Et traine, avec Socrate, Aspasie aux latrines.
Par un cote pourtant l’homme est illimite.
Le monstre a le carcan, l’homme a la liberte.
Songeur, retiens ceci: l’homme est un equilibre.
L’homme est une prison ou l’ame reste libre.
L’ame, dans l’homme, agit, fait le bien, fait le mal,
Remonte vers l’esprit, retombe a l’animal;
Et, pour que, dans son vol vers les cieux, rien ne lie
Sa conscience ailee et de Dieu seul remplie,
Dieu, quand une ame eclot dans l’homme au bien pousse,
Casse en son souvenir le fil de son passe;
De la vient que la nuit en sait plus que l’aurore.
Le monstre se connait lorsque l’homme s’ignore.
Le monstre est la souffrance, et l’homme est l’action.
L’homme est l’unique point de la creation
Ou, pour demeurer libre en se faisant meilleure,
L’ame doive oublier sa vie anterieure.
Mystere! au seuil de tout l’esprit reve ebloui.
L’homme ne voit pas Dieu, mais peut aller a lui,
En suivant la clarte du bien, toujours presente;
Le monstre, arbre, rocher ou bete rugissante,
Voit Dieu, c’est la sa peine, et reste enchaine loin.
L’homme a l’amour pour aile, et pour joug le besoin.
L’ombre est sur ce qu’il voit par lui-meme semee;
La nuit sort de son ?il ainsi qu’une fumee;
Homme, tu ne sais rien; tu marches, palissant!
Parfois le voile obscur qui te couvre, o passant!
S’envole et flotte au vent soufflant d’une autre sphere,
Gonfle un moment ses plis jusque dans la lumiere,
Puis retombe sur toi, spectre, et redevient noir.
Tes sages, tes penseurs ont essaye de voir;
Qu’ont-ils vu? qu’ont-ils fait? qu’ont-ils dit, ces fils Eve?
Rien.
Homme! autour de toi la creation reve.
Mille etres inconnus t’entourent dans ton mur.
Tu vas, tu viens, tu dors sous leur regard obscur,
Et tu ne les sens pas vivre autour de ta vie:
Toute une legion d’ames t’est asservie;
Pendant qu’elle te plaint, tu la foules aux pieds.
Tous tes pas vers le jour sont par l’ombre epies.
Ce que tu nommes chose, objet, nature morte,
Sait, pense, ecoute, entend. Le verrou de ta porte
Voit arriver ta faute et voudrait se fermer.
Ta vitre connait l’aube, et dit: Voir! croire! aimer!
Les rideaux de ton lit frissonnent de tes songes.
Dans les mauvais desseins quand, reveur, tu te plonges,
La cendre dit au fond de l’atre sepulcral:
Regarde-moi; je suis ce qui reste du mal.
Helas! l’homme imprudent trahit, torture, opprime.
La bete en son enfer voit les deux bouts du crime;
Un loup pourrait donner des conseils a Neron.
Homme! homme! aigle aveugle, moindre qu’un moucheron!
Pendant que dans ton Louvre ou bien dans ta chaumiere,
Tu vis, sans meme avoir epele la premiere
Des constellations, sombre alphabet qui luit
Et tremble sur la page immense de la nuit,
Pendant que tu maudis et pendant que tu nies,
Pendant que tu dis: Non! aux astres; aux genies:
Non! a l’ideal: Non! a la vertu: Pourquoi?
Pendant que tu te tiens en dehors de la loi,
Copiant les dedains inquiets ou robustes
De ces sages qu’on voit rever dans les vieux bustes,
Et que tu dis: Que sais-je? amer, froid, mecreant,
Prostituant ta bouche au rire du neant,
A travers le taillis de la nature enorme,
Flairant l’eternite de son museau difforme,
La, dans l’ombre, a tes pieds, homme, ton chien voit Dieu.
Ah! je t’entends. Tu dis: – Quel deuil! la bete est peu,
L’homme n’est rien. O loi miserable! ombre! abime! -
O songeur! cette loi miserable est sublime.
Il faut donc tout redire a ton esprit chetif!
A la fatalite, loi du monstre captif,
Succede le devoir, fatalite de l’homme.
Ainsi de toutes parts l’epreuve se consomme,
Dans le monstre passif, dans l’homme intelligent,
La necessite morne en devoir se changeant,
Et l’ame, remontant a sa beaute premiere,
Va de l’ombre fatale a la libre lumiere.
Or, je te le redis, pour se transfigurer,
Et pour se racheter, l’homme doit ignorer.
Il doit etre aveugle par toutes les poussieres.
Sans quoi, comme l’enfant guide par des lisieres,
L’homme vivrait, marchant droit a la vision.
Douter est sa puissance et sa punition.
Il voit la rose, et nie; il voit l’aurore, et doute;
Ou serait le merite a retrouver sa route,
Si l’homme, voyant clair, roi de sa volonte,
Avait la certitude, ayant la liberte?
Non. Il faut qu’il hesite en la vaste nature,
Qu’il traverse du choix l’effrayante aventure,