Et des plis du drap noir tombent tous nos ennuis.

La mort est bleue. O mort! o paix! l’ombre des nuits,

Le roseau des etangs, le roc du monticule,

L’epanouissement sombre du crepuscule,

Le vent, souffle farouche ou providentiel,

L’air, la terre, le feu, l’eau, tout, meme le ciel,

Se mele a cette chair qui devient solennelle.

Un commencement d’astre eclot dans la prunelle.

Au cimetiere, aout 1855.

XIV .

O gouffre! l’ame plonge et rapporte le doute.

Nous entendons sur nous les heures, goutte a goutte,

Tomber comme l’eau sur les plombs;

L’homme est brumeux, le monde est noir, le ciel est sombre;

Les formes de la nuit vont et viennent dans l’ombre;

Et nous, pales, nous contemplons.

Nous contemplons l’obscur, l’inconnu, l’invisible.

Nous sondons le reel, l’ideal, le possible,

L’etre, spectre toujours present.

Nous regardons trembler l’ombre indeterminee.

Nous sommes accoudes sur notre destinee,

L’?il fixe et l’esprit fremissant.

Nous epions des bruits dans ces vides funebres;

Nous ecoutons le souffle, errant dans les tenebres,

Dont frissonne l’obscurite;

Et, par moments, perdus dans les nuits insondables,

Nous voyons s’eclairer de lueurs formidables

La vitre de l’eternite.

Marine-Terrace, septembre 1853.

XV. A celle qui est voilee

Tu me parles du fond d’un reve

Comme une ame parle aux vivants.

Comme l’ecume de la greve,

Ta robe flotte dans les vents.

Je suis l’algue des flots sans nombre,

Le captif du destin vainqueur;

Je suis celui que toute l’ombre

Couvre sans eteindre son c?ur.

Mon esprit ressemble a cette ile,

Et mon sort a cet ocean;

Et je suis l’habitant tranquille

De la foudre et de l’ouragan.

Je suis le proscrit qui se voile,

Qui songe, et chante loin du bruit,

Avec la chouette et l’etoile,

La sombre chanson de la nuit.

Toi, n’es-tu pas, comme moi-meme,

Flambeau dans ce monde apre et vil.

Ame, c’est-a-dire probleme,

Et femme, c’est-a-dire exil?

Sors du nuage, ombre charmante.

O fantome, laisse-toi voir!

Sois un phare dans ma tourmente,

Sois un regard dans mon ciel noir!

Cherche-moi parmi les mouettes!

Dresse un rayon sur mon recif,

Et, dans mes profondeurs muettes,

La blancheur de l’ange pensif!

Sois l’aile qui passe et se mele

Aux grandes vagues en courroux.

Oh! viens! tu dois etre bien belle,

Car ton chant lointain est bien doux;

Car la nuit engendre l’aurore;

C’est peut-etre une loi des cieux

Que mon noir destin fasse eclore

Ton sourire mysterieux!

Dans ce tenebreux monde ou j’erre,

Nous devons nous apercevoir,

Toi, toute faite de lumiere,

Moi, tout compose de devoir!

Tu me dis de loin que tu m’aimes,

Et que, la nuit, a l’horizon,

Tu viens voir sur les greves blemes

Le spectre blanc de ma maison.

La, meditant sous le grand dome,

Pres du flot sans treve agite,

Surprise de trouver l’atome

Ressemblant a l’immensite,

Tu compares, sans me connaitre,

L’onde a l’homme, l’ombre au banni,

Ma lampe etoilant ma fenetre

A l’astre etoilant l’infini!

Parfois, comme au fond d’une tombe,

Je te sens sur mon front fatal,

Bouche de l’Inconnu d’ou tombe

Le pur baiser de l’Ideal.

A ton souffle, vers Dieu poussees,

Je sens en moi, douce frayeur,

Frissonner toutes mes pensees,

Feuilles de l’arbre interieur.

Mais tu ne veux pas qu’on te voie;

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