— Quinze mille trillions de tonnes d’eau, converties en energie du cycle d’hydrogene suivant le principe de la relativite masse-energie, cela fait, en gros, un trillion de tonnes d’energie. Or, le soleil en fournit 240 millions de tonnes par minute ; c’est donc a peine dix ans de rayonnement solaire !
Ren Boz eut un sourire satisfait.
— Et que donnera la geante bleue ?
— Je ne puis le dire au juste. Mais jugez vous-meme. Le Grand Nuage contient l’amas NGK 1910 pres de la Nebuleuse de la Tarentule ... Pardon, j’ai l’habitude d’employer les anciens noms !
— Aucune importance !
— Or, cet amas, dont le diametre mesure seulement soixante-dix parsecs, compte au moins une centaine d’etoiles geantes.
En general, la Nebuleuse de la Tarentule est si brillante que si on la rapprochait de vous, mettons, a la distance ou se trouve la Nebuleuse bien connue d’Orion, sa clarte serait egale a celle de la pleine lune.
II y a dans ce secteur la geante bleue ES de la Dorade, dont le spectre presente les raies claires de l’hydrogene et des raies sombres pres du bord violet. Son diametre est superieur a celui de l’orbke de la Terre et sa luminosite equivaut a un demi-million de nos soleils ! C’est d’une etoile de ce genre que vous voulez parler ? Dans l’amas en question, il existe des etoiles encore plus volumineuses, d’une circonference egale a l’orbite de Jupiter, mais elles ne font que s’echauffer.
— Laissons la ces geantes. Les hommes ont regarde pendant des milliers d’annees les nuages annulaires du Verseau, de la Grande Ourse et de la Lyre, sans comprendre qu’ils avaient affaire aux champs neutres de gravitation zero, etat transitoire entre l’attraction et l’antiattraotion. C’etait la l’enigme de l’espace zero.
Ren Boz se leva brusquement du seuil du blindage de commande, construit en gros blocs enrobes de silicate.
— Je me suis repose. Mettons-nous a l’?uvre !
Le c?ur de Mven Mas battit la chamade, l’emotion lui serra la gorge. Il poussa un grand soupir. Ren Boz restait calme en apparence ; seul, l’eclat febrile de ses yeux revelait la concentration de pensee et de volonte d’un homme qui va tenter une entreprise dangereuse.
Mven Mas serra dans sa poigne la petite main ferme de Ren Boz. Un signe de tete, et voici la haute silhouette de l’Africain descendant la montagne en direction de l’observatoire. La bise hurla d’un ton lugubre, envoyee par les glaciers des monts qui gardaient la route comme de gigantesques sentinelles. Mven Mas, frissonnant, pressa le pas, bien qu’il eut tout le temps : l’experience devait commencer apres le coucher du soleil.
Mven Mas communiqua avec le satellite 57 par la radio de diapason lunaire. Les reflecteurs et les viseurs de la station fixerent Epsilon du Toucan pour les quelques minutes de revolution du satellite entre le 33e degre de latitude nord et le Pole Sud, ou l’etoile etait visible de son orbite.
Mven Mas prit place au pupitre de la salle souterraine, qui ressemblait beaucoup a celle de l’observatoire mediterraneen.
Revoyant pour la millieme fois les donnees sur la planete d’Epsilon du Toucan, il verifia methodiquement le calcul de son orbite et se remit en liaison avec le satellite 57, afin d’exiger qu’au moment ou le champ serait branche, les observateurs changent tres lentement la direction suivant une courbe quatre fois plus grande que le parallaxe de l’etoile.
Le temps trainait en longueur. Mven Mas etait obsede par le souvenir de Bet Lon, le mathematicien criminel. Mais voici que l’ecran du videophone montra Ren Boz au pupitre de l’installation experimentale. Ses cheveux rudes etaient plus ebouriffes que d’ordinaire.
Les dispatchers des stations energetiques se declarerent prets. Mven Mas prit les manettes, mais un geste de Ren Boz l’arreta.
— L’energie est insuffisante. Prevenez la station auxiliaire Q de l’Antarctide.
— C’est fait, elle est prete.
Le physicien reflechit un instant.
— Il y a des stations d’energie F dans la presqu’ile des Tchouktches et au Labrador. On devrait leur demander d’intervenir au moment de l’inversion du champ : je crains que l’appareil ne soit imparfait ...
— Elles sont prevenues. Ren Boz, deride, leva la main.
La formidable colonne d’energie atteignit le satellite 57. Les jeunes visages surexcites des observateurs apparurent sur l’ecran hemispherique.
Apres avoir salue ces hommes intrepides, Mven Mas s’assura que la colonne d’energie suivait bien le satellite. Puis il brancha le courant sur l’installation de Ren Boz. L’image du physicien s’effaca de l’ecran.
Les indicateurs du debit de puissance penchaient leurs aiguilles a droite, attestant une condensation toujours accrue.
Les signaux brillaient d’un eclat de plus en plus intense. A mesure que Ren Boz branchait l’un apres l’autre les emetteurs du champ, les indicateurs de remplissage tombaient par a-coups vers la ligne zero. Une sonnerie entrecoupee de l’installation experimentale fit tressaillir Mven Mas. L’Africain savait ce qu’il avait a faire. Un tour de manette, et le courant en tourbillon de la station Q se deversa dans les yeux mourants des appareils, animant leurs aiguilles inertes. Mais a peine Ren Boz avait-il branche l’inverseur general, que les aiguilles retomberent a zero. Mven Mas relia presque instinctivement l’observatoire aux deux stations F.
Il lui sembla que les appareils s’etaient eteints, une etrange lueur pale remplit le caveau. Les sons avaient cesse. L’instant d’apres, l’ombre de la mort traversa l’esprit de l’Africain, estompant les sensations. Mven Mas luttait contre le vertige, les mains crispees au bord du pupitre, haletant d’effort et torture par une douleur effroyable a la colonne vertebrale. La lumiere s’intensifiait d’un cote de la salle souterraine, sans que Mven Mas put dire duquel : peut-etre de l’ecran ou de l’installation de Ren Boz ...
Soudain, un rideau mouvant parut se dechirer, et Mven Mas entendit nettement le clapotis des vagues. Une odeur subtile et indefinissable penetra dans ses narines dilatees. Le rideau s’ecarta a gauche, tandis qu’une brume blafarde continuait a onduler dans le coin oppose. De hautes montagnes rougeatres, ceintes de bois couleur