Ainsi, ce noir chemin que je faisais, ce marbre
Que je contemplais, pale, adosse contre un arbre,
Ce tombeau sur lequel mes pieds pouvaient marcher,
La nuit, que je voyais lentement approcher,
Ces ifs, ce crepuscule avec ce cimetiere,
Ces sanglots, qui du moins tombaient sur cette pierre,
O mon Dieu, tout cela, c’etait donc du bonheur!
Dis, qu’as-tu fait pendant tout ce temps-la? – Seigneur,
Qu’a-t-elle fait? – Vois-tu la vie en vos demeures?
A quelle horloge d’ombre as-tu compte les heures?
As-tu sans bruit parfois pousse l’autre endormi?
Et t’es-tu, m’attendant, reveillee a demi?
T’es-tu, pale, accoudee a l’obscure fenetre
De l’infini, cherchant dans l’ombre a reconnaitre
Un passant, a travers le noir cercueil mal joint,
Attentive, ecoutant si tu n’entendais point
Quelqu’un marcher vers toi dans l’eternite sombre?
Et t’es-tu recouchee ainsi qu’un mat qui sombre,
En disant: Qu’est-ce donc? mon pere ne vient pas!
Avez-vous tous les deux parle de moi tout bas?
Que de fois j’ai choisi, tout mouilles de rosee,
Des lys dans mon jardin, des lys dans ma pensee!
Que de fois j’ai cueilli de l’aubepine en fleur!
Que de fois j’ai, la-bas, cherche la tour d’Harfleur,
Murmurant: C’est demain que je pars! et, stupide,
Je calculais le vent et la voile rapide,
Puis ma main s’ouvrait triste, et je disais: Tout fuit!
Et le bouquet tombait, sinistre, dans la nuit!
Oh! que de fois, sentant qu’elle devait m’attendre,
J’ai pris ce que j’avais dans le c?ur de plus tendre
Pour en charger quelqu’un qui passerait par la!
Lazare ouvrit les yeux quand Jesus l’appela;
Quand je lui parle, helas! pourquoi les ferme-t-elle?
Ou serait donc le mal quand de l’ombre mortelle
L’amour violerait deux fois le noir secret,
Et quand, ce qu’un dieu fit, un pere le ferait?
Que ce livre, du moins, obscur message, arrive,
Murmure, a ce silence, et, flot, a cette rive!
Qu’il y tombe, sanglot, soupir, larme d’amour!
Qu’il entre en ce sepulcre ou sont entres un jour
Le baiser, la jeunesse, et l’aube, et la rosee,
Et le rire adore de la fraiche epousee,
Et la joie, et mon c?ur, qui n’est pas ressorti!
Qu’il soit le cri d’espoir qui n’a jamais menti,
Le chant du deuil, la voix du pale adieu qui pleure,
Le reve dont on sent l’aile qui nous effleure!
Qu’elle dise: Quelqu’un est la; j’entends du bruit!
Qu’il soit comme le pas de mon ame en sa nuit!
Ce livre, legion tournoyante et sans nombre
D’oiseaux blancs dans l’aurore et d’oiseaux noirs dans l’ombre,
Ce vol de souvenirs fuyant a l’horizon,
Cet essaim que je lache au seuil de ma prison,
Je vous le confie, air, souffles, nuee, espace!
Que ce fauve ocean qui me parle a voix basse,
Lui soit clement, l’epargne et le laisse passer!
Et que le vent ait soin de n’en rien disperser,
Et jusqu’au froid caveau fidelement apporte
Ce don mysterieux de l’absent a la morte!
O Dieu! puisqu’en effet, dans ces sombres feuillets,
Dans ces strophes qu’au fond de vos cieux je cueillais,
Dans ces chants murmures comme un epithalame
Pendant que vous tourniez les pages de mon ame,
Puisque j’ai, dans ce livre, enregistre mes jours,
Mes maux, mes deuils, mes cris dans les problemes sourds,
Mes amours, mes travaux, ma vie heure par heure;
Puisque vous ne voulez pas encor que je meure,
Et qu’il faut bien pourtant que j’aille lui parler;
Puisque je sens le vent de l’infini souffler
Sur ce livre qu’emplit l’orage et le mystere;
Puisque j’ai verse la toutes vos ombres, terre,
Humanite, douleur, dont je suis le passant;
Puisque de mon esprit, de mon c?ur, de mon sang,
J’ai fait l’acre parfum de ces versets funebres,
Va-t’en, livre, a l’azur, a travers les tenebres!
Fuis vers la brume ou tout a pas lents est conduit!
Oui, qu’il vole a la fosse, a la tombe, a la nuit,
Comme une feuille d’arbre ou comme une ame d’homme!
Qu’il roule au gouffre ou va tout ce que la voix nomme!
Qu’il tombe au plus profond du sepulcre hagard,
A cote d’elle, o mort! et que, la, le regard,
Pres de l’ange qui dort, lumineux et sublime,
Le voie epanoui, sombre fleur de l’abime!
O doux commencements d’azur qui me trompiez!
O bonheurs! je vous ai durement expies;
J’ai le droit aujourd’hui d’etre, quand la nuit tombe,
Un de ceux qui se font ecouter de la tombe,
Et qui font, en parlant aux morts blemes et seuls,
Remuer lentement les plis noirs des linceuls,
Et dont la parole, apre ou tendre, emeut les pierres,
Les grains dans les sillons, les ombres dans les bieres,