immediatement la sympathie. Bref, la glace etait rompue et Francois se sentait plein d'optimisme.

— Nous habitons la banlieue nord-ouest, dit M. Skinner. L'endroit se nomme Hastlecombe. A vol d'oiseau, ce n'est pas tres loin, mais nous allons faire un crochet pour vous montrer un peu la ville.

— Avec plaisir, dit Francois. J'ai deja lu beaucoup de choses sur Londres…

— Il a toujours tout lu, intervint Bob. Sans-Atout est incollable…

— Sans-Atout? demanda M. Skinner. Qu'est-ce que cela signifie?

— Oh! repondit Francois, c'est un surnom qu'on m'a donne. En classe, j'avais un professeur qui repetait toujours que, dans la vie, il faut avoir de l'ordre et que l'ordre est le meilleur atout. Et comme je n'ai pas d'ordre…

— On vous a surnomme: Sans-Atout, acheva M. Skinner. C'est tres drole.

— Oui, mais il y a aussi une autre raison! s'ecria Bob. Je la dis?

— Non, protesta Francois, non… D'abord, ce n'est pas vrai!

— Francois, poursuivit Bob, est quelqu'un de remarquable. Il sait tout. Tu comprends; c'est comme s'il possedait toujours les meilleures cartes, et s'il jouait, a tout coup, sans atout. Il est toujours le premier, quoi. Tu ne diras pas le contraire!

Il etait tout fier, Bob!

— Ne l'ecoutez pas, fit Francois, gene. Il m'arrive d'avoir de la chance.

— Je suis bien content que vous soyez l'ami de Bob, dit M. Skinner. Tachez de lui apprendre a se servir de ce qu'il sait. Car, malheureusement… Nous longeons Hyde Park… Le Parlement est a droite, au bord de la Tamise. Bob vous le montrera un autre jour. Nous allons faire le tour de Piccadilly Circus… Ensuite, nous passerons par Trafalgar Square. Mais une question brulait la langue de Francois.

— Je ne voudrais pas etre indiscret, commenca-t-il. J'ai su, par Bob…, a propos de vos automates…

— Ah! fit M. Skinner, en souriant. Mes automates! Cela vous interesse donc?

— Enormement!

— Je vous montrerai ma collection, tout a l'heure.

— Ils marchent sans doute selon le principe de la tele-commande?

— Bien sur. Mais j'ai mis au point un procede… Ah, ce n'est pas facile a expliquer comme ca, en quelques mots. Si vous voulez, c'est la voix qui sert de signal…

Bob pianota sur le genou de Francois.

— Piccadilly Circus, annonca-t-il.

Francois jeta un rapide regard, vit une place grouillante, des files de voitures arretees, un spectacle qui lui rappelait la place de l'Opera. C'etait beaucoup moins passionnant que les automates de M. Skinner.

— J'ai lu quelque part, dit-il, qu'un systeme de ce genre faisait fonctionner les serrures des coffres-forts.

— Bob a raison, reprit M. Skinner, vous avez tout lu. Eh bien, mon procede ressemble un peu a celui-la… en plus simple et surtout en beaucoup plus reduit. Le mecanisme tiendrait dans une boite d'allumettes. Je parle, naturellement, du mecanisme qui sert de cerveau. A quoi il faut ajouter les organes de transmission, bien entendu. Mais je n'ai pas voulu creer simplement des automates…

Ses mains abandonnaient les epaules des deux garcons. Il prit et alluma nerveusement une cigarette. Depuis qu'il parlait de son invention, un tic lui agitait le coin de la bouche, une sorte de tremblement rapide qui trahissait une grande tension interieure.

— Et voici Trafalgar Square, dit Bob, pour faire diversion.

Francois apercut la celebre colonne Nelson. Des hippies etaient assis autour du bassin. L'un d'eux jouait de la guitare; la pluie avait cesse et un soleil anemique couchait sur le sol des ombres pales. Un policeman, les pouces dans son ceinturon, regardait distraitement la foule.

Francois, seduit, se promit de revenir, mais le taxi s'engageait deja dans une large avenue.

— Charing Cross, annonca Bob.

— J'ai voulu construire des modeles educatifs, reprit l'ingenieur. Aujourd'hui, personne ne sait plus l'anglais, en Angleterre. On parle n'importe comment. On entend l'accent cockney jusque dans la Chambre des Communes. Alors, imaginez des automates qui ne reagissent que si les ordres qu'on leur donne sont prononces d'une facon parfaite… Vous voyez? C'est le moyen ideal pour apprendre correctement une langue tout en s'amusant.

— Et si je comprends bien, dit Francois, prompt a l'enthousiasme, vous pouvez programmer vos automates a partir de n'importe quelle langue?

— Exactement.

— Mais les ordres que vous leur donnez sont en nombre limite, forcement.

— Detrompez-vous. Au debut, oui, la liste des commandements etait reduite. C'est cette difficulte qui m'a arrete longtemps.

M. Skinner alluma une seconde cigarette. Ses yeux tres bleus brillaient d'excitation. Il prit son fils par le cou et lui serra affectueusement la nuque.

— Tu vois, Bob. Ton ami a tout de suite saisi l'interet de ces recherches qui t'ennuient.

— Elles ne m'ennuient pas, protesta Bob. Mais tu n'es jamais la. Et quand tu es la, tu n'entends meme pas ce qu'on te dit. Demande a Mrs. Humphrey.

M. Skinner se tourna vers Francois.

— Notre grande querelle! dit-il d'un ton enjoue. Mrs. Humphrey est notre gouvernante. Et je dois avouer qu'elle n'aime pas beaucoup mes marionnettes… Je crois qu'elles lui font peur. Mais, pour en revenir a votre objection, oui, j'ai cherche longtemps… Et j'ai fini par trouver. D'abord, j'ai reussi a augmenter notablement la «memoire» magnetique de mes appareils; et ensuite, et surtout, j'ai sensiblement allonge les phrases qui servent de signal. Par exemple, au lieu de dire: «Venez ici», on doit dire, maintenant: «Est-ce que monsieur Tom voudrait me faire le plaisir d'avancer jusqu'ici?»

— Ah, je vois! s'ecria Francois. Vous obligez le demandeur a parler plus longtemps, ce qui l'oblige a corriger davantage ses fautes de prononciation. Votre automate n'est que…

Il chercha en vain le mot en anglais et termina en francais:

«…n'est qu'un faire valoir.»

— Parfaitement, fit l'ingenieur, ravi. M. Tom, qui est ma marionnette la plus perfectionnee est capable de soutenir une conversation tres simple, comme vous devez le penser, mais le resultat est surprenant.

— Ah! Parce qu'il possede aussi la parole?

— Pourquoi pas. Ce n'est pas cela le plus difficile. J'ai enregistre la voix de Bob.

Boudeur, Bob haussa les epaules.

— Ce n'est pas ma voix, grogna-t-il. Ca nasille, comme un vieux phono.

— Allons, mon garcon, dit M. Skinner, sois «fair play»… Savez-vous, mon cher Francois… Bob est un peu jaloux de M. Tom. Et c'est vrai que je m'occupe souvent plus de M. Tom que de ce pauvre Bob… Mais tout va rentrer dans l'ordre, maintenant que je touche au but.

Il donna une petite tape sur le genou de son fils.

— Promis! Et maintenant, a la maison!

Il fit coulisser la vitre de separation et murmura quelques mots a l'oreille du conducteur, puis, s'adressant a Francois:

— Ce n'est pas votre Neuilly, mais c'est quand meme tres agreable. Peut-etre un peu a l'ecart. Bob prefererait qu'on habite moins loin du centre, mais j'ai besoin de tranquillite pour mon travail… Pourtant, n'allez pas croire que nous vivons comme des ermites. N'est-ce pas, Bob? Deja, ce soir, si vous n'etes pas fatigue, nous irons entendre un concert au Festival Hall. Bob m'a dit que vous aimez beaucoup la musique, et Karajan sera au pupitre. Les jours suivants, malheureusement, je ne serai pas souvent des votres. Vous m'excuserez… J'ai des rendez-vous tres importants.

Les rues se succedaient, monotones, avec leurs maisons toutes pareilles, derriere d'identiques jardinets. Puis il y eut, de loin en loin, des demeures plus importantes, entourees de verdures. Le taxi vira dans un chemin prive, et Francois decouvrit une belle propriete qui se montrait a demi, au bout d'une allee de marronniers.

— Nous y sommes, dit M. Skinner. Francois et Bob descendirent.

— C'est magnifique, dit Francois. Vous avez la chance d'entendre les oiseaux. Et comme c'est encore vert!

Mais deja une personne assez agee, tout de noir vetue, venait au-devant d'eux.

— Voici mon ami Francois… Mrs. Humphrey! s'ecria Bob.

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