas pourquoi une petite Japonaise en chaussons de caoutchouc serait venue le chercher dans ce bistrot.

— J’aimerais trouver Tic-Tac.

Bevan la considera sans broncher, derriere le rebord de sa chope levee.

— Desole, dit-il, j’avoue que j’connais personne de ce nom… (Il but.)

— Sally m’a dit que je devais venir vous trouver si Tic-Tac n’etait pas ici. Sally Shears…

Bevan s’etrangla avec sa biere, ses yeux revelant une fraction de blanc. Pris d’une quinte de toux, il deposa la chope sur le comptoir pour sortir un mouchoir de sa poche de manteau. Il se moucha et s’essuya la bouche.

— Je suis de service dans cinq minutes, dit-il. Mieux vaudrait passer derriere.

Alice souleva un battant du comptoir monte sur charnieres ; Bevan invita Kumiko a passer en agitant doucement ses grosses paluches, tout en jetant des regards derriere lui a la derobee. Il la guida dans un etroit passage qui debouchait sur une piece derriere le bar. Les murs etaient faits de vieilles briques inegales, recouvertes d’une epaisse couche de peinture vert sale. Il s’immobilisa pres d’un panier d’acier cabosse, rempli de torchons en eponge qui sentaient la biere.

— Tu vas le regretter si tu prepares une entourloupe, fillette, prevint Bevan. Dis-moi pourquoi tu cherches ce Tic-Tac.

— Sally est en danger. Il faut que je trouve Tic-Tac. Je dois le prevenir.

— Putain de bordel ! dit le barman. Mets-toi un peu a ma place…

Colin fronca le nez devant la paniere de torchons trempes.

— Oui ? fit Kumiko.

— Si t’es une indic et que je t’envoie voir ce fameux Tic-Tac, a supposer que je le connaisse, et s’il est mouille dans un braquage quelconque, alors, il va me faire la peau, pas vrai ? Mais si tu l’es pas, alors cette Sally, il y a des chances qu’elle me regle mon compte si je t’obeis pas, pige ?

Kumiko acquiesca.

— « Pris entre le marteau et l’enclume. »

C’etait une expression qu’avait employee Sally ; Kumiko la trouvait tres poetique.

— Tout juste, dit Bevan, en la regardant d’un drole d’air.

— Aidez-moi. Sally court un tres grand danger.

Il lissa de la paume ses cheveux roux qui commencaient a se degarnir.

— Vous allez m’aider, s’entendit-elle insister (elle sentit le masque froid de sa mere se mettre en place). Dites-moi ou je peux trouver Tic-Tac.

Le barman parut frissonner, bien qu’il fit une chaleur suffocante dans le passage, une chaleur saturee de vapeur, ou l’odeur de biere se melait a des relents acres de desinfectant.

— Tu connais Londres ?

Colin lui fit un clin d’?il.

— Je sais m’y retrouver, dit-elle.

— Bevan, dit Alice, en passant la tete a l’angle de la piece, vingt-deux.

— La police, traduisit Colin.

— Margate Road, Sud-Ouest Deux, dit Bevan, j’sais pas le numero, j’ai pas son telephone.

— Dites-lui de vous faire sortir par l’arriere, dit Colin. Ce ne sont pas des policiers ordinaires.

Kumiko se rappellerait toujours sa course interminable dans le metro de Londres. Sa fuite du pub jusqu’a Holland Park, puis la descente dans le metro, guidee par Colin qui lui avait explique que sa carte a puce MitsuBank lui etait desormais pire qu’inutile ; si jamais elle l’utilisait pour prendre un taxi ou pour un achat quelconque, lui expliqua-t-il, un operateur du Service special verrait la transaction flamboyer comme un eclair de magnesium sur la trame du cyberspace. Mais il fallait qu’elle retrouve Tic-Tac, lui dit-elle ; il fallait qu’elle trouve Margate Road. Il fronca les sourcils.

— Non, fit-il, attendez la nuit.

Brixton n’etait pas loin mais les rues etaient trop dangereuses a present, en plein jour, avec la police aux cotes de Swain. Mais alors, ou pouvait-elle se cacher ? Elle avait tres peu d’argent sur elle ; le concept d’argent liquide, de pieces et de billets, avait pour elle quelque chose de desuet et d’etranger.

— Par ici, dit-il, tandis qu’elle gagnait en ascenseur la station Holland Park. Pour le prix d’un billet.

Les silhouettes argentees et massives des rames.

Les vieux sieges mous, gris et verts.

Et cette chaleur, merveilleuse ; encore un terrier, dans ce royaume d’agitation perpetuelle…

30. LE RAPT

C’est une Danielle Stark hebetee que l’aeroport aspira dans une coursive pastel bordee de reporters, de cameras, d’yeux amplifies, pendant que Porphyre et trois hommes de la Securite du Reseau fendaient devant Angie la meute serree des journalistes, une choregraphie rituelle plus destinee a creer un effet dramatique qu’a assurer une veritable protection. Tous les gens presents avaient deja recu la benediction de la Securite et du service de presse.

Puis elle se retrouva seule avec Porphyre dans un ascenseur express qui les emporta vers l’heliport de

Вы читаете Mona Lisa s'eclate
Добавить отзыв
ВСЕ ОТЗЫВЫ О КНИГЕ В ИЗБРАННОЕ

0

Вы можете отметить интересные вам фрагменты текста, которые будут доступны по уникальной ссылке в адресной строке браузера.

Отметить Добавить цитату