Herve Joncour alla a Paris.
Il mit cinq jours a decouvrir ou elle habitait. Il lui envoya un mot, en demandant a etre recu. Elle lui repondit qu’elle l’attendait le lendemain, a quatre heures. Ponctuel, il monta au deuxieme etage d’un immeuble elegant du boulevard des Capucines. Une femme de chambre lui ouvrit. Elle l’introduisit dans un salon et le pria de s’asseoir. Madame Blanche arriva, dans une robe tres elegante et tres francaise. Elle avait les cheveux qui retombaient sur ses epaules, comme le voulait la mode parisienne. Elle n’avait pas de bagues de fleurs bleues, a ses doigts. Elle s’assit en face d’Herve Joncour, sans dire un mot. Et attendit.
Il la regarda dans les yeux. Mais comme l’aurait fait un enfant.
— C’est vous qui l’avez ecrite, n’est-ce pas, cette lettre ?
Dit-il.
— Helene vous a demande de l’ecrire, et vous l’avez fait.
Madame Blanche resta immobile, sans baisser les yeux, sans trahir le moindre etonnement. Puis elle dit
— Ce n’est pas moi qui l’ai ecrite. Silence.
— Cette lettre, c’est Helene qui l’a ecrite. Silence.
— Elle l’avait deja ecrite quand elle est venue chez moi. Elle m’a demande de la recopier, en japonais. Et je l’ai fait. C’est la verite.
Herve Joncour comprit a cet instant qu’il continuerait d’entendre ces mots sa vie entiere. Il se leva mais demeura immobile, debout, comme si tout a coup il avait oublie ou il devait aller. La voix de Madame Blanche lui arriva comme de tres loin.
— Elle a meme voulu me la lire, cette lettre.
Elle avait une voix superbe. Et elle lisait ces phrases avec une emotion que je n’ai jamais pu oublier. C’etait comme si elles etaient, mais vraiment, les siennes.
Herve Joncour etait en train de traverser la piece, a pas tres lents.
— Vous savez, monsieur, je crois qu’elle aurait desire, plus que tout, etre cette femme. Vous ne pouvez pas comprendre. Mais moi, je l’ai entendue lire cette lettre. Je sais que c’est vrai.
Herve Joncour etait arrive devant la porte. Il posa la main sur la poignee. Sans se retourner il dit doucement
— Adieu, madame.
Ils ne se revirent plus jamais.
65
Herve Joncour vecut encore vingt-trois annees, la plupart d’entre elles serein et en bonne sante. Il ne s’eloigna plus de Lavilledieu et ne quitta pas, jamais, sa maison. Il administrait sagement ses biens, ce qui le garda pour toujours a l’abri de tout travail qui ne fut pas l’entretien de son parc. Avec le temps, il commenca a s’accorder un plaisir qu’auparavant il s’etait toujours refuse : a ceux qui venaient lui rendre visite, il racontait ses voyages. En l’ecoutant, les gens de Lavilledieu apprenaient le monde, et les enfants decouvraient l’emerveillement. Il racontait avec douceur, regardant dans l’air des choses que les autres ne voyaient pas.
Le dimanche, il allait jusqu’au bourg, pour la grand-messe. Une fois l’an, il faisait le tour des filatures, pour toucher la soie a peine nee. Quand la solitude lui serrait le c?ur, il montait au cimetiere, parler avec Helene. Le reste de son temps s’ecoulait dans une liturgie d’habitudes qui reussissait a le defendre du malheur. Parfois, les jours de vent, Herve Joncour descendait jusqu’au lac et passait des heures a le regarder, parce qu’il lui semblait voir, dessine sur l’eau, le spectacle leger, et inexplicable, qu’avait ete sa vie.
FIN
[1] En francais dans le texte (N.d.T.)