S’arrete sur l’abime a l’homme, escarpement?

Non, elle continue, invincible, admirable,

Entre dans l’invisible et dans l’imponderable,

Y disparait pour toi, chair vile, emplit l’azur

D’un monde eblouissant, miroir du monde obscur,

D’etres voisins de l’homme et d’autres qui s’eloignent,

D’esprits purs, de voyants dont les splendeurs temoignent,

D’anges faits de rayons comme l’homme d’instincts;

Elle plonge a travers les cieux jamais atteints,

Sublime ascension d’echelles etoilees,

Des demons enchaines monte aux ames ailees,

Fait toucher le front sombre au radieux orteil,

Rattache l’astre esprit a l’archange soleil,

Relie, en traversant des millions de lieues,

Les groupes constelles et les legions bleues,

Peuple le haut, le bas, les bords et le milieu,

Et dans les profondeurs s’evanouit en Dieu!

Cette echelle apparait vaguement dans la vie

Et dans la mort. Toujours les justes l’ont gravie:

Jacob en la voyant, et Caton sans la voir.

Ses echelons sont deuil, sagesse, exil, devoir.

Et cette echelle vient de plus loin que la terre.

Sache qu’elle commence aux mondes du mystere,

Aux mondes des terreurs et des perditions;

Et qu’elle vient, parmi les pales visions,

Du precipice ou sont les larves et les crimes,

Ou la creation, effrayant les abimes,

Se prolonge dans l’ombre en spectre indefini.

Car, au-dessous du globe ou vit l’homme banni,

Hommes, plus bas que vous, dans le nadir livide,

Dans cette plenitude horrible qu’on croit vide,

Le mal, qui par la chair, helas! vous asservit,

Degorge une vapeur monstrueuse qui vit!

La, sombre et s’engloutit, dans des flots de desastres,

L’hydre Univers tordant son corps ecaille d’astres;

La, tout flotte et s’en va dans un naufrage obscur;

Dans ce gouffre sans bord, sans soupirail, sans mur,

De tout ce qui vecut pleut sans cesse la cendre;

Et l’on voit tout au fond, quand l’?il ose y descendre,

Au dela de la vie, et du souffle et du bruit,

Un affreux soleil noir d’ou rayonne la nuit!

*

Donc, la matiere pend a l’ideal, et tire

L’esprit vers l’animal, l’ange vers le satyre,

Le sommet vers le bas, l’amour vers l’appetit.

Avec le grand qui croule elle fait le petit.

Comment de tant d’azur tant de terreur s’engendre,

Comment le jour fait l’ombre et le feu pur la cendre,

Comment la cecite peut naitre du voyant,

Comment le tenebreux descend du flamboyant,

Comment du monstre esprit nait le monstre matiere,

Un jour, dans le tombeau, sinistre vestiaire,

Tu le sauras; la tombe est faite pour savoir;

Tu verras; aujourd’hui, tu ne peux qu’entrevoir;

Mais, puisque Dieu permet que ma voix t’avertisse,

Je te parle.

Et, d’abord, qu’est-ce que la justice?

Qui la rend? qui la fait? ou? quand? a quel moment?

Qui donc pese la faute? et qui le chatiment?

*

L’etre cree se meut dans la lumiere immense.

Libre, il sait ou le bien cesse, ou le mal commence;

Il a ses actions pour juges.

Il suffit

Qu’il soit mechant ou bon; tout est dit. Ce qu’on fit,

Crime, est notre geolier, ou, vertu, nous delivre.

L’etre ouvre a son insu de lui-meme le livre;

Sa conscience calme y marque avec le doigt

Ce que l’ombre lui garde ou ce que Dieu lui doit.

On agit, et l’on gagne ou l’on perd a mesure;

On peut etre etincelle ou bien eclaboussure;

Lumiere ou fange, archange au vol d’aigle ou bandit;

L’echelle vaste est la. Comme je te l’ai dit,

Par des zones sans fin la vie universelle

Monte, et par des degres innombrables ruisselle,

Depuis l’infame nuit jusqu’au charmant azur.

L’etre en la traversant devient mauvais ou pur.

En haut plane la joie; en bas l’horreur se traine.

Selon que l’ame, aimante, humble, bonne, sereine,

Aspire a la lumiere et tend vers l’ideal,

Ou s’alourdit, immonde, au poids croissant du mal,

Dans la vie infinie on monte et l’on s’elance,

Ou l’on tombe; et tout etre est sa propre balance.

Dieu ne nous juge point. Vivant tous a la fois,

Nous pesons, et chacun descend selon son poids.

*

Homme! nous n’approchons que les paupieres closes,

De ces immensites d’en bas.

Viens, si tu l’oses!

Regarde dans ce puits morne et vertigineux,

De la creation compte les sombres n?uds,

Viens, vois, sonde:

Au-dessous de l’homme qui contemple,

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