La brute et le granit, quel chevalet pour l’ame!

Ce mulet fut sultan, ce cloporte etait femme.

L’arbre est un exile, la roche est un proscrit.

Est-ce que, quelque part, par hasard, quelqu’un rit

Quand ces realites sont la, remplissant l’ombre?

La ruine, la mort, l’ossement, le decombre,

Sont vivants. Un remords songe dans un debris.

Pour l’?il profond qui voit, les antres sont des cris:

Helas! le cygne est noir, le lys songe a ses crimes;

La perle est nuit; la neige est la fange des cimes;

Le meme gouffre, horrible et fauve, et sans abri,

S’ouvre dans la chouette et dans le colibri;

La mouche, ame, s’envole et se brule a la flamme;

Et la flamme, esprit, brule avec angoisse une ame;

L’horreur fait frissonner les plumes de l’oiseau;

Tout est douleur.

Les fleurs souffrent sous le ciseau,

Et se ferment ainsi que des paupieres closes:

Toutes les femmes sont teintes du sang des roses;

La vierge au bal, qui danse, ange aux fraiches couleurs,

Et qui porte en sa main une touffe de fleurs,

Respire en souriant un bouquet d’agonies.

Pleurez sur les laideurs et les ignominies,

Pleurez sur l’araignee immonde, sur le ver,

Sur la limace au dos mouille comme l’hiver,

Sur le vil puceron qu’on voit aux feuilles pendre,

Sur le crabe hideux, sur l’affreux scolopendre,

Sur l’effrayant crapaud, pauvre monstre aux doux yeux,

Qui regarde toujours le ciel mysterieux!

Plaignez l’oiseau de crime et la bete de proie.

Ce que Domitien, Cesar, fit avec joie,

Tigre, il le continue avec horreur. Verres,

Qui fut loup sous la pourpre, est loup dans les forets;

Il descend, reveille, l’autre cote du reve:

Son rire, au fond des bois, en hurlement s’acheve;

Pleurez sur ce qui hurle et pleurez sur Verres.

Sur ces tombeaux vivants, marques d’obscurs arrets,

Penchez-vous attendri! versez votre priere!

La pitie fait sortir des rayons de la pierre.

Plaignez le louveteau, plaignez le lionceau.

La matiere, affreux bloc, n’est que le lourd monceau

Des effets monstrueux, sortis des sombres causes.

Ayez pitie! voyez des ames dans les choses.

Helas! le cabanon subit aussi l’ecrou;

Plaignez le prisonnier, mais plaignez le verrou;

Plaignez la chaine au fond des bagnes insalubres;

La hache et le billot sont deux etres lugubres;

La hache souffre autant que le corps, le billot

Souffre autant que la tete; o mysteres d’en haut!

Ils se livrent une apre et hideuse bataille;

Il ebreche la hache et la hache l’entaille;

Ils se disent tout bas l’un a l’autre: Assassin!

Et la hache maudit les hommes, sombre essaim,

Quand, le soir, sur le dos du bourreau, son ministre,

Elle revient dans l’ombre, et luit, miroir sinistre,

Ruisselante de sang et refletant les cieux;

Et, la nuit, dans l’etal morne et silencieux,

Le cadavre au cou rouge, effrayant, glace, bleme,

Seul, sait ce que lui dit le billot, tronc lui-meme.

Oh! que la terre est froide et que les rocs sont durs!

Quelle muette horreur dans les halliers obscurs!

Les pleurs noirs de la nuit sur la colombe blanche

Tombent; le vent met nue et torture la branche;

Quel monologue affreux dans l’arbre aux rameaux verts!

Quel frisson dans l’herbe! Oh! quels yeux fixes ouverts

Dans les cailloux profonds, oubliettes des ames!

C’est une ame que l’eau scie en ses froides lames;

C’est une ame que fait ruisseler le pressoir.

Tenebres! l’univers est hagard. Chaque soir,

Le noir horizon monte et la nuit noire tombe;

Tous deux, a l’occident, d’un mouvement de tombe,

Ils vont se rapprochant, et, dans le firmament,

O terreur! sur le jour, ecrase lentement,

La tenaille de l’ombre effroyable se ferme.

Oh! les berceaux font peur. Un bagne est dans un germe.

Ayez pitie, vous tous et qui que vous soyez!

Les hideux chatiments, l’un sur l’autre broyes,

Roulent, submergeant tout, excepte les memoires.

Parfois on voit passer dans ces profondeurs noires

Comme un rayon lointain de l’eternel amour;

Alors, l’hyene Atree et le chacal Timour,

Et l’epine Caiphe et le roseau Pilate,

Le volcan Alaric a la gueule ecarlate,

L’ours Henri Huit, pour qui Morus en vain pria,

Le sanglier Selim et le porc Borgia,

Poussent des cris vers Etre adorable; et les betes

Qui porterent jadis des mitres sur leurs tetes,

Les grains de sable rois, les brins d’herbe empereurs,

Tous les hideux orgueils et toutes les fureurs,

Se brisent; la douceur saisit le plus farouche;

Le chat leche l’oiseau, l’oiseau baise la mouche;

Le vautour dit dans l’ombre au passereau: Pardon!

Une caresse sort du houx et du chardon;

Tous les rugissements se fondent en prieres;

On entend s’accuser de leurs forfaits les pierres;

Tous ces sombres cachots qu’on appelle les fleurs

Tressaillent; le rocher se met a fondre en pleurs;

Des bras se levent hors de la tombe dormante;

Le vent gemit, la nuit se plaint, l’eau se lamente,

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