Ils etaient releves par l’equipe suivante : Pel Lin, un astro-navigateur qui en etait a sa deuxieme expedition, l’astronome Ingrid Ditra et l’ingenieur electronicien Key Baer, qui s’etait joint a eux volontairement. Ingrid, avec l’autorisation de Pel Lin, se retirait souvent dans la bibliotheque voisine du poste central. Elle collaborait avec son vieil ami Key Baer a une symphonie monumentale,
Il y eut deux releves encore, le vaisseau s’etait rapproche de la Terre d’environ dix trillions de kilometres, et les moteurs a anameson n’etaient embrayes que pour quelques heures.
L’equipe de Pel Lin achevait sa quatrieme veillee depuis que la
L’astronome Ingrid Ditra, ses calculs termines, se retourna vers Pel Lin qui suivait d’un ?il melancolique la palpitation incessante des aiguilles rouges sur les cadrans bleu clair des intensimetres des champs de gravitation. Le ralentissement habituel des reactions nerveuses, auquel etaient sujettes les natures les plus robustes, se faisait sentir dans la seconde moitie, de la veillee. L’astronef, gouverne automatiquement, suivait pendant des mois et des annees une route etablie d’avance. S’il survenait un evenement extraordinaire, qui depassait les facultes de l’automate directeur, la catastrophe etait presque inevitable, car l’intervention des hommes serait sans effet : le cerveau humain, si entraine qu’il fut, ne pouvait reagir assez vite.
— A mon avis, nous sommes en plein dans la region inexploree 344 + 2 U. Le chef voulait veiller lui-meme, dit Ingrid a l’astronavigateur. Pel Lin consulta le compteur chronologique.
— De toute facon nous serons releves dans deux jours. Il n’y a pour le moment rien de particulier ... On y va jusqu’au bout?
Ingrid acquiesca d’un signe de tete. Key Baer, sorti des compartiments de l’arriere, occupa son fauteuil pres des mecanismes d’equilibre. Pel Lin se leva en baillant.
— Je vais dormir quelques heures, declara-t-il a Ingrid. Elle passa docilement au tableau de bord.
La
Une angoisse etrange secoua les nerfs d’Ingrid. Revenue aupres de ses machines et de ses telescopes, elle verifiait a nouveau leurs indications et dressait la carte de la region inconnue. La marche se poursuivait sans encombre, et cependant elle ne pouvait detacher les yeux de l’obscurite sinistre qui s’etendait devant eux. Key Baer avait remarque l’inquietude de l’astronome et accordait toute son attention aux appareils.
— Je ne vois rien qui cloche, dit-il enfin. Qu’as-tu donc ?
— Je ne sais pas, c’est ce noir qui m’alarme. Il me semble que le vaisseau penetre dans une nebuleuse opaque ...
— Il y a bien la un nuage, mais nous ne ferons que le froler. C’est conforme aux calculs ! L’intensite du champ d’attraction s’accroit petit a petit, regulierement. En traversant cette zone, nous nous approcherons forcement d’un centre de gravitation. Qu’importe qu’il soit sombre ou lumineux ?
— C’est vrai ! dit Ingrid, quelque peu rassuree.
— Le chef et ses principaux adjoints sont parfaits. Nous suivons notre route plus vite qu’il n’etait prevu. Si ca continue, nous sommes sauves, et nous atteignons Triton, malgre la penurie d’anameson.
Elle se sentit penetree de joie a la seule pensee de Triton, le plus gros satellite de Neptune, ou l’on avait construit la derniere station astronautique du systeme solaire. Gagner Triton, c’etait revenir chez soi ...
— J’esperais qu’on travaillerait un peu a notre symphonie, reprit Key Baer, mais Lin est alle se reposer. Il dormira six ou sept heures ; en attendant, je mediterai seul la finale de la seconde partie, tu sais, le passage ou nous n’arrivons pas a introduire le motif de la menace. Celui-la ... Key chanta plusieurs notes.
— Di-i, di-i, da-ra-ra, repondirent soudain les parois du poste de commande, a ce qu’il parut a Ingrid. Elle tressaillit, se retourna ... et comprit aussitot. L’intensite du champ d’attraction avait augmente, et les appareils repondaient par un changement de melodie.
— Curieuse coincidence ! fit-elle avec un rire legerement penaud.
— La gravitation s’est accrue, c’est normal pour le nuage opaque. Sois donc tranquille et laisse dormir Lin.
A ces mots Key Baer quitta le poste central. Dans la bibliotheque vivement eclairee, il s’assit a un petit piano-violon electronique et s’absorba dans la composition musicale. Plusieurs heures s’etaient sans doute passees, lorsque la porte hermetique de la salle s’ouvrit d’une saccade et Ingrid parut.
— Key, mon ami, reveille Lin.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— L’intensite du champ d’attraction augmente plus qu’elle ne le devrait.
— Et qu’y a-t-il sur notre chemin ?
— Toujours les tenebres !
Ingrid s’en fut. Key Baer alla reveiller l’astronavigateur, qui se precipita au poste central.
— Rien de grave. Mais d’ou vient ce champ de gravitation ? Il est trop puissant pour un nuage opaque, et pas d’etoile a proximite ... Lin reflechit, appuya sur le bouton de reveil de la cabine d’Erg Noor, reflechit encore et brancha la cabine de Niza Krit.
— Si tout va bien, ils nous releveront, voila tout, expliqua-t-il a Ingrid alarmee.
— Et si ca va mal ? Erg Noor ne sera revenu a lui que dans cinq heures. Que faire ?