Une voix douce, presque enfantine, l’interpella. Il reconnut Miika, agita les bras et fit la planche, en attendant la petite jeune fille. Elle se precipita dans la mer. De grosses gouttes roulaient sur ses cheveux durs, couleur de jais ; l’eau nuancait de vert son corps jaunatre. Ils nagerent cote a cote, au-devant du soileil, vers un ilot qui dressait sa masse noire a un kilometre du rivage. Tous les enfants de l’Ere de l’Anneau, eleves au bord de la mer, devenaient d’excellents nageurs, et Dar Veter avait en plus un talent inne. Il nagea d’abord sans hate, de crainte de fatiguer Miika, mais elle glissait aupres de lui, legere et insouciante ... Un peu interdit, il pressa l’allure ... Mais il avait beau s’evertuer, elle ne se laissait pas distancer et son charmant visage restait calme. On entendit le ressac du large battre la cote de l’ile. Dar Veter se retourna sur le dos, tandis que la jeune fille, emportee par son elan, decrivait une courbe et revenait vers lui.
— Miika, vous etes une admirable nageuse ! s’ecria-t-il, et aspirant l’air a pleins poumons, il retint son souffle.
— Je nage moins bien que je ne plonge, avoua-t-elle, et Dar Veter s’etonna de nouveau.
— Je suis d’origine japonaise, poursuivit-elle. Il y avait jadis une tribu dont toutes les femmes etaient pecheuses de perles et d’algues alimentaires. Le metier, transmis d’une generation a l’autre, devint au cours des millenaires un art accompli. Je l’ai herite par hasard a notre epoque ou il n’y a plus de peuple japonais distinct, ni langue japonaise, ni Japon ...
— J’etais loin de me douter ...
— Qu’un rejeton de plongeuses put devenir historien ? Nous avions dans notre famille une legende. Il y avait une fois un peintre japonais du nom de Yanaguihara Eigoro.
— Eigoro ? Alors, votre nom ...
— Est un cas exceptionnel a notre epoque, ou on s’appelle comme on veut, pourvu que ca sonne bien. Du reste, tout le monde s’applique a choisir des consonances ou des mots de la langue que parlaient les peuples dont on provient. Vos noms a vous, si je ne me trompe, se composent de racines russes ?
— En effet ! De mots entiers meme. Le premier veut dire Don, le second Vent ...
— J’ignore le sens du mien ... Mais le peintre a existe. Mon bisaieul a retrouve un de ses tableaux dans un musee. C’est une grande toile que vous pouvez voir chez moi : elle presente de l’interet pour un historien ... Une vigoureuse evocation de la vie rude et courageuse, de la pauvrete et de la modestie d’un peuple serre dans l’etau d’un regime cruel ! On continue a nager ?
— Une minute, Miika !.. Et ces plongeuses ?
— Le peintre s’eprit de l’une d’elles et se fixa dans sa tribu. Ses filles furent plongeuses aussi, toute leur vie ... Voyez comme cette ile est bizarre : on dirait un reservoir ou une tour basse pour la production du sucre.
— Du sucre ! Dar Veter pouffa malgre lui. Quand j’etais petit, ces iles desertes me fascinaient ... Solitaires, entourees d’eau, elles renferment des mysteres dans leurs falaises ou dans leurs bois : on peut y rencontrer tout ce qu’on imagine ...
Le rire clair de Miika lui fut une recompense. Cette jeune fille, taciturne et un peu triste d’ordinaire, etait transfiguree. Bravement lancee en avant, vers les vagues pesantes, elle demeurait neanmoins aux yeux de Dar Veter une porte close contrairement a la transparente Veda dont le courage etait une belle confiance plus qu’un effet de l’energie.
Les grands rochers de la cote abritaient d’etroites criques bleues, impregnees de soleil. Ces galeries sous- marines tapissees d’eponges et frangees d’algues conduisaient a la partie est de l’ilot, ou se creusait un abysse obscur. Dar Veter regretta de ne pas avoir emprunte a Veda une carte detaillee des lieux. Les radeaux de l’expedition maritime luisaient au soleil, pres du cap occidental, a quelques kilometres de la. Il y avait en face une excellente plage, ou Veda etait en train de se baigner avec ses camarades. Aujourd’hui on changeait les accumulateurs des machines et toute l’equipe avait conge. Tandis que lui, Veter, s’etait livre a sa passion d’explorer les iles desertes ... Une sinistre falaise d’andesite surplombait les nageurs. Les cassures des roches etaient fraiches : un tremblement de terre avait recemment ecroule une partie de la cote. Le vent soufflait du large. Miika et Dar Veter nagerent longtemps dans l’eau sombre de la cote orientale, jusqu’a ce qu’ils eussent trouve une saillie en terrasse ou Dar Veter fit grimper sa compagne qui le hissa a son tour.
Les mouettes effarouchees se demenaient, le choc des vagues ebranlait l’andesite. Pas la moindre trace d’animaux ou d’hommes, rien que le rocher nu et des buissons epineux ...
Ils monterent au faite de l’ilot pour admirer d’en haut la fureur des vagues, puis redescendirent. Une odeur acre emanait des buissons qui sortaient des crevasses. Dar Veter, allonge sur la pierre chaude, regardait nonchalamment l’eau du cote du sud.
Miika, accroupie au bord du rocher, scrutait les profondeurs. Il n’y avait la ni plate-forme cotiere ni entassements de rochers. La falaise tombait a pic dans l’eau noire et huileuse. Le soleil ourlait son arete d’une ligne eblouissante. La ou la lumiere penetrait dans l’eau limpide, on entrevoyait a peine le scintillement blond du sable.
— Qu’est-ce que vous voyez, Miika ?
La jeune fille, absorbee dans ses pensees, ne se retourna pas tout de suite.
— Rien. Vous aimez les iles desertes,’ et moi, le fond de la mer. J’ai toujours l’impression qu’on peut a decouvrir des choses interessantes ...
— Alors, pourquoi travaillez-vous dans la steppe ?
— C’est difficile a expliquer. Pour moi, la mer est une telle joie que je ne puis etre tout le temps aupres d’elle, comme on ne peut toujour ecouter une belle musique. Nos rencontres n’en sont que plus precieuses.
Dar Veter fit un signe affirmatif.
— On plonge ? Il montra le scintillement au fond de l’eau. Miika releva ses sourcils arques.
— Vous le pourriez ? Il y a au moins vingt-cinq metres, c’est seulement a la mesure d’un bon plongeur ...
— J’essaierai ... Et vous ?
Au lieu de repondre, elle se mit debout, regarda tout autour, choisit une grosse pierre et la traina au bord du rocher.