penchee vers la lampe, la lumiere eclairait les feuilles et passait a travers sa robe transparente,

tes doigts dans mon sexe, ta langue sur mes levres, toi qui glisses sous moi, et prends mes hanches, et me souleves, et me laisses glisser sur ton sexe, doucement quelqu’un pourrait-il effacer cela, toi qui en moi lentement bouges, tes mains sur mon visage, tes doigts dans ma bouche, le plaisir dans tes yeux, ta voix, tu bouges lentement et cela me fait presque mal, mon plaisir, ma voix,

il ecoutait, il se tourna a un moment pour la regarder, la vit, voulut baisser les yeux mais ne le put,

mon corps sur le tien, ton dos qui me souleve, tes bras qui ne me laissent pas partir, les coups a l’interieur de moi, la violence et la douceur, je vois tes yeux chercher les miens, ils veulent savoir jusqu’ou me faire mal, jusqu’ou tu veux, mon bien-aime seigneur, il n’y a pas de fin, cela ne peut finir, ne le vois-tu pas ? personne jamais ne pourra effacer cet instant, pour toujours tu lanceras ta tete en arriere, en criant, pour toujours je fermerai les yeux, laissant mes larmes se detacher de mes cils, ma voix dans la tienne, ta violence a me tenir serree, il n’y a plus de temps pour fuir ni de force pour resister, cet instant-la devait etre, cet instant est, crois-moi mon bien-aime seigneur, et cet instant sera, maintenant et a jamais, il sera, jusqu’a la fin,

dit-elle, dans un filet de voix, puis elle s’arreta.

Il n’y avait pas d’autres signes, sur la feuille qu’elle tenait a la main : la derniere. Mais quand elle la retourna pour la poser, elle vit au verso quelques signes encore, soigneusement alignes, encre noire au centre de la page blanche. Elle leva le regard sur Herve Joncour. Ses yeux la fixaient, et elle comprit que c’etaient des yeux magnifiques. Elle regarda a nouveau la feuille.

— Nous ne nous verrons plus, mon seigneur.

Dit-elle.

— Ce qui etait pour nous, nous l’avons fait, et vous le savez. Croyez-moi : nous l’avons fait pour toujours. Gardez votre vie a l’abri de moi. Et n’hesitez pas un instant, si c’est utile a votre bonheur, a oublier cette femme qui a present vous dit, sans regret, adieu.

Elle continua quelques instants a regarder la feuille, puis la posa sur les autres, a cote d’elle sur une petite table en bois clair. Herve Joncour ne bougea pas. Mais il tourna la tete et baissa les yeux. Il regarda fixement le pli de son pantalon, a peine marque mais parfait, sur sa jambe droite, de l’aine jusqu’au genou, impeccable.

Madame Blanche se leva, se pencha vers la lampe et l’eteignit. Il n’y eut plus dans la piece que le peu de lumiere qui, par la fenetre, arrivait du salon. Elle s’approcha d’Herve Joncour, fit glisser de son doigt une bague de minuscules fleurs bleues et la posa a cote de lui. Puis elle traversa la piece, ouvrit une petite porte peinte, cachee dans le mur, et disparut en la laissant a demi fermee, derriere elle.

Herve Joncour demeura longtemps dans cette lumiere etrange, tournant dans ses doigts une bague de minuscules fleurs bleues. Du salon arrivaient les notes d’un piano fatigue : elles diluaient le temps, tu avais presque du mal a le reconnaitre.

Finalement il se leva, s’approcha de la petite table en bois clair, rassembla les sept feuillets de papier de riz. Il traversa la piece, passa sans se retourner devant la petite porte a demi fermee, et s’en alla.

60

Herve Joncour passa les annees qui suivirent en choisissant pour lui-meme l’existence limpide d’un homme n’ayant plus de besoins. Ses journees s’ecoulaient sous la tutelle d’une emotion mesuree. A Lavilledieu, les gens recommencerent a l’admirer, parce qu’il leur semblait voir en lui une maniere exacte d’etre au monde. Ils disaient qu’il etait ainsi meme dans sa jeunesse, avant le Japon.

Avec sa femme Helene, il prit l’habitude, chaque annee, de faire un petit voyage. Ils virent Naples, Rome, Madrid, Munich, Londres. Une annee, ils pousserent jusqu’a Prague, ou tout leur sembla : theatre. Ils voyageaient sans dates ni programmes. Tout les etonnait : en secret, leur bonheur aussi. Quand ils eprouvaient la nostalgie du silence, ils revenaient a Lavilledieu.

Si on le lui avait demande, Herve Joncour aurait repondu qu’ils allaient continuer de vivre ainsi, toujours. Il avait en lui la quietude inentamable des hommes qui se sentent a leur place. Parfois, les jours de vent, il descendait a travers le parc jusqu’au lac, et restait pendant des heures, sur le bord, a regarder la surface de l’eau se rider en formant des figures imprevisibles qui brillaient au hasard, dans toutes les directions. De vent, il n’y en avait qu’un seul : mais sur ce miroir d’eau on aurait dit qu’ils etaient mille, a souffler. De partout. Un spectacle. Inexplicable et leger.

Parfois, les jours de vent, Herve Joncour descendait jusqu’au lac et passait des heures a le regarder, parce qu’il lui semblait voir, dessine sur l’eau, le spectacle leger, et inexplicable, qu’avait ete sa vie.

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