Les douleurs finiront dans toute l’ombre: un ange

Criera: Commencement!

Jersey, 1855.

A celle qui est restee en France

I

Mets-toi sur ton seant, leve tes yeux, derange

Ce drap glace qui fait des plis sur ton front d’ange,

Ouvre tes mains, et prends ce livre: il est a toi.

Ce livre ou vit mon ame, espoir, deuil, reve, effroi,

Ce livre qui contient le spectre de ma vie,

Mes angoisses, mon aube, helas! de pleurs suivie,

L’ombre et son ouragan, la rose et son pistil,

Ce livre azure, triste, orageux, d’ou sort-il?

D’ou sort le bleme eclair qui dechire la brume?

Depuis quatre ans, j’habite un tourbillon d’ecume;

Ce livre en a jailli. Dieu dictait, j’ecrivais;

Car je suis paille au vent: Va! dit l’esprit. Je vais.

Et, quand j’eus termine ces pages, quand ce livre

Se mit a palpiter, a respirer, a vivre,

Une eglise des champs que le lierre verdit,

Dont la tour sonne l’heure a mon neant, m’a dit:

Ton cantique est fini; donne-le-moi, poete.

Je le reclame, a dit la foret inquiete;

Et le doux pre fleuri m’a dit: Donne-le-moi.

La mer, en le voyant fremir, m’a dit: Pourquoi

Ne pas me le jeter, puisque c’est une voile!

C’est a moi qu’appartient cet hymne, a dit l’etoile.

Donne-le-nous, songeur, ont crie les grands vents.

Et les oiseaux m’ont dit: Vas-tu pas aux vivants

Offrir ce livre, eclos si loin de leurs querelles?

Laisse-nous l’emporter dans nos nids sur nos ailes!

Mais le vent n’aura point mon livre, o cieux profonds!

Ni la sauvage mer, livree aux noirs typhons,

Ouvrant et refermant ses flots, apres embuches;

Ni la verte foret qu’emplit un bruit de ruches,

Ni l’eglise ou le temps fait tourner son compas;

Le pre ne l’aura pas, l’astre ne l’aura pas,

L’oiseau ne l’aura pas, qu’il soit aigle ou colombe,

Les nids ne l’auront pas; je le donne a la tombe.

II

Autrefois, quand septembre en larmes revenait,

Je partais, je quittais tout ce qui me connait,

Je m’evadais; Paris s’effacait; rien, personne!

J’allais, je n’etais plus qu’une ombre qui frissonne,

Je fuyais, seul, sans voir, sans penser, sans parler,

Sachant bien que j’irais ou je devais aller;

Helas! je n’aurais pu meme dire: Je souffre!

Et, comme subissant l’attraction d’un gouffre,

Que le chemin fut beau, pluvieux, froid, mauvais,

J’ignorais, je marchais devant moi, j’arrivais.

O souvenirs! o forme horrible des collines!

Et, pendant que la mere et la s?ur, orphelines,

Pleuraient dans la maison, je cherchais le lieu noir

Avec l’avidite morne du desespoir;

Puis j’allais au champ triste a cote de l’eglise;

Tete nue, a pas lents, les cheveux dans la bise,

L’?il aux cieux, j’approchais; l’accablement soutient;

Les arbres murmuraient: C’est le pere qui vient!

Les ronces ecartaient leurs branches dessechees;

Je marchais a travers les humbles croix penchees,

Disant je ne sais quels doux et funebres mots;

Et je m’agenouillais au milieu des rameaux

Sur la pierre qu’on voit blanche dans la verdure.

Pourquoi donc dormais-tu d’une facon si dure,

Que tu n’entendais pas lorsque je t’appelais?

Et les pecheurs passaient en trainant leurs filets,

Et disaient: Qu’est-ce donc que cet homme qui songe?

Et le jour, et le soir, et l’ombre qui s’allonge,

Et Venus, qui pour moi jadis etincela,

Tout avait disparu que j’etais encor la.

J’etais la, suppliant celui qui nous exauce;

J’adorais, je laissais tomber sur cette fosse,

Helas! ou j’avais vu s’evanouir mes cieux,

Tout mon c?ur goutte a goutte en pleurs silencieux;

J’effeuillais de la sauge et de la clematite;

Je me la rappelais quand elle etait petite,

Quand elle m’apportait des lys et des jasmins,

Ou quand elle prenait ma plume dans ses mains,

Gaie, et riant d’avoir de l’encre a ses doigts roses;

Je respirais les fleurs sur cette cendre ecloses,

Je fixais mon regard sur ces froids gazon verts,

Et par moments, o Dieu, je voyais, a travers

La pierre du tombeau, comme une lueur d’ame!

Oui, jadis, quand cette heure en deuil qui me reclame

Tintait dans le ciel triste et dans mon c?ur saignant,

Rien ne me retenait, et j’allais; maintenant,

Helas!… – O fleuve! o bois! vallons dont je fus l’hote,

Elle sait, n’est-ce pas? que ce n’est pas ma faute

Si, depuis ces quatre ans, pauvre c?ur sans flambeau,

Je ne suis pas alle prier sur son tombeau!

Вы читаете Les Contemplations
Добавить отзыв
ВСЕ ОТЗЫВЫ О КНИГЕ В ИЗБРАННОЕ

0

Вы можете отметить интересные вам фрагменты текста, которые будут доступны по уникальной ссылке в адресной строке браузера.

Отметить Добавить цитату