La vague et la nuee, et devient une voix
De la nature, ainsi que la rumeur des bois.
Car voila, n’est-ce pas, tombeaux? bien des annees,
Que je marche au milieu des croix infortunees,
Echevele parmi les ifs et les cypres,
L’ame au bord de la nuit, et m’approchant tout pres;
Et que je vais, courbe sur le cercueil austere,
Questionnant le plomb, les clous, le ver de terre
Qui pour moi sort des yeux de la tete de mort,
Le squelette qui rit, le squelette qui mord,
Les mains aux doigts noueux, les cranes, les poussieres,
Et les os des genoux qui savent des prieres!
Helas! j’ai fouille tout. J’ai voulu voir le fond,
Pourquoi le mal en nous avec le bien se fond,
J’ai voulu le savoir. J’ai dit: Que faut-il croire?
J’ai creuse la lumiere, et l’aurore, et la gloire,
L’enfant joyeux, la vierge et sa chaste frayeur,
Et l’amour, et la vie, et l’ame, – fossoyeur.
Qu’ai-je appris? J’ai, pensif, tout saisi sans rien prendre;
J’ai vu beaucoup de nuit et fait beaucoup de cendre.
Qui sommes-nous? que veut dire ce mot: Toujours?
J’ai tout enseveli, songes, espoirs, amours,
Dans la fosse que j’ai creusee en ma poitrine.
Qui donc a la science? ou donc est la doctrine?
Oh! que ne suis-je encor le reveur d’autrefois,
Qui s’egarait dans l’herbe, et les pres, et les bois,
Qui marchait souriant, le soir, quand le ciel brille,
Tenant la main petite et blanche de sa fille,
Et qui, joyeux, laissant luire le firmament,
Laissant l’enfant parler, se sentait lentement
Emplir de cet azur et de cette innocence!
Entre Dieu qui flamboie et l’ange qui l’encense,
J’ai vecu, j’ai lutte, sans crainte, sans remord.
Puis ma porte soudain s’ouvrit devant la mort,
Cette visite brusque et terrible de l’ombre.
Tu passes en laissant le vide et le decombre,
O spectre! tu saisis mon ange et tu frappas.
Un tombeau fut des lors le but de tous mes pas.
Je ne puis plus reprendre aujourd’hui dans la plaine
Mon sentier d’autrefois qui descend vers la Seine;
Je ne puis plus aller ou j’allais; je ne puis,
Pareil a la laveuse assise au bord du puits,
Que m’accouder au mur de l’eternel abime;
Paris m’est eclipse par l’enorme Solime;
La haute Notre-Dame a present, qui me luit,
C’est l’ombre ayant deux tours, le silence et la nuit,
Et laissant des clartes trouer ses fatals voiles;
Et je vois sur mon front un pantheon d’etoiles;
Si j’appelle Rouen, Villequier, Caudebec,
Toute l’ombre me crie: Horeb, Cedron, Balbeck!
Et, si je pars, m’arrete a la premiere lieue,
Et me dit: Tourne-toi vers l’immensite bleue!
Et me dit: Les chemins ou tu marchais sont clos.
Penche-toi sur les nuits, sur les vents, sur les flots!
A quoi penses-tu donc? que fais-tu, solitaire?
Crois-tu donc sous tes pieds avoir encor la terre?
Ou vas-tu de la sorte et machinalement?
O songeur! penche-toi sur l’etre et l’element!
Ecoute la rumeur des ames dans les ondes!
Contemple, s’il te faut de la cendre, les mondes;
Cherche au moins la poussiere immense, si tu veux
Meler de la poussiere a tes sombres cheveux,
Et regarde, en dehors de ton propre martyre,
Le grand neant, si c’est le neant qui t’attire!
Sois tout a ces soleils ou tu remonteras!
Laisse la ton vil coin de terre. Tends les bras,
O proscrit de l’azur, vers les astres patries!
Revois-y refleurir tes aurores fletries;
Deviens le grand ?il fixe ouvert sur le grand tout.
Penche-toi sur l’enigme ou l’etre se dissout,
Sur tout ce qui nait, vit, marche, s’eteint, succombe,
Sur tout le genre humain et sur toute la tombe!
Mais mon c?ur toujours saigne et du meme cote.
C’est en vain que les cieux, les nuits, l’eternite,
Veulent distraire une ame et calmer un atome.
Tout l’eblouissement des lumieres du dome
M’ote-t-il une larme? Ah! l’etendue a beau
Me parler, me montrer l’universel tombeau,
Les soirs sereins, les bois reveurs, la lune amie;
J’ecoute, et je reviens a la douce endormie.
Des fleurs! oh! si j’avais des fleurs! si je pouvais
Aller semer des lys sur ces deux froids chevets!
Si je pouvais couvrir de fleurs mon ange pale!
Les fleurs sont l’or, l’azur, l’emeraude, l’opale!
Le cercueil au milieu des fleurs veut se coucher;
Les fleurs aiment la mort, et Dieu les fait toucher
Par leur racine aux os, par leur parfum aux ames!
Puisque je ne le puis, aux lieux que nous aimames,
Puisque Dieu ne veut pas nous laisser revenir,
Puisqu’il nous fait lacher ce qu’on croyait tenir,
Puisque le froid destin, dans ma geole profonde,
Sur la premiere porte en scelle une seconde,
Et, sur le pere triste et sur l’enfant qui dort,