Faut-il jouir? faut-il pleurer? Ceux qu’on rencontre
Passent. Quelle est la loi? La priere nous montre
L’ecorchure de ses genoux.
D’ou viens-tu? – Je ne sais. – Ou vas-tu? – Je l’ignore.
L’homme ainsi parle a l’homme et l’onde au flot sonore.
Tout va, tout vient, tout ment, tout fuit.
Parfois nous devenons pales, hommes et femmes,
Comme si nous sentions se fermer sur nos ames
La main de la geante nuit.
Nous voyons fuir la fleche et l’ombre est sur la cible.
L’homme est lance. Par qui? vers qui? Dans l’invisible.
L’arc tenebreux siffle dans l’air.
En voyant ceux qu’on aime en nos bras se dissoudre,
Nous demandons si c’est pour la mort, coup de foudre,
Qu’est faite, helas! la vie eclair!
Nous demandons, vivants douteux qu’un linceul couvre,
Si le profond tombeau qui devant nous s’entr’ouvre,
Abime, espoir, asile, ecueil,
N’est pas le firmament plein d’etoiles sans nombre,
Et si tous les clous d’or qu’on voit au ciel dans l’ombre
Ne sont pas les clous du cercueil?
Nous sommes la; nos dents tressaillent, nos vertebres
Fremissent; on dirait parfois que les tenebres,
O terreur! sont pleines de pas.
Qu’est-ce que l’ouragan, nuit? – C’est quelqu’un qui passe.
Nous entendons souffler les chevaux de l’espace
Trainant le char qu’on ne voit pas.
L’ombre semble absorbee en une idee unique.
L’eau sanglote; a l’esprit la foret communique
Un tremblement contagieux;
Et tout semble eclaire, dans la brume ou tout penche,
Du reflet que ferait la grande pierre blanche
D’un sepulcre prodigieux.
La chose est pour la chose ici-bas un probleme.
L’etre pour l’etre est sphinx. L’aube au jour parait bleme;
L’eclair est noir pour le rayon.
Dans la creation vague et crepusculaire,
Les objets effares qu’un jour sinistre eclaire
Sont l’un pour l’autre vision.
La cendre ne sait pas ce que pense le marbre;
L’ecueil ecoute en vain le flot; la branche d’arbre
Ne sait pas ce que dit le vent.
Qui punit-on ici? Passez sans vous connaitre!
Est-ce toi le coupable, enfant qui viens de naitre?
O mort, est-ce toi le vivant?
Nous avons dans l’esprit des sommets, nos idees,
Nos reves, nos vertus, d’escarpements bordees,
Et nos espoirs construits si tot;
Nous tachons d’appliquer a ces cimes etranges
L’apre echelle de feu par ou montent les anges;
Job est en bas, Christ est en haut.
Nous aimons. A quoi bon? Nous souffrons. Pourquoi faire?
Je prefere mourir et m’en aller. Prefere.
Allez, choisissez vos chemins.
L’etre effrayant se tait au fond du ciel nocturne,
Et regarde tomber de la bouche de l’urne
Le flot livide des humains.
Nous pensons. Apres? Rampe, esprit! garde tes chaines.
Quand vous vous promenez le soir parmi les chenes
Et les rochers aux vagues yeux,
Ne sentez-vous pas l’ombre ou vos regards se plongent
Reculer? Savez-vous seulement a quoi songent
Tous ces muets mysterieux?
Nous jugeons. Nous dressons l’echafaud. L’homme tue
Et meurt. Le genre humain, foule d’erreur vetue,
Condamne, extermine, detruit,
Puis s’en va. Le poteau du gibet, o demence!
O deuil! est le baton de cet aveugle immense
Marchant dans cette immense nuit.
Crime! enfer! quel zenith effrayant que le notre,
Ou les douze Cesars toujours l’un apres l’autre
Reviennent, noirs soleils errants!
L’homme, au-dessus de lui, du fond des maux sans borne,
Voit eternellement tourner dans son ciel morne
Ce zodiaque de tyrans.
Depuis quatre mille ans que, courbe sous la haine,
Percant sa tombe avec les debris de sa chaine,
Fouillant le bas, creusant le haut,
Il cherche a s’evader a travers la nature,
L’esprit forcat n’a pas encor fait d’ouverture
A la voute du ciel cachot.
Oui, le penseur en vain, dans ses essors funebres,
Heurte son ame d’ombre au plafond de tenebres;
Il tombe, il meurt; son temps est court;
Et nous n’entendons rien, dans la nuit qu’il nous legue,
Que ce que dit tout bas la creation begue
A l’oreille du tombeau sourd.
Nous sommes les passants, les foules et les races.
Nous sentons, frissonnants, des souffles sur nos faces.
Nous sommes le gouffre agite;
Nous sommes ce que l’air chasse au vent de son aile;
Nous sommes les flocons de la neige eternelle
Dans l’eternelle obscurite.