La creation sainte ou reve le prophete,

Pour etre, o profondeur! devait etre imparfaite.

Donc, Dieu fit l’univers, l’univers fit le mal.

L’etre cree, pare du rayon baptismal,

En des temps dont nous seuls conservons la memoire,

Planait dans la splendeur sur des ailes de gloire;

Tout etait chant, encens, flamme, eblouissement;

L’etre errait, aile d’or, dans un rayon charmant,

Et de tous les parfums tour a tour etait l’hote;

Tout nageait, tout volait.

Or, la premiere faute

Fut le premier poids.

Dieu sentit une douleur.

Le poids prit une forme, et, comme l’oiseleur

Fuit emportant l’oiseau qui frisonne et qui lutte,

Il tomba, trainant l’ange eperdu dans sa chute.

Le mal etait fait. Puis tout alla s’aggravant;

Et l’ether devint l’air, et l’air devint le vent;

L’ange devint l’esprit, et l’esprit devint l’homme.

L’ame tomba, des maux multipliant la somme,

Dans la brute, dans l’arbre, et meme, au-dessous d’eux,

Dans le caillou pensif, cet aveugle hideux.

Etres vils qu’a regret les anges enumerent!

Et de tous ces amas des globes se formerent,

Et derriere ces blocs naquit la sombre nuit.

Le mal, c’est la matiere. Arbre noir, fatal fruit.

*

Ne reflechis-tu pas lorsque tu vois ton ombre?

Cette forme de toi, rampante, horrible, sombre,

Qui, liee a tes pas comme un spectre vivant,

Va tantot en arriere et tantot en avant,

Qui se mele a la nuit, sa grande s?ur funeste,

Et qui contre le jour, noire et dure, proteste,

D’ou vient-elle? De toi, de ta chair, du limon

Dont l’esprit se revet en devenant demon;

De ce corps qui, cree par ta faute premiere,

Ayant rejete Dieu, resiste a la lumiere;

De ta matiere, helas! de ton iniquite.

Cette ombre dit: – Je suis l’etre d’infirmite;

Je suis tombe deja; je puis tomber encore. -

L’ange laisse passer a travers lui l’aurore;

Nul simulacre obscur ne suit l’etre aromal;

Homme, tout ce qui fait de l’ombre a fait le mal.

*

Maintenant, c’est ici le rocher fatidique,

Et je vais t’expliquer tout ce que je t’indique;

Je vais t’emplir les yeux de nuit et de lueurs.

Prepare-toi, front triste, aux funebres sueurs.

Le vent d’en haut sur moi passe, et, ce qu’il m’arrache,

Je te le jette; prends, et vois.

Et, d’abord, sache

Que le monde ou tu vis est un monde effrayant

Devant qui le songeur, sous l’infini ployant,

Leve les bras au ciel et recule terrible.

Ton soleil est lugubre et ta terre est horrible.

Vous habitez le seuil du monde chatiment.

Mais vous n’etes pas hors de Dieu completement;

Dieu, soleil dans l’azur, dans la cendre etincelle,

N’est hors de rien, etant la fin universelle;

L’eclair est son regard, autant que le rayon;

Et tout, meme le mal, est la creation,

Car le dedans du masque est encor la figure.

– O sombre aile invisible a l’immense envergure!

Esprit! esprit! esprit! m’ecriai-je eperdu.

Le spectre poursuivit sans m’avoir entendu:

*

Faisons un pas de plus dans ces choses profondes.

Homme, tu veux, tu fais, tu construis et tu fondes,

Et tu dis: – Je suis seul, car je suis le penseur.

L’univers n’a que moi dans sa morne epaisseur.

En deca, c’est la nuit; au dela, c’est le reve.

L’ideal est un ?il que la science creve.

C’est moi qui suis la fin et qui suis le sommet. -

Voyons; observes-tu le b?uf qui se soumet?

Ecoutes-tu le bruit de ton pas sur les marbres?

Interroges-tu l’onde? et, quand tu vois des arbres,

Parles-tu quelquefois a ces religieux?

Comme sur le versant d’un mont prodigieux,

Vaste melee aux bruits confus, du fond de l’ombre,

Tu vois monter a toi la creation sombre.

Le rocher est plus loin, l’animal est plus pres.

Comme le faite altier et vivant, tu parais!

Mais, dis, crois-tu que l’etre illogique nous trompe?

L’echelle que tu vois, crois-tu qu’elle se rompe?

Crois-tu, toi dont les sens d’en haut sont eclaires,

Que la creation qui, lente et par degres,

S’eleve a la lumiere, et, dans sa marche entiere,

Fait de plus de clarte luire moins de matiere

Et mele plus d’instincts au monstre decroissant,

Crois-tu que cette vie enorme, remplissant

De souffles le feuillage et de lueurs la tete,

Qui va du roc a l’arbre et de l’arbre a la bete,

Et de la pierre a toi monte insensiblement,

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