Pour qui luis-tu, Venus? Ou roules-tu, Saturne?
Ils vont: rien ne repond dans l’ether taciturne.
L’homme grelotte, seul et nu.
L’etendue aux flots noirs deborde, d’horreur pleine:
L’enigme a peur du mot; l’infini semble a peine
Pouvoir contenir l’inconnu.
Toujours la nuit! jamais l’azur! jamais l’aurore!
Nous marchons. Nous n’avons point fait un pas encore!
Nous revons ce qu’Adam reva;
La creation flotte et fuit, des vents battue;
Nous distinguons dans l’ombre une immense statue
Et nous lui disons: Jehovah!
Marine-Terrace, nuit du 30 mars 1854.
XVII. Dolor
Creation! figure en deuil! Isis austere!
Peut-etre l’homme est-il son trouble et son mystere?
Peut-etre qu’elle nous craint tous,
Et qu’a l’heure ou, ployes sous notre loi mortelle,
Hagards et stupefaits, nous tremblons devant elle,
Elle frissonne devant nous!
Ne riez point. Souffrez gravement. Soyons dignes,
Corbeaux, hiboux, vautours, de redevenir cygnes!
Courbons-nous sous l’obscure loi.
Ne jetons pas le doute aux flots comme une sonde.
Marchons sans savoir ou, parlons sans qu’on reponde,
Et pleurons sans savoir pourquoi.
Homme, n’exige pas qu’on rompe le silence;
Dis-toi: Je suis puni. Baisse la tete et pense.
C’est assez de ce que tu vois.
Une parole peut sortir du puits farouche;
Ne la demande pas. Si l’abime est la bouche,
O Dieu, qu’est-ce donc que la voix?
Ne nous irritons pas. Il n’est pas bon de faire,
Vers la clarte qui luit au centre de la sphere,
A travers les cieux transparents,
Voler l’affront, les cris, le rire et la satire,
Et que le chandelier a sept branches attire
Tous ces noirs phalenes errants.
Nais, grandis, reve, souffre, aime, vis, vieillis, tombe.
L’explication sainte et calme est dans la tombe.
O vivants! ne blasphemons point.
Qu’importe a l’Incree, qui, soulevant ses voiles,
Nous offre le grand ciel, les mondes, les etoiles,
Qu’une ombre lui montre le poing?
Nous figurons-nous donc qu’a l’heure ou tout le prie,
Pendant qu’il cree et vit, pendant qu’il approprie
A chaque astre une humanite,
Nous pouvons de nos cris troubler sa plenitude,
Cracher notre neant jusqu’en sa solitude,
Et lui gater l’eternite?
Etre! quand dans l’ether tu dessinas les formes,
Partout ou tu tracas les orbites enormes
Des univers qui n’etaient pas,
Des soleils ont jailli, fleurs de flamme, et sans nombre,
Des trous qu’au firmament, en s’y posant dans l’ombre,
Fit la pointe de ton compas!
Qui sommes-nous? La nuit, la mort, l’oubli, personne.
Il est. Cette splendeur suffit pour qu’on frissonne.
C’est lui l’amour, c’est lui le feu.
Quand les fleurs en avril eclatent pele-mele,
C’est lui. C’est lui qui gonfle, ainsi qu’une mamelle,
La rondeur de l’ocean bleu.
Le penseur cherche l’homme et trouve de la cendre.
Il trouve l’orgueil froid, le mal, l’amour a vendre,
L’erreur, le sac d’or effronte,
La haine et son couteau, l’envie et son suaire,
En mettant au hasard la main dans l’ossuaire
Que nous nommons humanite.
Parce que nous souffrons, noirs et sans rien connaitre,
Stupide, l’homme dit: – Je ne veux pas de Etre!
Je souffre; donc, Etre n’est pas! -
Tu n’admires que toi, vil passant, dans ce monde!
Tu prends pour de l’argent, o ver, ta bave immonde
Marquant la place ou tu rampas!
Notre nuit veut rayer ce jour qui nous eclaire;
Nous crispons sur ce nom nos doigts pleins de colere;
Rage d’enfant qui coute cher!
Et nous nous figurons, race imbecile et dure,
Que nous avons un peu de Dieu dans notre ordure
Entre notre ongle et notre chair!
Nier Etre! a quoi bon? L’ironie apre et noire
Peut-elle se pencher sur le gouffre et le boire,
Comme elle boit son propre fiel?
Quand notre orgueil le tait, notre douleur le nomme.
Le sarcasme peut-il, en crevant l’?il a l’homme,
Crever les etoiles au ciel?
Ah! quand nous le frappons, c’est pour nous qu’est la plaie.
Pensons, croyons. Voit-on l’ocean qui begaie,
Mordre avec rage son baillon?
Adorons-le dans l’astre, et la fleur, et la femme.
O vivants, la pensee est la pourpre de l’ame;
Le blaspheme en est le haillon.
Ne raillons pas. Nos c?urs sont les paves du temple,
Il nous regarde, lui que l’infini contemple.
Insense qui nie et qui mord!