faire construire une espece de laboratoire, au fond du parc, derriere la maison. Oh! Il a de grands projets, papa. Depuis toujours, je l'entends qui tire des plans. Il n'est pas comme les autres. Il vit en avant… Tu veux voir les autres pieces? Je te previens, elles sont a moitie vides. Papa a ete oblige de vendre beaucoup de choses, parce que ses recherches coutent tres cher.

Il entraina Francois et, montrant le couloir, ajouta:

— Ici, c'est la chambre de papa. Ensuite, c'est la mienne, puis la chambre de Mrs. Humphrey, et en face, une seconde chambre d'amis. Sans interet. A l'etage au-dessus, il n'y a plus rien… Mais tu vas voir, le salon est amusant.

Ils descendirent et Bob ouvrit une porte:

— Voila le musee!

Francois ne sut tout d'abord ou porter ses regards. Il fit quelques pas avec precaution, car il marchait sur un tres beau tapis persan. Autour de lui, il y avait des laques, des jades, des ivoires, toutes sortes de bibelots ouvrages, ciseles, inscrustes.

— Mon grand-pere etait consul, expliqua Bob. Il a ete en poste un peu partout et il a rapporte un tas de trucs… Tiens, la, c'est une table de fumeur d'opium, avec les pots et les aiguilles… Ca, c'est un paravent chinois… Et ca, un moulin a prieres qui vient de Bombay… La-bas, c'est le coin des armes. Il y a meme un boomerang… Et ce sabre de samourai, qu'est-ce que tu en dis?

Avec souplesse, Bob se glissait entre les tables basses, encombrees des objets les plus varies, et montrait tour a tour un echiquier aux pieces sculptees, une defense d'elephant, un coffret contenant des bagues anciennes…

— La pauvre Mrs. Humphrey! Quand il faut qu'elle fasse le menage! Tu te rends compte! Mais tu sais ce que je prefere?… Ca!

Il prit, sur une console, une boite plate et l'ouvrit. Elle contenait deux pistolets aux longs canons, soigneusement astiques.

— Des pistolets de duel, dit-il. Oh! Ils ne sont pas neufs. C'est moi qui les fais briller. Soupese-les… On est toujours surpris de leur legerete.

Francois souleva l'un des pistolets et, par jeu, visa un masque africain.

— Tu parles d'un calibre, commenta Bob. Et ils pourraient servir, si on voulait. Il y a des balles dans la boite… Regarde comment je m'y prends.

Adroitement, il chargea l'une des armes. Mais un bruit de pas, dans la salle a manger, l'alerta.

— C'est Mrs. Humphrey, chuchota-t-il. Elle n'aime pas beaucoup me trouver ici.

Il coucha les pistolets dans la boite, la remit rapidement en place et revint au centre du salon. Quand la gouvernante entra, il disait innocemment a son ami.

— Personne ne vient jamais ici. Papa ne recoit pas de visites… N'est-ce pas, Mrs. Humphrey?

La gouvernante jeta un regard inquisiteur.

— C'est l'heure de vos gouttes, dit-elle. J'ai tout prepare.

— Bon. On y va.

— Tu est malade? demanda Francois, tandis que la vieille femme s'eloignait.

— Mais non. Seulement le docteur s'est mis dans la tete de me faire maigrir.

Ils allerent dans la cuisine ou un verre plein d'un liquide rosatre attendait Bob. Celui-ci ouvrit le buffet et s'empara d'un gros morceau de tarte.

— C'est pour ne pas sentir le gout, dit-il en riant.

Il vida son verre d'un trait et mordit dans le gateau.

— Ce que ca peut etre mauvais!.. Viens voir le garage.

Une partie du garage avait ete convertie en atelier. Sur une table tachee de peinture, une carcasse metallique montrait des rouages compliques, pres d'un materiel de soudure.

— Et la voiture? demanda Francois.

— La plupart du temps, elle couche dehors, faute de place. Bientot, les automates envahiront la maison et l'on sera oblige d'aller a l'hotel!.. Pourtant, je l'aime bien, notre petite Morris. J'ai appris a conduire. C'est Miss Margrave qui m'a montre. Des que j'aurai l'age, je passerai le permis… Et toi? Tu sais conduire?

— Non, avoua Francois.

— Alors, je te donnerai des lecons… Ecoute! Un pas ecrasait le gravier de l'allee. Bob et Francois sortirent. Ils virent un homme qui se dirigeait vers le perron. Il portait une gabardine serree a la taille. Sa barbe blonde abondante et sa moustache tombante dissimulaient le bas de son visage. Un chapeau au bord rabattu cachait ses yeux. Bob alla au-devant de lui.

— Monsieur Skinner est-il la? demanda l'inconnu.

— Non. Mon pere ne rentrera que ce soir.

— Ah! Comme c'est ennuyeux! L'homme enleva son chapeau et passa sa main, doitgs ecartes, dans ses longs cheveux aux reflets roux. Il regardait la maison d'un air hesitant.

— Vous pourriez lui telephoner, suggera Bob.

— Oh non! Ce que j'ai a lui dire est trop confidentiel.

— Dans ce cas, je regrette…

Mais l'homme ne semblait pas desireux de rebrousser chemin. Il regardait Bob avec mefiance. Puis il considera Francois avec attention, comme s'il soupconnait les deux garcons de mentir.

— Et si je lui laissais un mot? proposa-t-il. Mais je n'ai pas de quoi ecrire. Peut-etre pourriez-vous me donner une feuille de papier et un crayon?

Il parlait avec un accent un peu rauque. Bob, des yeux, interrogea Francois. Celui-ci haussa imperceptiblement les epaules, en signe d'impuissance.

— Eh bien, entrez, dit Bob a regret.

Pas question de conduire ce personnage bizarre au salon. Encore moins au bureau. Bob ouvrit la porte de la salle a manger.

— Reste avec lui, souffla-t-il a Francois.

L'homme s'assit et pianota sur le bord de la table, d'un air pensif. Francois remarqua alors les taches de rousseur qui lui marquaient les pommettes. Il avait des sourcils soyeux, peu fournis, et des cils presque blancs. Avec ses yeux trop clairs, il faisait penser a un Scandinave. Bob revint et posa devant le visiteur un bloc et un porte-mine, puis les deux garcons se retirerent dans un coin de la piece, par discretion. Mais ils ne perdaient pas de vue l'inconnu qui, le front plisse, ressemblait a un candidat en train de secher sur sa copie. Enfin, il ecrivit quelques mots, ratura, recommenca. Visiblement, il aurait prefere etre seul. Mecontent, il arracha la feuille du bloc, la froissa, la mit dans sa poche.

— Je reviendrai demain, dit-il en se levant. Bob s'avanca vers lui:

— Si vous voulez me donner votre nom?

— Ce n'est pas la peine. Monsieur Skinner ne me connait pas. Je repasserai. J'aurai peut-etre plus de chance.

Il s'arreta sur le seuil de la salle a manger et jeta un coup d'?il dans le bureau dont Bob avait oublie de refermer la porte. Puis il remit son chapeau et sortit, accompagne par Bob.

— Drole de bonhomme, dit celui-ci, un instant plus tard. Il a un curieux accent. Une fois, j'ai entendu un fermier irlandais qui avait a peu pres le meme. Et tu as vu comme il regardait partout! Encore un inventeur, sans doute. Ils sont tous dingues.

— Oh! Bob! Pas ton pere!

— Bien sur que si, mon pere aussi! Il est formidable. Il a peut-etre du genie. Mais il marche un peu «a cote de ses pompes».

Ils eclaterent de rire.

— C'est mon professeur de math qui dit ca, reprit Bob. Et toi aussi, tu marcheras a cote de tes souliers. Au fond, tu es deja un type comme papa… Allez, viens voir monsieur Tom.

Ils revinrent dans le bureau et Bob sortit de la vitrine la marionnette.

— Tu as la permission? demanda Francois.

— On ne fait rien de mal… N'est-ce pas, monsieur Tom?… Avez-vous passe une bonne nuit?… Ce qu'il peut m'agacer, avec ses airs de se moquer du monde!

Bob se laissa tomber dans l'unique fauteuil et poussa un profond soupir.

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