Les mysteres et les questions sans reponse disparaitraient a jamais, si on reussissait a accomplir une revolution de plus dans la science : vaincre le temps, franchir n’importe quelle distance en un laps de temps voulu, parcourir en maitre les espaces infinis du Cosmos. Alors, non seulement notre Galaxie, mais les autres iles d’etoiles seraient pour nous aussi proches que les ilots de la Mediterranee qui clapote en bas, dans la nuit. C’est ce qui justifie le projet temeraire de Ren Boz, que Mven Mas, directeur des stations externes de la Terre, allait realiser d’ici peu. Si seulement on pouvait mieux fonder l’experience, pour obtenir l’autorisation du Conseil ...
Les feux oranges de la Voie Spirale etaient devenus blancs : deux heures du matin, periode d’intensification du trafic. Mven Mas se rappela que demain c’etait la fete des Coupes de Feu, a laquelle l’avait convie Tchara Nandi. Il ne pouvait oublier cette jeune fille a la peau cuivree et aux gestes souples, qu’il avait rencontree au bord de la mer. Elle etait comme une incarnation de sincerite et d’elans primesautiers si rares a cette epoque des sentiments disciplines.
Mven Mas retourna dans la salle des transmissions, appela l’Institut de Metagalaxie qui travaillait la nuit, et demanda de lui envoyer le lendemain les films stereoscopiques de plusieurs galaxies. Puis il monta sur le toit, ou se trouvait son appareil des bonds a grande distance. Il aimait ce sport impopulaire et le pratiquait avec succes. Ayant attache a son corps le ballon d’helium, l’Africain s’envola d’une detente, en embrayant une seconde l’helice alimentee par un accumulateur leger. Il decrivit dans l’air une courbe d’environ six cents metres, atterrit sur la Maison de l’Alimentation, et recommenca. En cinq bonds, il atteignit un petit jardin sous une falaise calcaire, ota son appareil au sommet d’un pylone en aluminium et se laissa glisser a terre par une perche, vers son lit dur, place au pied d’un enorme platane. Il s’endormit au murmure du feuillage. La fete des Coupes de Feu tenait son nom d’un poeme de Zan Sen, celebre poete historien, qui avait decrit un rite de l’Inde antique, selon lequel on choisissait les plus belles femmes pour offrir aux heros partant en guerre des epees et des coupes ou brulaient des aromates. Ces attributs n’etaient plus en usage depuis longtemps, mais demeuraient le symbole de l’heroisme. Or, les exploits se multipliaient parmi la population courageuse et energique de la planete. La grande capacite de travail, qu’on ne connaissait autrefois qu’aux individus particulierement endurants, appeles genies, dependait entierement de la vigueur physique, de l’abondance d’hormones stimula-trices. Le souci de la sante, au cours des millenaires, avait assimile l’homme ordinaire aux heros de l’Antiquite, avides de hauts faits, d’amour et de connaissance.
La fete des Coupes de Feu etait la fete printaniere des femmes. Chaque annee, au quatrieme mois apres le solstice d’hiver, en avril d’apres les noitions anciennes, les plus jolies femmes de la Terre montraient au public leurs talents de danseuses, de chanteuses et de gymnastes. Les fines nuances de beaute des differentes races, qui se manifestaient dans la population metissee de la planete, brillaient ici dans leur inepuisable diversite, comme les facettes des pierres precieuses, a la joie des spectateurs, depuis les savants et les ingenieurs fatigues par un travail assidu, jusqu’aux artistes inspires et aux tout jeunes eleves du troisieme cycle.
Non moins magnifique etait la fete automnale d’Hercule, fete masculine celebree le neuvieme mois. Les jeunes gens parvenus a la maturite y rendaient compte de leurs Travaux d’Hercule. Par la suite, on prit l’habitude de soumettre au public les actions et les ?uvres remarquables de l’annee. La fete, devenue commune aux hommes et aux femmes, se partagea en journees de la Belle Utilite, de l’Art Superieur, de l’Audace Scientifique et de la Fantaisie ... Jadis Mven Mas avait ete reconnu heros du premier et troisieme jour ...
Mven Mas apparut dans l’immense Salle solaire du Stade Tyrrhenien, juste au moment ou Veda Kong chantait sur l’arene. Il repera le neuvieme secteur du quatrieme rayon ou etaient assises Evda Nal et Tchara Nandi, et se mit a l’ombre d’une arcade, ecoutant la voix grave de la jeune femme. Vetue d’une robe blanche, levant haut sa tete aux cheveux cendres, le visage tourne vers les dernieres galeries, elle chantait un air joyeux et semblait a l’Africain l’incarnation du printemps.
Chaque spectateur appuyait sur l’un des quatre boutons disposes devant lui. Des feux dores, bleus, verts ou rouges, qui s’allumaient au plafond, apprenaient a l’artiste ce qu’on pensait de lui et remplacaient les applaudissements bruyants d’autrefois.
Veda fut recompensee d’un rayonnement multicolore de feux dores et bleus, auxquels se melaient quelques lumieres vertes et, tout emue, alla rejoindre ses compagnes. Alors Mven Mas s’avanca, accueilli avec bienveillance.
Il chercha du regard son maitre et predecesseur, mais Dar Veter restait invisible.
— Qu’avez-vous fait de Dar Veter ? demanda-t-il d’un ton badin aux trois femmes.
— Et vous, qu’avez-vous fait de Ren Boz ? repartit Evda Nal, et l’Africain evita en hate ses yeux penetrants.
— Veter fouille le sol en Amerique du Sud, en quete de titane, expliqua Veda Kong, plus charitable, et son visage tressaillit. Tchara Nandi l’attira d’un geste protecteur et pressa sa joue contre la sienne. Ces deux visages, si differents, s’apparentaient par leur tendresse.
Tandis que les sourcils de Tchara, droits et bas sous le front degage, rappelaient les ailes deployees d’un oiseau planeur et s’harmonisaient avec les yeux en amande, ceux de Veda se relevaient vers les tempes ...
— Un oiseau qui s’envole .... songea l’Africain.
Les cheveux noirs et lustres de Tchara lui retombaient sur la nuque et les epaules, mettant en valeur la coiffure sobre de la blonde Veda.
Tchara consulta l’horloge encastree dans la coupole de a salle et se leva.
Son costume frappa Mven Mas. Une chaine en platine reposait sur ses epaules, un fermoir en tourmaline rouge chatoyait a son cou.
Les seins fermes, pareils a des coupes renversees, taillees par un orfevre, etaient presque decouverts. Une bande de velours violet passait entre eux, du fermoir a la ceinture. Des bandes analogues traversaient chaque sein en son milieu, tirees en arriere par une chainette qui barrait le dos nu. La taille tres mince etait nouee d’une ceinture blanche, semee d’etoiles noires et munie d’une boucle de platine en forme de croissant. Derriere, la ceinture retenait une longue piece de soie blanche, egalement ornee d’etoiles noires ; pas de bijoux, sauf les boucles scintillantes des petits souliers noirs.
— Ca va etre mon tour ! dit-elle imperturbable, en se dirigeant vers l’arcade de l’entree. Elle jeta un coup d’?il a Mven Mas et disparut, suivie d’un murmure interesse et de milliers de regards.
Sur l’arene, il y avait maintenant une gymnaste, jeune fille admirablement faite, qui ne devait pas avoir plus de dix-huit ans. Eclairee d’une lumiere d’or, elle executa au son de la musique une cascade d’envolees, de sauts et de pirouettes, s’im-mobilisant dans un equilibre inconcevable, aux passages lents de la melodie. Le public approuva ces performances par une multitude de feux d’or, et Mven Mas se dit que Tchara Nandi aurait du mal a se distinguer apres un tel succes. Un peu inquiet, il examina la foule en face de lui et reconnut soudain dans le troisieme secteur, le peintre Kart San. Celui-ci le salua avec une gaiete qui lui parut deplacee : cet artiste qui avait peint d’apres elle la Fille de la Mediterranee aurait du s’inquieter plus que les autres de l’effet du spectacle.