Dar Veter s’accoutuma en dix jours a son nouveau travail.

L’exploitation avait son reseau electrique : dans de vieilles mines du continent, se cachaient des generateurs d’energie nucleaire de type E — on disait autrefois second type — qui ne donnait pas de radiations nuisibles et convenait de ce fait aux installations locales.

Un systeme tres complexe de machines se deplacait dans les entrailles de la montagne sous-marine et creusait la tendre roche brun-rouge. Le secteur le plus difficile etait a l’etage inferieur, ou se faisaient l’extraction et le concassage automatiques. On y recevait des signaux du poste central, situe en haut, et qui assurait la surveillance generale des dispositifs de coupe et de morcellement, le controle des variations de resistance et de tenacite du minerai, la verification des tables de lavage. La vitesse de l’extraction et du concassage dependait de la teneur en metal du minerai. Or, l’exiguite de l’espace protege contre la mer empechait de confier tout le soin du reglage aux robots.

Dar Veter etait devenu mecanicien du groupe inferieur de machines. Son service quotidien avait lieu dans la penombre des caveaux pleins de cadrans, ou la pompe d’aeration luttait a grand-peine contre la chaleur accablante, aggravee par la pression due aux inevitables fuites d’air comprime.

Leur journee finie, Dar Veter et son jeune aide prenaient le frais sur la terrasse ; apres le bain et le repas, chacun regagnait sa chambre dans une maisonnette de la cote. Dar Veter tachait de se remettre a l’etude des mathematiques cochleaires, mais il s’endormait de plus en plus tot et ne se reveillait qu’a l’heure de la releve. Il se sentait mieux, d’un mois a l’autre. Son ancien contact avec le Cosmos semblait oublie. Comme tous les mineurs, il avait plaisir a voir demarrer les radeaux charges de titane. Depuis la reduction des fronts polaires, les tempetes terrestres avaient nettement faibli et une grande partie du trafic maritime se realisait au moyen de radeaux remorques ou automoteurs. Quand le personnel de la mine fut remplace par un nouveau contingent, Dar Veter prolongea son sejour, avec deux autres enthousiastes des travaux miniers.

Rien n’est eternel en ce monde changeant : la mine marqua un temps d’arret pour les reparations courantes des machines d’extraction et de concassage. Dar Veter penetra pour la premiere fois jusqu’au front de taille, par-dela le bouclier, ou seul un scaphandre special lui permettait de braver la chaleur, la haute pression et les gaz toxiques qui fusaient par les fissures. Sous la lumiere eblouissante, les parois de rutile scintillaient comme le diamant et jetaient des feux rouges, tels des yeux furibonds dissimules dans le roc. Il regnait la un silence de mort. La perforatrice electrohydraulique et les enormes disques, emetteurs d’ondes ultra-courtes, s’etaient immobilises apres des mois d’activite. Des geophysiciens qui venaient d’arriver, s’affairaient dessous, installant leurs appareils pour verifier les contours du gite.

La-haut, resplendissaient les jours calmes de l’automne meridional. Dar Veter, parti en excursion dans les montagnes, sentait vivement la solitude de ces masses rocheuses qui s’elevaient depuis des millenaires, entre mer et ciel. L’herbe seche bruissait ; le murmure du ressac s’entendait a peine. Le corps fatigue reclamait le repos, mais le cerveau captait avidement les impressions du monde qui semblait neuf apres ce long et penible travail souterrain.

L’odeur des falaises chauffees et des herbes du desert rappela a Dar Veter l’ilot de la mer lointaine qui recelait le cheval d’or. Une puissante voix interieure lui promettait un avenir

heureux, d’autant plus heureux qu’il serait lui-meme meilleur et plus fort.

Qui seme la faute recolte la manie. Qui seme la manie recolte le caractere. Qui seme le caractere recolte le destin.

C’etait un vieux dicton qui lui etait revenu a la memoire ... Oui, la plus grande lutte de l’homme est la lutte contre l’egois-me. Il ne faut le combattre ni par les maximes sentimentales ni par une morale aussi belle qu’inefficace, mais par la notion dialectique que l’egoisme est non pas un produit des forces du mal, mais l’instinct de conservation de l’homme primitif, qui a joue un grand role dans la vie sauvage. Voila pourquoi les individualites fortes sont souvent caracterisees par un egoisme difficile a vaincre. Cette victoire est cependant une necessite, peut-etre la principale necessite du monde contemporain. C’est pour cette raison qu’on consacre tant d’efforts et de temps a l’education et qu’on etudie avec soin l’heredite de chaque homme. Dans le grand melange des races et des peuples, qui a cree la grande famille de la planete, se manifestent subitement des traits issus des profondeurs de l’heredite. Il se produit parfois de singulieres aberrations, qui remontent aux temps funestes de l’Ere du Monde Desuni, ou l’experimentation imprudente de l’energie nucleaire deteriorait l’heredite d’un grand nombre de personnes ... Autrefois on n’etablissait que la genealogie des conquerants qui se disaient nobles pour se mettre au-dessus des autres. Mais aujourd’hui, nous comprenons l’importance de cette etude pour la vie, le choix d’une profession, le traitement des maladies. Dar Veter lui-meme avait une longue genealogie, desormais inutile ... L’etude des ance« tres etait remplacee par l’analyse directe de la structure de l’organisme hereditaire, devenue particulierement importante depuis que la vie humaine etait prolongee. A partir de l’Ere du Travail General, on vivait jusqu’a 170 ans, et voici que l’on comptait depasser 300 ...

Un roulement de cailloux arracha Dar Veter a ses meditations. Deux personnes descendaient la pente : l’operatrice de la section d’electro-fonderie, femme timide et taciturne, excellente pianiste, et un petit homme alerte, ingenieur du service externe. Tous deux rouges d’avoir marche vite, ils saluerent Dar Veter et s’appretaient a continuer leur chemin, lorsqu’il les arreta, subitement assailli par les souvenirs.

— Il y a longtemps que j’ai quelque chose a vous demander, dit-il a l’operatrice. Je voudrais entendre la treizieme symphonie cosmique en fa mineur bleu. Vous avez joue beaucoup de morceaux pour nous, mais pas cette ?uvre.

— Celle de Zig Zor ? s’informa la femme, et comme il faisait un signe affirmatif, elle se mit a rire.

— Il n’y a guere de musiciens qui puissent l’interpreter. Le piano solaire a triple clavier est trop pauvre, et il n’existe pas encore de transposition ... Je doute qu’il y en ait jamais. Pourquoi ne reclameriez-vous pas l’audition de son enregistrement a la Maison de la Musique Superieure ? Notre poste est universel et bien assez puissant !

— Je ne sais pas m’y prendre, bredouilla Dar Veter, je n’ai ...

— Je m’en occuperai ce soir ! promit la musicienne et elle tendit la main a son compagnon pour repartir.

Le reste de la journee, Dar Veter fut obsede par le pressentiment d’un evenement capital. Mven Mas avait sans doute ete dans le meme etat d’esprit, la premiere nuit de son travail a l’observatoire du Conseil. L’ex- directeur attendait avec une etrange impatience onze heures, temps fixe par la Maison de la Musique Superieure pour la transmission de la symphonie.

L’operatrice d’electro-fonderie installa Dar Veter et les autres amateurs dans le foyer de l’ecran hemispherique, face a la grille d’argent du resonateur. Elle eteignit, expliquant que la lumiere empecherait d’apprecier le coloris de cette composition qui, ne pouvant etre jouee que dans une salle specialement amenagee, se trouverait, en l’occurrence, limitee par les dimensions de l’ecran.

L’ecran degageait une faible lueur, on entendait dans la nuit le murmure etouffe de la mer. Tout a coup, un

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