— Tchara, vous etes une trouvaille pour l’artiste !

— Une trouvaille ! interrompit une forte voix de basse. Si vous « aviez comment je l’ai trouvee ! C’est incroyable !

Le peintre Kart San agita son gros poing leve. Ses cheveux pales en coup de vent surmontaient un visage tanne par le grand air. Les jambes musclees, velues, etaient enracinees dans le sable.

— Si vouz avez le temps, accompagnez-nous, demanda Veda, et racontez-nous l’histoire.

— Je suis un mauvais narrateur. N’empeche que c’est interessant. Je m’occupe de reconstitutions. Je peins des types humains qui ont existe jusqu’a l’Ere du Monde Desuni. Depuis le succes de ma Fille de Gondvana, je brule de creer une autre incarnation ethnographique. La beaute corporelle est la meilleure expression de la race a travers les generations d’une vie saine et pure. Toute race avait a l’origine son ideal, son canon de beaute, etabli des l’epoque de la barbarie. Telle est notre conception a nous, les peintres, qu’on pretend retardataires ... Cette opinion doit s’etre implantee des l’age de pierre. Zut, voila que je m’ecarte du sujet ... J’ai concu un tableau intitule La fille de Thetis, c’est-a-dire de la Mediterranee. Ce qui m’a frappe, c’est que dans les mythes de la Grece antique, de Crete, de la Mesopotamie, de l’Amerique, de la Polynesie, les divinites naissent de la mer. Quoi de plus merveilleux que la legende hellenique d’Aphrodite, deesse de l’Amour et de la Beaute ! Et ce nom meme d’Aphrodite Anadyomene : nee de l’ecume, sortie de l’ecume ... Une deesse issue de l’ecume fecondee par la clarte des etoiles sur la mer nocturne — a-t-on jamais rien imagine de plus poetique ...

— De la clarte des etoiles et de l’ecume de mer, chuchota Tchara.

Veda, qui avait entendu, la regarda de biais. Le profil net, comme taille dans le bois ou la pierre, evoquait les peuples anciens. Le nez petit, droit et legerement arrondi, le front un peu fuyant, le menton volontaire et surtout la grande distance du nez a l’oreille plantee haut, etaient autant de traits caracteristiques de vieilles races mediterraneennes.

Veda l’examina discretement des pieds a la tete et trouva tout en elle un peu exagere. Une peau trop lisse, une taille trop fine, des hanches trop larges ... Et cette raideur de la taille qui avancait trop les seins fermes ... Peut-etre etaient-ce la les accents que cherche l’artiste ?

Comme une chaine de rochers leur barrait le chemin, Veda changea d’opinion : Tchara Nandi sautait d’une pierre a l’autre avec une grace de danseuse.

« Elle a certainement du sang indien dans les veines, conclut Veda. Je le lui demanderais plus tard.»

— Pour creer La Fille de Thetis, reprit le peintre, j’ai du me familiariser avec la mer, m’apparenter a elle. C’est que ma Cretoise sortira de la mer comme Aphrodite, mais de facon

a ce que chacun le comprenne. Quand je projetais de peindre La Fille de Gondvana, j’ai travaille trois ans dans un centre forestier de l’Afrique Equatoriale. Le tableau acheve, je me suis embauche comme mecanicien a bord d’un glisseur postal et j’ai distribue pendant deux ans le courrier a travers l’Atlantique, a toutes ces usines de peche, d’albumine et de sel, qui flottent sur d’immenses radeaux de metal.

Un soir, je conduisais mon engin dans l’Atlantique, a l’ouest des Acores, ou le contre-courant rejoint le courant septentrional. L’ocean y est toujours houleux. Mon glisseur, tour a tour, s’elancait vers les nuages bas et se precipitait dans les intervalles des lames. L’helice rugissait ; je me tenais sur la passerelle, aupres du timonier. Et soudain — quel spectacle inoubliable !

Figurez-vous une vague plus haute que les autres, courant a notre rencontre. Et sur la crete de cette muraille d’eau, juste au-dessous des nuages denses et nacres, se dressait une jeune fille au corps de bronze rouge ... La vague roulait en silence, et elle volait dessus, orgueilleuse dans sa solitude au milieu de l’ocean infini. Mon glisseur bondit, nous passames pres de la jeune fille qui nous salua en agitent la main ... Alors je vis qu’elle se tenait sur une de ces planches a moteur, que l’on conduit avec les pieds. . ,

— Je sais, intervint Dar Veter, c’est un appareil specialement destine aux promenades sur les vagues ...

— Ce qui m’a le plus impressionne, c’est qu’il n’y avait rien alentour que les nuages bas, l’ocean desert dans la lueur du soir, et la jeune fille rasant la vague enorme. Cette jeune fille, c’etait ...

— Tchara Nandi ! s’ecria Evda Nal, je m’en doute ! Mais d’ou venait-elle ?

— Certes, pas de l’ecume et de la clarte des etoiles ! Tchara eut un rire clair :

— Je venais tout bonnement d’un radeau d’usine d’albumine. Nous etions alors au bord des sargasse19 ou on cultivait les chlorelles20 et ou je travaillais comme biologiste.

— Admettons, convint Kart San, mais depuis, vous etes devenue pour moi la fille de la Mediterranee, issue de l’ecume. Le modele parfait de mon tableau. Je vous avais attendue un an.

— Peut-on venir voir ? demanda Veda Kong.

— Je vous en prie, mais pas aux heures de travail. Je peins tres lentement et je ne supporte alors aucune presence etrangere.

— Vous peignez aux couleurs ?

— Les procedes n’ont guere change depuis les millenaires d’existence de la peinture. Les lois optiques et l’?il humain sont toujours les memes ! La perception de certaines nuances s’est aiguisee, on a invente les couleurs chromcatoptriques21, aux reflexions internes, on a trouve des methodes nouvelles pour harmoniser les tons. Mais dans l’ensemble, le peintre de l’antiquite travaillait comme moi. Mieux, sous certains rapports ... La foi, la patience nous manquent : nous sommes trop impetueux et pas assez surs d’avoir raison ... Or, dans les arts, une naivete severe est parfois preferable ... Voila que je m’ecarte encore du sujet ! Il est temps ... Venez, Tchara.

Tous s’arreterent pour suivre des yeux le peintre et son modele.

— Je sais maintenant qui c’est, dit Veda. J’ai vu sa Fille de Gondvana.

— Moi aussi, firent en ch?ur Evda Nal et Mven Mas.

— Gondvana, c’est le pays de Gondes, une region de l’Inde ? s’enquit Dar Veter.

— Non, c’est l’appellation collective des continents meridionaux, le pays de l’ancienne race noire.

— Et comment est-elle, cette Fille des Noirs ?

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