pu s'entendre? Et la voix! Graillonneuse. Enrouee. Et toutes ses phrases commencaient par: «Moi, ma chere mademoiselle… Moi, mon cher Bob…» Etait-il la, pousse par une amitie inquiete ou bien pour veiller sur celui qui valait des millions? Les deux, sans doute.

M. Skinner et Miss Mary echangeaient des regards qui disaient assez a quel point ils regrettaient la presence de ce geneur. Aussi la visite fut-elle courte. Bien sur, on parla du second vol, tellement inexplicable. M. Skinner confirma que les objets derobes n'avaient qu'une faible valeur. Il ne comprenait pas plus que les autres pourquoi on les avait pris. Mais il ne paraissait pas attacher a l'evenement beaucoup d'importance. Son esprit etait uniquement preoccupe par l'imminence de l'operation.

— Nous reviendrons demain, promit Miss Mary.

Francois remarqua le regard desespere de M. Skinner. Pourquoi desespere? Puisque le chirurgien etait tres optimiste! Mais Francois n'etait pas dans la peau du malade!

— Allez donc tous les deux au jardin zoologique, proposa Miss Mary. Moi, j'ai beaucoup a faire a la maison, et il faut que je trouve un ouvrier pour reparer la fenetre.

Cette promenade fut quelque peu maussade. Certes, Francois n'avait jamais vu un parc zoologique aussi magnifique. Mais Bob manifestait peu d'entrain. Ils flanerent longuement devant le bassin des pingouins, dans le pavillon des insectes, celui des reptiles. Ils virent les fauves, les girafes, les elephants. Par suite de quelque association d'idees bizarres, Bob dit:

— Papa m'inquiete. Il a beaucoup change.

— Ce n'est pas etonnant.

— Oh! Je me comprends. Il y a quelque chose qui le tracasse.

— Explique.

— Je le sens. C'est tout. Ca se passe entre lui et Merrill… Tiens, c'etait ici que se trouvait le panda geant. Il est mort… Moi, je n'aime pas Merrill. Il ne pense qu'a son fric. Et il doit en vouloir a papa. Et pourtant, papa, c'est le type regulier. Ce n'est pas sa faute si on l'a attaque et si on lui a fauche ses plans!

Tard dans la nuit, Francois ecrivait encore. Il notait tout, meme les choses les plus banales, parce que rien n'est banal, il en etait de plus en plus convaincu. Par exemple, Mrs. Humphrey faisait la tete. Pourquoi? Vraisemblablement parce qu'elle en voulait a Miss Mary d'avoir telephone au vitrier. C'etait a elle de prendre cette initiative. De meme, c'etait a elle de decider de fermer les volets. Que se passerait-il quand Miss Mary serait Mrs. Skinner? Sans doute la gouvernante partirait-elle. Peut-etre etait-ce la raison pour laquelle le diner laissait a desirer. La viande etait trop bouillie, les pommes de terre pas assez cuites. A sa maniere volontairement effacee, Mrs. Humphrey etait un personnage. Ce second cambriolage, qu'il avait bien fallu lui reveler, l'avait profondement affectee. Que quelqu'un fut venu prendre le classeur, c'etait deja choquant. Mais voler des objets en quelque sorte confies a sa garde, puisqu'elle les epoussetait tous les jours, ca, jamais! Elle se sentait personnellement visee. «Cela ne se serait pas passe ainsi du temps du «pauvre Monsieur», disait-elle. (Le «pauvre Monsieur» etait le pere de M. Skinner). Dans ma jeunesse, on avait de l'education!» Et elle classait certainement Miss Mary qui etait la et n'avait rien empeche, dans la categorie des gens mal eleves. Francois ecrivit encore quelques remarques, se relut, bailla. Cette fois, il etait grand temps de se mettre au lit. Mais comme il avait un peu chaud, il alla ouvrir la fenetre et entrebailla les volets. Dommage que le jardin ne fut pas mieux soigne! M. Skinner avait pourtant les moyens de se payer un jardinier, maintenant. S'il avait traverse une periode de gene, grace a M. Merrill, desormais, il etait renfloue. La lueur lointaine d'un lampadaire poussait de pales reflets entre les massifs et eclairait vaguement l'allee. Et soudain, Francois se rejeta en arriere: il y avait une ombre dans le jardin.

Tres emu, Francois avanca la tete avec precaution. Non! Ce n'etait pas le voleur qui revenait. C'etait… Miss Mary qui partait. Sa silhouette etait parfaitement reconnaissable, ses cheveux blonds notamment. Elle se dirigeait vers la grille, portant une sorte de paquet. Francois ecarquillait les yeux. C'etait une valise. Impossible de s'y tromper. C'etait bien une valise. Mais comment croire que Miss Mary put partir ainsi, en pleine nuit, a l'insu de tous? Cela ne lui ressemblait guere.

Francois n'hesita pas. Sans meme prendre le temps d'enfiler un pantalon et des pantoufles, il sortit dans le couloir a pas de loup, descendit silencieusement l'escalier, traversa le vestibule et constata que la porte d'entree etait entrouverte. Miss Mary avait donc l'intention de revenir!.. Alors, ou allait-elle, avec sa valise? Une seconde, Francois se dit qu'il avait tort, que les agissements de la jeune femme, apres tout, ne le regardaient pas et qu'un invite doit, en toute circonstance, se montrer discret. Mais il etait l'invite, d'abord, de M. Skinner et il avait le devoir d'intervenir secretement s'il remarquait quelque chose d'insolite, dans la maison de son hote, surtout apres ce qui s'etait passe. Or, la conduite de Miss Mary etait plus que bizarre.

Les feuillages creaient des zones d'ombre propices a une filature. Francois se rapprocha sans bruit. Miss Mary s'immobilisa devant la grille, mais, au lieu de l'ouvrir, elle posa sa valise sur le sol et attendit. Francois se cacha derriere un marronnier. En pyjama, il n'avait pas chaud, mais sa curiosite etait devenue telle qu'il ne pensait plus a rien. Qu'allait faire Miss Mary? Il la distinguait mieux et s'apercut qu'elle etait en robe de chambre. Soudain, Francois comprit: quelqu'un allait venir.

Il ne fut pas surpris quand une ombre apparut, de l'autre cote de la grille, et se dessina tout contre les barreaux. Malheureusement, la lumiere du reverbere n'etait pas assez forte pour qu'il fut possible de distinguer un visage. La silhouette etait celle d'un homme d'assez grande taille. Miss Mary prononca quelques mots, puis elle saisit la valise, qui semblait legere, et essaya de la faire passer entre les barreaux. L'homme l'aida en comprimant les flancs de la petite mallette, et celle-ci fut bientot entre ses mains. Il s'eloigna aussitot et sembla fondre dans l'obscurite.

Miss Mary ne bougeait plus. Deux ou trois minutes s'ecoulerent, puis une auto demarra, au bout de la rue. Miss Mary ecouta encore. Enfin, elle revint vers la maison et passa tout pres de Francois accroupi. Elle se tamponnait les yeux avec un mouchoir dont la blancheur tranchait sur son profil a contre-jour. Elle pleurait…

Elle pleurait! Francois demeurait cloue par la surprise. Qu'est-ce que tout cela signifiait? Qui etait cet homme? Un complice? Mais complice de quoi? Le mot lui-meme etait insultant. Comme si Miss Mary etait capable de commettre quelque action basse! Il se remit en marche, sans se presser, pour donner le temps a la jeune femme de regagner la maison. Mais soudain un bruit familier le fit sursauter. Miss Mary venait de refermer la porte a clef. Il venait d'entendre le claquement du pene. Il etait bel et bien coince dans le jardin!

Non. C'etait trop bete! Il courut sur la pointe des pieds, man?uvra en vain la poignee. Helas!.. Sonner? Il faudrait alors tout raconter. Quelle honte! Rester sur le perron jusqu'au matin et se faufiler dans la place des qu'on aurait tire les verrous? Dans le brouillard de l'aube? Un coup a attraper une pneumonie.

Non! «Imbecile! Ganache! Cretin!» Mais Francois avait beau s'insulter, cela ne calmait point son inquietude.

Comme un chat perdu, il tourna autour de la maison, sautillant sur le gravier des allees qui lui meurtrissait les pieds. La porte de la cuisine etait egalement verrouillee, et tous les volets soigneusement clos. Il se retrouva devant le perron, transi et de plus en plus livre a l'angoisse. Qu'allait-il devenir? Il s'assit sur la plus haute marche.

«Sans-Atout, mon vieux, pensa-t-il, c'est le moment de te manifester!»

Il se sentait affreusement coupable, maintenant. Et le moyen de se disculper? Oserait-il pretendre qu'il souffrait, parfois, de somnambulisme? C'etait ridicule. Il se massa les pieds, puis se frotta vigoureusement les bras et les cotes pour se rechauffer. Quelle idee il avait eue de suivre Miss Mary! A cette heure, s'il n'avait pas ete si romanesque, il dormirait dans la tiedeur du lit.

Mais, au fait, il y avait une fenetre ouverte: la sienne. Pardi! Rien n'etait perdu.

Il devala le perron et prit du recul pour mieux dechiffrer la facade. Pas de tuyau de descente. Pas de saillies. Mais il y avait le lierre qui tapissait inegalement le mur. Et si ce lierre etait suffisamment solide…

Il s'approcha pour tater les branches noueuses, a travers le rideau des feuilles. Quoi! Il ne s'agissait que d'une ascension de trois metres, quatre au plus. Il se suspendit a une branche, en eprouva de tout son poids la solidite. Cela tenait, mais les feuilles s'agitaient violemment et faisaient comme un envol de pigeons. Tant pis pour le bruit!

La folle equipee

Les mains trouvaient assez facilement des prises parce qu'elles pouvaient tatonner et savaient interroger le

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